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Iphigénie en Tauride au TNS : le pouvoir pacificateur de la parole, face à la fatalité de la violence

Jean-Pierre Vincent, ancien directeur du TNS, ouvre cette nouvelle saison avec la création de la pièce de Goethe Iphigénie en Tauride. Militant et pacifiste par le biais de la figure féminine d’Iphigénie, le spectacle plaide pour le pouvoir de la parole face à la fatalité de la violence. Happy end garanti.

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Cécile Garcia Fogel et Vincent Dissez en répétitions (Photo Fernandez Jean-Louis)

Dans la tragédie grecque d’Euripide, Iphigénie est le jouet des dieux et des hommes, dans la droite lignée de sa famille maudite, les Atrides. Dans la pièce de Goethe, elle prend son envol et sort de la destinée écrite pour elle. Condamnée à mort par son père pour obtenir des faveurs divines, sauvée in extremis par ces mêmes puissances célestes, réfugiée en exil dans un pays dont elle refuse – avec succès – les pratiques cruelles, l’Iphigénie de Goethe sort de la plainte pour donner place à la revendication.

Un « théâtre des passions positives » que Jean-Pierre Vincent considère « audacieux et revigorant, aujourd’hui plus que jamais. » Un théâtre militant et pédagogue, flirtant savamment avec une forme délibérément désuète et un jeu absolument contemporain.

Jean-Pierre Vincent en répétition avec les acteurs de "Iphigénie en Tauride" (Photo Fernandez Jean-Louis)
Jean-Pierre Vincent avec les acteurs de « Iphigénie en Tauride » (Photo Fernandez Jean-Louis)

Un autre monde est possible

C’est ce que semble affirmer Jean-Pierre Vincent en proposant sa lecture de l’Iphigénie en Tauride de Goethe aujourd’hui. La langue de Goethe résonne avec force, portée par la puissance du « Sturm und Drang » mais aussi par l’éclairage positif que les Lumières portent sur le monde. C’est une réponse au cynisme et aux cycles de violence dont nous avons quelque peu perdu l’habitude. Et, d’une certaine façon, un appel à l’action.

Les dieux sont présents. Mais Goethe les replace dans un statut de « croyance », puisque c’est avant tout par la parole des humains qu’ils apparaissent, et que celle-ci peut être remise en cause. Le libre-arbitre des personnages s’impose au fur et à mesure de la pièce, activé par Iphigénie, pour sortir du diktat et de la fatalité.

Iphigénie incarne une certaine forme de liberté qui s’impose à elle de façon viscérale, telle une nature profonde et indomptable. « Sturm und Drang » donc. Iphigénie s’adresse à Diane, déesse dont elle garde le temple :

« J’ai honte de te l’avouer, ô déesse,

C’est avec une répugnance muette que je te sers,

Toi qui m’as pourtant sauvée! Ma vie

Devrait être librement vouée à ton service. »

Iphigénie, championne féministe

Iphigénie est à elle seule la championne de plusieurs « causes » : celle des femmes et de la liberté, mais aussi celle des exilés. C’est avec une grande attention que Goethe revient régulièrement sur la condition de l’étranger en exil qui, sans pouvoir obtenir de réponses, s’interroge en permanence sur ce chez-soi, symbole de souvenirs, de joies et de souffrances, qu’il a laissé de l’autre côté de la mer. Et sur la violence du désir du retour.

Cécile Garcia Fogel et Vincent Dissez en répétitions (Photo Fernandez Jean-Louis)
Cécile Garcia Fogel, Iphigénie, et Vincent Dissez, Oreste. (Photo Fernandez Jean-Louis)

Le théâtre à l’ancienne

Il y a quelque chose de franchement désuet dans le décor de ce Iphigénie en Tauride. Des toiles peintes au mur du lointain et au sol, la silhouette découpée d’un pin maritime, quelques éléments de ruines antiques clairement identifiables. Un décor fait à la main, sans effets numériques complexes, sans fards d’aucune sorte.

Cette simplicité affichée est en cohérence avec la pièce de Goethe, qui se déroule dans un temps ramassé et dans un lieu unique. Il n’y a que cinq protagonistes, et ceux-ci évoluent dans un espace-temps presque identique à celui de la pièce. Le spectateur est là pour recueillir l’histoire qu’on lui raconte.

Quelques éléments du décor viennent troubler cette apparente simplicité – et rappeler que nous sommes en 2016, par la même occasion. C’est le cas, par exemple, d’une chaise bleue, incongrue, qui par sa présence même étonne et interroge. Comme si Jean-Pierre Vincent et son équipe s’amusait à égarer le spectateur dans un jeu des 7 erreurs. Il y a une forme de malice pétillante dans cette chaise.

Iphigénie et son frère Oreste (Photo Fernandez Jean-Louis)
Iphigénie et son frère Oreste – pendant les répétitions (Photo Fernandez Jean-Louis)

Des acteurs majeurs

Le contraste est assez saisissant entre la désuétude du décor et l’engagement très contemporain du jeu des acteurs. Concentrée sur le texte, qui donne une matière première savoureuse et riche, la performance des comédiens fait honneur à la musicalité de la parole. Aucun élément psychologisant ici, mais une force profilée par les mots et leur résonance dans l’espace.

Cette concentration sur le texte, ainsi que des mouvements corporels inattendus, donnent des effets comiques surprenants. Le public rit souvent, parfois franchement, étonné d’être amusé au moment où cela arrive. Ces instants qui semblent un peu « volés » donnent à l’ensemble une légèreté bienvenue.

Iphigénie en Tauride est considérée comme une pièce écrite en hommage aux femmes. Elle fait aussi porter une responsabilité majeure sur la comédienne qui incarne le rôle-titre. Celle-ci passe quasiment toute la pièce sur scène, soumise à une quantité de texte impressionnante. Cécile Garcia Fogel assume ce tour de force avec brio, en proposant une Iphigénie subtile, proche et décalée. Les quatre hommes qui l’accompagnent dans sa traversée sont eux aussi admirables.

Des applaudissements nourris ont accueillis les acteurs et toute l’équipe du spectacle lors de cette première strasbourgeoise. Cette soirée entame une série de représentations qui vont se poursuivre tout l’automne à travers la France, pour se terminer au Théâtre de la Ville à Paris à la fin de l’année.


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