Une machine à coudre trône sur la petite table de la chambre étudiante de Morgane. Des patrons découpés dans des brouillons d’exercices d’anglais sont dispersés ici et là et trois grandes boîtes remplies de fils de toutes les couleurs sont empilées dans un coin.
Ces quelques mètres carrés ressemblent davantage à un atelier de couture qu’à la chambre d’une étudiante en dernière année de licence de lettres. Seul le recueil des Lais de Marie de France, déposé sur son lit, vient le rappeler.
Difficile d’imaginer que, du haut de son mètre 77, cette étudiante de 20 ans puisse avoir pour passion de coudre des robes de princesse. Pourtant, si elle le pouvait, elle se fondrait dans la peau de toutes les reines de Disney. Elle a ainsi déjà incarné Belle de la Belle et la Bête et l’intrépide princesse Anna de la Reine des neiges. Pour cette jeune fille qui souhaite devenir professeur de français, c’est un moyen de s’évader de son quotidien très chargé entre études et cours qu’elle dispense dans un lycée quelques heures par semaines :
« Le cosplay donne des objectifs dans une vie plate, on s’évade du quotidien. Ça permet de faire des choses qu’on ne fait pas d’habitude. Pour moi qui aime beaucoup le théâtre, c’est comme devenir quelqu’un d’autre et puis c’est amusant de se voir se métamorphoser. »
En quatre ans de cosplay, Morgane a gagné quelques fans et n’est jamais contre une séance de shooting photo, qui lui rappelle ses essais comme mannequin amateur. Sur Facebook, elle tient ses admirateurs informés de l’avancée de ses projets sous le pseudonyme Mélyanis, « la déesse des illusions » d’un roman qu’elle écrivait plus jeune. Ce qui, selon elle, « colle bien avec le cosplay » qui donne vie à des personnages fictifs.
550€ pour un costume
Cette métamorphose a un coût. L’un de ses derniers cosplay, celui d’Ashe Heartseeker, une archère du jeu vidéo League of Legends lui a fait débourser environ 550€ : 40 à 70€ pour l’arc qu’elle a refait à quatre reprises, 80€ de tissu, 40€ de peinture, 20€ pour la perruque, 20€ en teinture… Elle estime avoir passé entre 150 et 200 heures sur ce costume. Il lui avait donné tant de fil à retordre qu’elle avait songé à arrêter le cosplay.
En vue de la Japan Addict Z, le 27 juin au Zénith de Strasbourg, Morgane s’essaie pour la première fois à un personnage assez sombre : Midna, figure énigmatique de Zelda Twilight Princess, un autre jeu vidéo qu’elle a déjà terminé cinq fois. Ce n’est qu’à la fin du jeu que le personnage retrouve sa forme humaine, celle dont s’inspire Morgane :
« Midna c’est la princesse maudite dans Zelda, chassée du royaume des ombres par Xanto. Elle accompagne Link tout le temps sous une forme de petite créature, on ne sait jamais trop si c’est une alliée ou non. »
Le penchant littéraire de la jeune fille ressort lorsqu’elle évoque ce personnages fictif, elle ne peut s’empêcher d’analyser son parcours :
« Il y a quelque chose de profondément tragique dans l’histoire de Midna puisqu’elle n’est qu’une ombre dans le royaume de la lumière. Même si elle donne l’impression d’être froide, elle a quand même un grand cœur. Je trouve que c’est quelqu’un d’attachant et puis ce n’est pas un personnage dont on retrouverait le design ailleurs. »
Point zigzag et tissu thermocollant
Pour la fabrication, elle a déjà pensé à tout : afin de reproduire les motifs de la cape et de la jupe, elle emploie du tissu thermocollant permettant de fixer les motifs blancs sur le tissu noir à l’aide d’un fer à repasser. Ensuite, il ne lui reste plus qu’à coudre le tout avec « un point zigzag assez resserré ».
Pour reproduire les motifs que Midna porte sur le corps, Morgane prévoit deux versions. L’une avec une combinaison facile à enfiler qu’elle peindrait, l’autre en utilisant du body painting, ce qui la « rendrait plus réelle ».
Une fois maquillée, Morgane prend des airs de poupée : teint parfait et grands yeux dont les pupilles semblent agrandies par le port de lentilles colorées. Pour se fondre dans le personnage de Midna, ses yeux seront rouges, « le détail qui fait tout », les sourcils « arqués, très noirs, très longs » et elle ajoutera du fard à paupière violet.
Lorsque Morgane évoque la couture et ses techniques de création, elle semble née avec une aiguille et un dé à coudre dans les mains. Pourtant, c’est avec le cosplay qu’elle a découvert la couture et non l’inverse. Elle avait entendu parler de l’existence de la Japan Addict :
« À ce moment, je regardais Black Butler, un anime (NDLR : œuvre d’animation japonaise) dans lequel je trouvais la fille super jolie. Alors je me suis dit pourquoi pas. C’était vraiment très basique, j’avais juste cousu le haut, mais ça avait bien plu donc j’ai continué. »
Mais Morgane n’est pas de ces cosplayeurs fan de mangas, les BD japonaises, elle trouve le plus souvent l’inspiration dans les jeux vidéo et les dessins animés. « Les cheveux verts, je ne pourrais pas », plaisante-t-elle.
Le cosplay, beaucoup plus que du déguisement
Grâce à sa mère et sa grand-mère, qui avaient déjà des notions de couture, elle a pu apprendre les bases. Pour le reste c’est sur Internet qu’elle s’est renseignée.
Lorsqu’elle crée ses costume, sa chambre étudiante ne suffit pas, elle fabrique également une partie chez ses parents et s’exile chez sa grand-mère lorsque le cosplay devient trop envahissant dans l’appartement familial. Morgane est sans doute la plus bricoleuse de la famille :
« Quand mon père cherche la pince à dénuder, il sait que c’est dans ma chambre qu’il va la trouver et pas dans celles de mes frères ».
Son entourage ne comprend pas forcément son amour pour le cosplay. Qu’on ne lui dise surtout pas qu’elle se déguise, c’est plus que ça pour elle. Avec les heures qu’elle passe sur ses créations, Morgane attend une certaine reconnaissance de la qualité de son travail entièrement fait main. Elle refuse l’idée selon laquelle ses costumes seraient des déguisements qu’elle porte comme d’autres le font lors du carnaval. Pierrick, son petit-ami a retenu la leçon :
« Sur le coup, lorsqu’elle m’en a parlé, je n’ai pas trop compris de quoi il s’agissait, je croyais que c’était pour se déguiser, j’ai failli me prendre une baffe ! Dans un sens, je trouve ça un peu dommage de voir les heures qu’elle passe dessus pour quelque chose qu’elle va mettre une ou deux fois… »
Lorsque Morgane lui présente ses futurs cosplays, elle le met souvent devant le fait accompli. Parfois, il préférerait qu’elle choisisse des costumes aux vêtements « pas trop courts et pas trop décolletés ». Mais la cosplayeuse affirme que, pour coller au personnage, elle n’a pas le choix. Amateur de jeux vidéo, il ne partage cependant pas sa passion. S’il « l’accompagne volontiers » aux conventions de cosplay, cela ne doit pas être trop récurrent, « trois à quatre fois par an », maximum.
À la recherche de la perfection
Éternelle insatisfaite, Morgane n’est pas vraiment contente du diadème qu’elle a fabriqué en pâte Fimo, pâte à modeler durcissant à la cuisson, et baguettes de bois. Julien, l’un de ses amis cosplayeurs, tente de la raisonner, sans succès :
« Elle trouvait son diadème un peu trop grand, je lui ai dit que ça allait, que c’était pas gênant. Elle a tout recommencé… Quand elle fait quelque chose, elle est prête à tout recommencer, elle veut la perfection. »
Morgane est l’une des personnes qui ont amené le jeune Mulhousien à s’intéresser au cosplay. Avant la Japan Addict Z, ils participeront, le 31 mai, au concours de cosplay du parc de Wesserling dans le Haut-Rhin. L’équipier de vente en hypermarché de 23 ans, y incarnera Xanto, le méchant du jeu aux côtés de Morgane-Midna.
Confectionner un seul costume représente déjà un travail colossal, mais cela ne suffit pas à Morgane qui prévoir un deuxième cosplay pour la Japan Addict Z, en groupe cette fois-ci. Le cosplay c’est aussi un moyen de rencontrer d’autres passionnés. Alexandra, ou plutôt Minto Naegino, préfère l’univers des mangas à celui des jeux vidéos, à l’image de son appartement aux étagères pleines de bandes dessinées japonaises. Elle accompagnera Morgane le 28 juin pour concourir lors de la Japan Addict Z. Selon cette professeur de mathématiques de 24 ans, travailler à plusieurs constitue un plus :
« Un groupe permet d’échanger, d’apprendre. Il y en a qui sortent en boîte, nous, on se retrouve chez nous pour faire du cosplay. »
Place aux couleurs et aux paillettes. Les cinq cosplayeuses du groupe mené par Morgane incarneront des fées du dessin animé Winx, sorti au début des années 2000. Un petit retour en enfance :
« Je regardais ça quand j’étais gamine, ce sont des apprenties fées qui vont à l’école : super grandes, jolies… Elles ont des copains mais ça ne se passe pas toujours très bien… »
D’ici là, il leur reste encore à travailler leur chorégraphie. Avec 13 ans de danse derrière elle, Morgane aime improviser quelques pas sur scène. Mais son plus grand plaisir n’est pas là, elle espère « voir des petites filles avec des étoiles dans les yeux ».
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