Il n’y a pas que des bénévoles dans les associations. Bien souvent, ces dernières fonctionnent grâce à des salariés qui trouvent des fonds pour des projets, les coordonnent ou les mettent en œuvre. En 2022, les 33 000 associations alsaciennes comptaient 455 000 bénévoles et 54 000 employés. Derrière l’image d’une vie professionnelle épanouissante, en accord avec ses valeurs, cet important secteur professionnel peut créer des conditions de travail particulièrement difficiles.
C’est pourquoi cinq personnes ont fondé la section alsacienne du syndicat Solidaires ASSO (Action des salarié-e-s du secteur associatif) en juin 2024. Quelques mois plus tard, fin octobre, elle est composée d’une vingtaine de membres, quasiment tous basés à Strasbourg. Une initiative visant à apporter des solutions et une protection aux employés d’associations. Beaucoup sont isolés dans de petites structures qui ne respectent pas le droit du travail.
Des employeurs bénévoles et non formés
Léa Staraselski fait partie des cofondatrices de Solidaires ASSO Alsace. Après des contrats dans l’hôtellerie et la restauration, elle a été embauchée par une association en octobre 2021. Cette première expérience s’est mal finie. Son employeur l’a poussée à partir sans motif précis. Elle a dû recourir à un suivi psychologique après ces événements. Depuis novembre 2023, elle a trouvé un cadre plus apaisé au sein de l’association Pour une sécurité sociale de l’alimentation (SSA) – Alsace. Léa Staraselski décrit dans un entretien à Rue89 Strasbourg les dérives du monde associatif et comment l’engagement syndical peut améliorer les conditions de travail.
Rue89 Strasbourg : Pourquoi le secteur associatif fabrique t-il de la souffrance au travail ?
Léa Staraselski : Les associations sont des structures rendues précaires par des décennies de restrictions budgétaires qui induisent une baisse des subventions et imposent de répondre à des appels à projets. Nous sommes de plus en plus soumis aux lois du marché et de la concurrence entre nous. Les fonds ne suffisent pas en général pour les activités réalisées. Donc on se retrouve à avoir une logique de rentabilité, il faut être performant, avec peu d’argent et de moyens humains.
Ce qui est très pervers aussi, c’est le fait que n’importe qui, sans formation, peut faire partie du conseil d’administration d’une association. Cela donne des employeurs qui ne connaissent pas forcément la législation et n’ont pas d’expérience en management. Les directions accordent souvent peu d’importance au droit du travail. Elles peuvent partir du principe que le salarié doit être solidaire, en acceptant un salaire très bas ou en faisant des heures supplémentaires non payées par exemple. Et ce principe peut se retrouver du côté des salariés qui acceptent de se sacrifier pour la cause en estimant qu’ils ont un job passion.
Dans un tel contexte, quelles conditions de travail pouvez-vous observer dans les associations ?
Dans le monde associatif, la souffrance au travail est la règle. Autour de moi, la plupart des gens me disent qu’ils n’en peuvent plus. Concrètement, j’ai un bac +6 et j’ai commencé mon premier emploi dans l’associatif à 1 650 euros nets pour un 35 heures. Par rapport aux autres, j’étais au-dessus de la moyenne, même si mon salaire restait faible. Certains font 60 ou 70 heures par semaine payées 35 heures au SMIC. Fréquemment, les heures supplémentaires ne sont ni récupérées, ni payées.
« Nous sommes beaucoup de surdiplômés qui viennent trouver un sens à leur travail dans l’associatif. »
Léa Staraselski, cofondatrice de Solidaires ASSO Alsace.
Ce travail est réalisé dans l’urgence comme il y a peu de moyens. Et nous sommes souvent très polyvalents, nous passons d’une tâche à l’autre, ce qui implique une grande charge mentale. Moi je suis coordinatrice de projet et je fais tout : des demandes de subventions, de la recherche de partenaires, de la gestion… Nous sommes beaucoup de surdiplômés, entre Bac+5 et Bac+8, qui viennent trouver un sens à leur travail dans l’associatif, et qui peuvent rentrer dans une logique de performance au boulot, au service de la cause.
Selon les activités, on remarque des problématiques de sécurité liées à la négligence des employeurs, qui ne fournissent pas le matériel et les consignes adéquates. Nous n’avons pas de chiffres globaux mais nous constatons des accidents du travail et des burnouts.
Quels sont les domaines associatifs les plus concernés ?
Ce sont les associations qui produisent des biens ou des services et qui ont des salariés en insertion sociale et professionnelle (avec le même procédé que Emmaüs, NDLR). Elles œuvrent dans le BTP, la couture ou encore l’agriculture et doivent trouver un équilibre économique précaire entre les revenus tirés de leurs activités et les subventions. Donc il faut quand même que ça tourne, les employés en insertion sont sous pression et parfois maltraités.
Ils n’ont pas toujours la nationalité. Ce sont des personnes précaires et particulièrement vulnérables. Nous avons des cas de racisme, de harcèlement moral ou sexuel. Des personnes nous témoignent être dévalorisées, parce qu’elles ne parlent pas français, ou elles sont attaquées sur leurs compétences. On leur dit “toi tu ne sais rien faire”. Récemment, un médecin a placé une salariée d’une association strasbourgeoise en invalidité à cause du harcèlement qu’elle subissait.
Comment, dans les conditions d’isolement des salariés du secteur associatif, est-il possible de créer un rapport de force grâce à un syndicat ?
La présence de notre section syndicale permet déjà à des personnes d’avoir un appui et des conseils. Personnellement, je consacre deux heures par semaine à assurer une permanence en répondant à des mails. Je donne des conseils aux personnes qui nous sollicitent. Nous aurons bientôt une ligne téléphonique. Pour l’instant, nous ne sommes pas encore très connus. On a un nouveau salarié d’association par semaine qui fait appel à nous. Nous faisons également de l’accompagnement avant les procès aux Prud’hommes.
« Ne pas être payé ou ne pas récupérer des heures supplémentaires, c’est illégal. »
Léa Staraselski, cofondatrice de Solidaires ASSO Alsace.
On remarque que, très régulièrement, les élections professionnelles ne sont pas organisées alors qu’elles le devraient dans les associations d’au moins onze employés à temps plein. Donc on conseille aux salariés d’exiger la tenue de ces élections pour imposer un dialogue social. C’est leur droit. Les salariés d’une association sont indispensables à son fonctionnement. S’ils s’unissent, le rapport de force est en leur faveur. Et nous les encourageons à adhérer à Solidaires ASSO, parce que la protection syndicale peut leur permettre de faire grève et d’avoir des revendications plus facilement. De manière générale, plus on est nombreux, au sein de chaque association et dans la région, plus on peut se soutenir et plus on est puissants.
Conseil aux petites structures
Ce qui est nécessaire dans le contexte des associations, c’est aussi d’autonomiser les salariés. Notre but est de les former, de leur montrer quels sont leurs leviers d’action, pour qu’ils connaissent et revendiquent leurs droits. À titre d’illustration, ne pas être payé ou ne pas récupérer des heures supplémentaires, c’est illégal. Ces situations peuvent vite cesser si les personnes le demandent à leur employeur. Et si ce dernier refuse, elles peuvent appeler l’inspection du travail, ce qui contraint la direction de l’association à respecter le droit.
Les salariés d’associations de moins de onze employés ne peuvent pas avoir de CSE (comité social et économique, NDLR). Mais nous les appelons à voter, du 25 novembre au 9 décembre, pour les élections des représentants des TPE-TPA (très petites entreprises ou associations, NDLR) à la Commission paritaire interprofessionnelle régionale (CPIR). Cette instance intervient dans les conflits entre employeurs et salariés. Cela peut vraiment aider d’y être bien représentés, surtout dans les cas où les salariés sont isolés face à leur direction.
Chargement des commentaires…