Pia Imbs s’apprête à faire voter l’une des délibérations les plus importantes de la décennie pour les 33 communes. Le 15 octobre, le conseil de l’Eurométropole votera une délibération sur la Zone à Faibles Émissions (ZFE), c’est-à-dire l’interdiction progressive des véhicules les plus anciens à l’aide des vignettes Crit’air. L’Eurométropole n’est pas particulièrement pionnière. Plusieurs agglomérations polluées par les émissions des moteurs ont déjà engagé l’interdiction de voitures trop vieilles, estampillées de vignettes de catégorie 5 voire 4 (Paris, Lyon, Grenoble).
Une présidente, des feux contraires
La présidente de l’Eurométropole se trouve au milieu de feux contraires. À Strasbourg, des associations et collectifs demandent un calendrier plus rapide que celui proposé. Lors de la campagne électorale, les écologistes – avec qui la maire (sans étiquette) de Holtzheim s’était alliée – avaient promis de respecter le calendrier qu’ils avaient voté avec leurs collègues strasbourgeois (socialistes et marcheurs, la droite s’était abstenue) lors du mandat précédent. Il prévoyait l’interdiction des véhicules Crit’air 2 dès 2025. Mais plusieurs maires de droite et du centre de l’Eurométropole sont réticents à voir cette ZFE s’appliquer, car elle contraint les propriétaires de voitures plus anciennes.
Au-delà du politique, il y a la récente loi Climat qui impose un calendrier minimal à 45 agglomérations, dont Strasbourg et Mulhouse en Alsace. Cette loi a poussé la majorité de Pia Imbs à accélérer son calendrier, qui initialement ne comptait interdire les Crit’air 3 qu’en 2027. L’Eurométropole Strasbourg compte instaurer des phases pédagogiques avec la perspective d’interdire les Crit’air 2 en 2028.
« Une question d’attractivité »
Le 1er octobre, Pia Imbs doit présenter le détail des aides et des exceptions qu’elle compte soumettre au vote des 99 élus et élues de l’Eurométropole. Avant cette échéance, et d’ultimes négociations, elle détaille sa position à Rue89 Strasbourg.
Rue89 Strasbourg : Pourquoi faire une ZFE dans toute l’Eurométropole de Strasbourg ?
Pia Imbs : C’est une question de santé publique, au regard de la qualité de l’air, et une problématique réglementaire, puisque Strasbourg dépasse les normes européennes et que la loi Climat impose un calendrier.
La qualité de l’air est aussi une question d’attractivité pour l’Eurométropole, ses habitants et les entreprises. Cette ZFE intervient alors que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) vient de durcir ses valeurs guide. Lors du mandat précédent, le Plan Climat 2030, voté à l’unanimité, donnait comme objectif d’atteindre les normes de l’OMS. Notre mandat vise à atteindre les objectifs du Plan Climat.
Dès le début, nous avons été pour des phases pédagogiques avant l’interdiction stricte des véhicules. La loi réduit la durée de ces phases de tolérance à un an maximum. J’avais écrit aux parlementaires pour leur demander de tenir compte de cette situation, mais cela n’a pas été suivi. Dont acte.
Que vous ont apporté les réflexions avec les maires, puis la population ?
La concertation nous a poussé à augmenter les aides à l’achat pour celles et ceux qui ne peuvent se passer de leur véhicule. Nous n’avons jamais dit que la ZFE était la suppression de la voiture. Nous avions prévu un montant de 15 millions d’euros, que nous allons augmenter à 50 millions d’euros, répartis jusqu’en 2026. Les aides seront ciblées sur les ménages les plus fragiles, selon le revenu fiscal, et cumulables avec celles de l’État qui sont encore peu connues. Elles seront complémentaires, car il y a peu d’aide pour les biocarburants, le « rétrofit » (conversion d’un moteur thermique en électrique ndlr) ou pour les véhicules d’occasion.
« Je ne souhaite empêcher aucun acteur économique de travailler »
En plus des dérogations nationales, il y aura des dérogations locales, notamment pour les professionnels. Pour les grues ou les pelleteuses, le véhicule propre n’existe pas encore. Je ne souhaite empêcher aucun acteur économique de travailler dans l’Eurométropole.
Nous aurons deux périodes d’évaluation de la qualité de l’air. Une première, fin 2024, pour savoir s’il faut accélérer le calendrier et une autre fin 2026, pour jauger la pertinence de l’interdiction des véhicules Crit’air 2. Cette deuxième évaluation interviendra donc après les prochaines élections municipales et euro-métropolitaines.
Quel a été votre cheminement par rapport à ce qui avait été voté en 2019 ?
Fin 2019, une délibération avait été votée qui ne mentionnait que des interdictions « entre 2023 et 2030 au plus tard ». Je m’étais abstenue, car il n’y avait pas de calendrier précis pour les Crit’air 2, 3 et 4, pas de mesures d’accompagnement et pas de consultation. Aujourd’hui, nous avons les trois. La consultation avec le public a permis de recueillir plus de 10 000 participations et 230 propositions. Nous avons échangé avec les chambres de Commerce, de l’Industrie, de l’Artisanat et d’Agriculture.
Et nous avons consulté les élus comme jamais : sept conférences des maires ont été consacrées uniquement à ce sujet. J’ai présenté notre stratégie aux élus des agglomérations voisines et à Kehl. Aujourd’hui, des maires qui avaient voté cette délibération imprécise en 2019 s’opposent à la ZFE. Ils étaient plus à l’aise dans l’affichage que dans la concrétisation.
La question des Crit’air 2 tranchée après les élections de 2026
Si une majorité de maires le réclament, ils peuvent reprendre le pouvoir de police que vous confère la nouvelle loi et signer eux-mêmes les arrêtés pour la ZFE dans leur commune. Craignez-vous cette situation ?
Il faut sortir de polémiques politiciennes. Certains maires disent, à juste titre, qu’ils n’ont pas fait campagne sur l’interdiction des Crit’air. Je mettrai dans l’arrêté, qui doit être signé entre le 15 et le 31 décembre 2021, le contenu de la loi, c’est-à-dire l’interdiction des Crit’air 3 en 2025. Pour les Crit’air 2, je m’engage à mettre la position de chaque maire. Certains souhaitent déjà se positionner pour l’interdiction des Crit’air 2 en 2028, d’autres non. Je rappelle que c’est dans sept ans ! Dans tous les cas, il faudra un nouvel arrêté en 2027, c’est-à-dire après les élections locales de 2026.
Si le pouvoir de police revient aux maires, avec des règles différentes d’une commune à l’autre, ce sera la cacophonie pour les habitants. On nous a d’abord reproché d’avoir un calendrier plus lent que la loi en prévision et maintenant, on nous reprocherait d’appliquer la loi ? C’est avant tout un jeu de posture.
Au contraire, des associations environnementales ou de médecins estiment que vous pourriez aller plus vite, ou avoir un calendrier différencié entre Strasbourg et les communes périphériques.
Je peux le comprendre. Mon rôle est d’emmener le plus grand nombre. Une politique non-concertée ne serait pas suivie.
L’A35 concernée, pas le GCO
Quel sera le périmètre exact ?
L’A35 figurera dans son intégralité dans l’arrêté. C’est au bord de cet axe que l’air est le plus pollué au dioxyde d’azote (NO2). En revanche, on ne peut pas intégrer le Contournement Ouest ou la rocade Sud, car ce sont des axes sur lesquels on accède en dehors de l’Eurométropole. Ce qui peut faire grincer des dents, car les habitants le long de ces routes ont le sentiment d’être moins protégés.
Comment se feront les contrôles ?
Il n’y a toujours pas de contrôle automatisé. Ce sera aux équipes de la police nationale de les faire sur le terrain. On demandera aussi aux policiers de participer à la phase pédagogique. La police municipale de chaque commune pourra enfin procéder à des contrôles, selon les consignes de chaque maire.
« Des sommes conséquentes » pour changer de voiture
Tout le monde ne connaît pas la ZFE et les aides existantes, comment comptez-vous informer tous ceux concernés par les aides ?
Nous prévoyons de revenir vers la population avec une communication spécifique sur la ZFE et une brochure avant la fin de l’année. La nouvelle Agence pour le Climat sera la porte d’entrée unique pour savoir à quelles aides chacun a droit et comment y accéder. En additionnant les montants, ce sera des sommes conséquentes.
Nous proposons aussi un « chèque mobilité » pour celles et ceux qui abandonnent la voiture. Car en dehors du remplacement de véhicules, nous voulons développer le covoiturage et surtout nous investissons massivement dans les transports en commun à hauteur de 500 millions d’euros sur le mandat. Il y a les trois extensions de tram, le Réseau Express Métropolitain (REM) de trains avec la Région Grand Est ou le bus Transport en site propre (TSPO) du Kochersberg jusqu’aux Halles, ainsi que les transports gratuits pour les moins de 18 ans qui pourront changer les habitudes ou encore 100 millions d’euros pour 120 kilomètres de pistes cyclables.
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