Une plaque de verre découpée, une longue et minutieuse préparation d’un mélange chimique photosensible à base de bromure d’argent, puis l’exposition d’une image via une fine couche de mercure servant de miroir : c’est en ces termes simplifiés que l’on pourrait décrire la méthode de « photographie interférentielle » mise au point il y a plus d’un siècle par le physicien Gabriel Lippmann et qui lui valut un prix Nobel en 1908.
C’est aussi la seule technique photographique qui reproduit fidèlement l’intégralité du spectre des couleurs sans avoir recours à des colorants ou à des approximations chromatiques, comme c’est le cas pour les films ou les photographies numériques. À l’heure actuelle, seule une poignée de passionnés à travers le monde appliquent encore cette technique, dont Jérôme Klingenfus à Strasbourg;
Démonstration
Un parcours atypique, mais jamais éloigné de la chimie
Cheveux longs et barbe fournie, Jérôme Klingenfus dispose de son atelier à Cronenbourg, qu’il partage avec un photographe et avec un grapheur. C’est en fait dans le jardin, inattendu dans ce quartier et où poussent fraises et courgettes dès que l’on franchit le pas de porte, que Jérôme dévoile ses clichés.
Originaire de Molsheim et à peine trentenaire, Jérôme Klingenfus est titulaire d’un doctorat de chimie obtenu à Tours après des travaux au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Il a également fait des recherches en gastronomie moléculaire avant de se « questionner » et de revenir dans sa région d’origine.
En bon chimiste, il se met d’abord à la photographie argentique (il est actuellement l’un des seuls à faire des tirages argentiques sur papier baryté sur commande à Strasbourg) tout en se consacrant à la méthode Lippmann. Il explique ce coup de foudre :
« C’est une technique hors du commun qui apporte des résultats esthétiques éclatants, avec des propriétés physiques extraordinaires. Tout le spectre de lumière est représenté fidèlement dans les plaques, comme dans la nature. Il faut s’imaginer qu’avec cette technique, toutes les couleurs sont conservées dans une fine couche l’argent, sans aucun intermédiaire. »
« À ma connaissance, nous sommes trois dans le monde »
Mais la technique a aussi des contraintes : une préparation chimique longue et minutieuse, un séchage rigoureux, puis une nouvelle phase de préparation du tirage pendant près de cinq heures avant de pouvoir enfin exposer la plaque de verre devant l’objet à photographier. Pas question de clichés pris sur le vif ou « d’instants décisifs » chers à certains photographes. Enfin, pour pleinement profiter du rendu, il faut observer les plaques en faisant refléter la lumière sous un certain angle. Cette technicité explique peut-être la rareté de la photographie Lippmann :
« Ce type de photographie avait disparu à la mort de Lippmann, mais le savoir-faire a pu être conservé et des passionnés se l’ont réapproprié par la suite. À ma connaissance, seules trois autres personnes pratiquent cette forme de photographie ailleurs dans le monde, en Espagne, au Danemark et aux États-Unis. Je leur ai envoyé un courriel mais je n’ai jamais eu de réaction. Ce qu’il me faut à présent c’est une série cohérente et propre pour une mise en vente, ou moins pour susciter un intérêt auprès de galeries ou de connaisseurs. »
Ailleurs, un intérêt pour la théorie mais pas encore pour la pratique
Il est vrai que la méthode Lippmann est cantonnée aux experts. À l’heure actuelle, des collections de tirages originaux du maître se trouvent au Musée de l’Elysée de Lausanne, au Musée français de la photographie de Bièvres (91) et à la Société française de photographie de Paris. Ces institutions s’intéressent aux recherches sur la technique et sur les tirages, mais pas à un photographe inconnu du sérail qui se lance dans l’aventure.
Strasbourg lui convient, mais…
Jérôme ne regrette pas son choix de s’être (ré)installé à Strasbourg, même si pour le moment son avenir est incertain :
« Etre à Strasbourg me convient parfaitement. À Paris il y a trop de gens, trop de curieux, alors qu’ici c’est calme. Il existe un intérêt certain pour la photographie, par exemple l’année dernière au Musée d’arts moderne avec l’exposition de Patrick Bailly Maître-Grand , qui réside à Strasbourg et est une source extraordinaire de conseils. Certaines galeries s’intéressent aussi à la photo, mais le marché en tant que tel reste assez limité. En ce qui me concerne, j’ai déposé des dossiers de demande de soutien financier un peu partout, mais pour le moment ça ne bouge pas. Peut-être parce que je ne suis pas passé par la filière artistique classique. »
En attendant, Jérôme fait aussi de la photo plus classique et même d’autres expérimentations comme des « vinyles », où les informations visuelles ont été gravées en plus de la photographie pour permettre « d’écouter ce que l’on voit ». Mais le « Lippmann » reste sa passion et le fil rouge de son travail.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : À Strasbourg, la photo argentique bouge encore
Sur jkphoto.fr: le site de Jérôme Klingenfus
Sur Wikipédia : la photographie interférentielle
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