Des moqueries sur une manière de parler. Un crachat au visage. Un cartable rempli jeté en pleine tête. Le podcast commence par installer une histoire de harcèlement scolaire. Les scènes, aussi banales que violentes, se déroulent dans un collège. Romain, aujourd’hui 33 ans, commence par prendre la parole. L’homme donne son titre à la série de six épisodes d’une vingtaine de minutes chacun : « J’ai harcelé ».
Le podcast est le fruit d’un travail de deux ans de la journaliste pour Arrêt sur images Estelle Ndjandjo et la Strasbourgeoise Paola Guzzo, reporter pour France Bleu Alsace. Il sera publié le jeudi 7 novembre, journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire.
Une parole rare
La première force de ce podcast est d’amener la parole de celui qu’on entend trop peu dans ces histoires. L’auteur du harcèlement s’exprime beaucoup dans les premiers épisodes. Avec deux décennies de recul, il parle de l’effet de groupe et d’une violence naissante en lui suite au divorce de ses parents. « J’ai été un super connard », concède-t-il dès le début de la série.
Le père de Romain témoigne aussi. Sur les coups de cravache qu’il a subi plus petit, sur son incapacité à incarner une autorité aux yeux de son fils. Peu à peu, l’enquête progresse sur un phénomène de société répandu – plus d’un élève par classe est victime de harcèlement scolaire selon les chiffres de l’Éducation nationale – avec une question qui revient sans cesse : d’où vient cette violence que l’on exerce sur autrui ? D’où vient cette violence que l’on subit ?
Le point de vue de Juliette
Puis vient la parole de Juliette. Celle dont on connait déjà les brimades et autres humiliations quotidiennes au collège raconte l’abandon puis le rejet, d’une violence inouïe, par sa mère. Elle est aujourd’hui banquière, se décrit comme « joviale ». Mais il y a près de 20 ans, Juliette a fait une tentative de suicide. Elle se souvient des comprimés Lexomil volés à sa grand-mère et d’une bouteille de whisky achetée dans une supérette. Elle évoque aussi le réveil qui a suivi, à l’hôpital.
Régulièrement, les témoignages sont contextualisés par une psychologue spécialisée en thérapie comportementale. Delphine Py donne des statistiques. Elle décrit les conditions favorables au harcèlement scolaire et les signes qu’un enfant en est victime. Elle introduit les notions de traumatisme simple ou complexe, pour mieux comprendre les conséquences de violences subies sur le temps long.
Le pardon
Un autre moment fort du podcast se trouve au quatrième épisode. Il fait le récit des échanges par messages qui ont eu lieu plus de dix ans après les faits. Romain qui demande pardon. Juliette qui lui demande de ne plus jamais faire ça, « même à une personne que tu hais ». Dans sa voix, l’émotion est encore vive. Mais malgré la violence subie et le traumatisme toujours présent, elle parvient à pardonner. Pour enfin passer à autre chose, pour ne pas continuer de vivre avec cette colère.
La fin de la série explore notamment les plans de lutte contre le harcèlement scolaire mis en place par l’Éducation nationale. Une manière de mettre fin à l’impunité des harceleurs dont parle Romain, sans détour : « Dans mon souvenir, on n’a eu aucun problème, jamais. Personne n’a pris la défense de Juliette. Elle a dû se plaindre, mais je n’ai jamais remarqué aucune sanction. »
Le travail d’Estelle Ndjandjo et Paola Guzzo brille dans la diversité des paroles données. « J’ai harcelé » donne à entendre le point de vue d’un harceleur et sa victime, de leurs proches, camarades ou parents, de professeures et autres spécialistes du sujet. Le podcast prend ainsi la hauteur nécessaire pour aborder cette problématique dans toute sa complexité. Une histoire émouvante qui ne tombe pas dans le sentimentalisme. La série reste une enquête, sur les causes, les conséquences et les tentatives de résoudre un phénomène de société ignoré par les adultes, et qui a fait souffrir tant d’enfants. Une investigation de société et d’utilité publique, à diffuser dans toutes les établissements scolaires.
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