Avec sa démission annoncée publiquement mercredi 21 décembre 2022, Jean Rottner a suscité la surprise générale. En invoquant des « impératifs familiaux qui animent cette lourde décision », l’ancien président de la Région Grand Est se donnait un bouclier, rendant son départ plus légitime. Mais ce vendredi 30 décembre, cette décision de l’urgentiste mulhousien prend un autre sens : le groupe immobilier Réalités a annoncé l’ouverture d’une direction régionale Grand Est à l’été 2023 avec à sa tête Jean Rottner, « qui, après avoir quitté la vie publique, rejoint l’aventure entrepreunariale de Réalités », indique le groupe dans un communiqué de presse, qui n’hésite pas à insister lourdement :
« La rencontre entre Jean Rottner et Réalités, entreprise à mission, est apparue comme une évidence. L’un comme l’autre partagent le même sens de l’intérêt général, la vocation d’être utiles aux territoires et à leurs habitants, et des valeurs fortes telles que l’humanisme, l’exigence, l’optimisme. »
Jean Rottner : un carnet d’adresses rentable
Réalités est un groupe privé fondé en 2003 par son P-DG Yoann Choin-Joubert. L’entreprise se définit comme un « un groupe de développement territorial qui, résolument tourné vers l’humain, joue un rôle de passerelle entre des concepts d’usage innovants et des solutions immobilières. » Peut-être que ce charabia a fait sens pour Jean Rottner… Plus concrètement, les passerelles innovantes de Réalités lui ont permis de générer un chiffre d’affaires de 285,7 millions d’euros en 2021, en hausse de 39,5% par rapport à l’année précédente. Réalités se donne pour objectif « de réaliser en 2025 un chiffre d’affaires de 800 M€ avec un taux de résultat opérationnel de 8%. »
Sans doute que Jean Rottner sera un allié de taille pour cette entreprise « cotée sur Euronext Growth Paris depuis 2014 ». L’ancien élu de 55 ans, ex-maire de Mulhouse puis président de la Région Grand Est pendant cinq ans, possède un carnet d’adresses très rentable pour un groupe dont les clients sont souvent des acteurs publics. Le groupe Réalités se félicite aussi d’avoir débauché l’ancien président de la Fédération nationale des agences d’urbanisme depuis 2014.
Validé avec réserve par l’autorité de transparence
Saisie dès juillet, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a rendu un avis en septembre sur ce passage au privé de Jean Rottner. Elle estime que ses anciennes et nouvelles fonctions sont compatibles avec une réserve (voir l’avis complet) :
« Monsieur Rottner devra s’abstenir, dans le cadre de son activité privée, d’accomplir toute démarche, y compris de représentation d’intérêts, auprès des élus et des agents de la région Grand Est et des établissements publics qui en relèvent. En application des dispositions de l’article 23 de la loi du 11 octobre 2013, cette réserve, dont les effets s’imposent à Monsieur Rottner pendant trois ans à compter de la cessation de ses fonctions exécutives locales, fera l’objet d’un suivi régulier par la Haute Autorité. »
Pour les proches, « un changement de vie tout à fait respectable »
Parmi ses alliés, l’ancien président de la Région trouve des soutiens inconditionnels. L’ex vice-président en charge des transports et actuel député apparenté Renaissance David Valence ne souhaite pas commenter ce pantouflage :
« Pour Jean, la vie publique est un engagement, pas un métier. Il a pris sa décision et elle doit nous faire réfléchir sur ce que sont les contraintes et exigences des mandats électoraux : le fait d’être exposé en permanence, le fait d’avoir très peu de temps pour ses proches, c’est plus exigeant que beaucoup de postes à responsabilités et beaucoup de citoyens le comprennent mal. »
Le discours est similaire du côté de l’actuel vice-président en charge des transports et maire d’Illkirch-Graffenstaden, Thibaud Philipps (Les Républicains), qui parle d’un « changement de vie tout à fait respectable ». L’élu local n’est pas surpris de cette décision de Jean Rottner :
« La carrière d’urgentiste et la carrière politique comportaient toutes les deux des rythmes compliqués. Aller dans un groupe privé peut permettre de se dégager du temps et de respecter un meilleur équilibre avec la vie privée. »
« Ça s’appelle du pantouflage et c’est décevant »
Du côté de l’opposition au conseil régional, la présidente du groupe écologiste Éliane Romani (EELV) se montre plus critique :
« Jean Rottner intègre le privé en utilisant les réseaux qu’il a développé dans le cadre de ses fonctions de président de région. J’imagine qu’il le fait pour une rémunération importante et pour une fonction qui s’apparente à du lobbying. Ça s’appelle du pantouflage et c’est décevant. Ça ne fait pas du bien à la démocratie. Les gens élisent des politiques pour qu’ils aillent au bout du mandat. Ce type de choix alimente la défiance des citoyens… »
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