Élue maire de Holtzheim en 2014, Pia Imbs n’a pas été associée à la coalition droite-gauche mise en place alors à l’Eurométropole de Strasbourg. Son groupe fondé en cours de mandat « Pour une Eurométropole équilibrée » n’avait aucun conseiller délégué, ni de vice-président. Au lendemain des élections municipales, cette docteure en économie compte proposer une gouvernance qui associe les 33 communes.
Elle travaille déjà avec d’autres maires et candidats sur un projet qu’elle compte approfondir une fois la majorité strasbourgeoise élue. Dans ce long entretien, elle présente son projet pour la première fois.
Rue89 Strasbourg : Depuis la deuxième couronne, comment observe-t-on ces élections disputées à Strasbourg ?
Pia Imbs : « Les candidats à Strasbourg sont beaucoup questionnés sur des sujets comme les transports, l’urbanisme, l’habitat, la zone à faibles émissions (ZFE), le stade de la Meinau, etc. Ils prennent un certain nombre de positions mais ce sont des champs de compétences de l’Eurométropole, pour laquelle un nouvel exécutif sera installé en avril par les représentants des 33 communes, 50 de Strasbourg et 50 des autres communes. Au lendemain du deuxième tour, il y aura bien un troisième tour, où ces choix devront être redébattus. Strasbourg est une locomotive, mais les communes ne veulent pas seulement être des wagons.
Ce troisième tour, vous y avez déjà réfléchi ?
Avec un vingtaine de maires et têtes de listes, nous réfléchissons dès à présent à une évolution de la gouvernance. Il ressort déjà une idée forte : nous souhaitons que la présidence de l’Eurométropole soit portée par une commune de première ou de seconde couronne. C’est le cas dans la moitié des métropoles en France.
« Déconcentrer l’administration dans les communes »
L’Eurométropole de Strasbourg va continuer à se développer, surtout en première et en deuxième couronne. Cette présidence d’une autre commune que Strasbourg permettra une meilleure acceptation et une meilleure compréhension de la réalité des communes, ainsi que de nos moyens. Deux tiers des communes de l’Eurométropole comptent moins de 6 000 habitants. Nous attendons une gouvernance plus proche des maires et plus participative, où Strasbourg aurait toute sa place. Voici la réflexion que je porte. J’aimerais que plus d’élus adhérent à cette vision au lendemain des 15 et 22 mars.
Quel est votre projet ?
Nous avons six valeurs. D’abord, une métropole qui rapproche ses décisions du terrain. Cette gouvernance impliquerait une déconcentration de l’administration, en détachant du personnel dans nos communes. À Bordeaux ou Nantes, il existe une gouvernance par bassins de vie. À Strasbourg, ce serait, le Sud, le Nord, l’Ouest et Strasbourg, qui devrait plus regarder vers le bassin rhénan. Les objectifs seraient fixés sur ces périmètres. Enfin, il faudrait tisser des liens avec les autres agglomérations et la future collectivité d’Alsace.
Aussi, on pourrait davantage partager les innovations respectives. Ma commune teste l’apport volontaire des déchets alimentaires en conteneur. À Eschau, j’apprends qu’il y a une expérience qui oblige les énergéticiens à prendre en charge des investissements plus économes. Ce sont des initiatives qui devraient inspirer toute l’Eurométropole.
Nous voulons aussi une métropole plus participative, avec pourquoi pas un budget participatif et d’autres missions pour le conseil de développement, notamment dans la comparaison avec d’autres villes.
Un autre axe est d’avoir une métropole plus équitable. La politique sportive, culturelle ou touristique doit profiter à toutes les communes, même quand nos associations sportives ne sont pas dans l’élite. Même des Strasbourgeois commencent à le dire ! Je suis favorable à plus de mutualisations, comme je l’ai fait à Holtzheim et d’autres communes avec un poste de policier municipal ou une responsable d’un relais d’assistance maternelle.
Nous aimerions une métropole plus solidaire. L’Eurométropole a poussé des communes à construire plus, car il y a des besoins de logements. Cela implique des équipements sportifs et scolaires pour lesquels l’accompagnement financier n’existe pas toujours. Des communes en zone inondable ne peuvent plus construire des logements aidés, mais sont sanctionnés pour leurs carences. Peut-être faudrait-il mutualiser ces objectifs par bassin de vie.
« Les mobilités devraient être la priorité »
Une Eurométropole plus rhénane est nécessaire. Dans le mandat passé, on n’a pas trop senti la dimension « euro » dans Eurométropole. Il faut davantage de dialogue avec les grandes villes allemandes.
Enfin, une métropole plus verte est un sujet de consensus. Il faut pouvoir réaliser ce Plan Climat qui est pertinent. Comment allons-nous réviser le Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) ? L’économie circulaire et la qualité de l’air concernent toutes nos communes, mais elles ont besoin d’accompagnement pour le montage de dossiers. Il y a aussi les questions de l’énergie et des déchets. Il faut nous questionner sur la sécurité alimentaire, on est en plein dans ce sujet avec la crise du coronavirus. L’agriculture est un acteur économique majeur. Pourquoi ne pas transformer des zones d’activités économiques en zone agricole pour développer des circuits courts ?
Mais la priorité, toujours liée au Plan Climat, devrait assurément être les mobilités. Elles impliquent des infrastructures lourdes. Nous avons voté un plan de pistes cyclables mais pas son financement, ni son calendrier. Le réseau express métropolitain ou les aires de covoiturage font consensus chez tous les maires. Ces sujets permettent de ne pas oublier qu’il y a une troisième couronne, avec des personnes qui viennent en voiture pour travailler dans la métropole.
Je ne veux pas aller plus loin, car je ne veux pas plaquer un programme, mais rassembler. C’est une vision large, qui doit encore être travaillée avec ceux qui vont être élus les 15 et 22 mars. Si on est d’accord sur les valeurs, on peut ensuite fixer une stratégie et donc des priorités pour le mandat.
Comment comptez vous vous y prendre ?
Il faut d’abord rassembler les 33 maires autour de ces valeurs. Ils ont toute la légitimité puisqu’ils sont élus au suffrage universel. Les projets de chaque candidat aux municipales sont liés aux décisions de la métropole. Puis, il faudra rédiger une feuille de route commune et se mettre d’accord entre le 23 mars et l’installation du conseil de l’Eurométropole en avril. Il faut se donner ce temps qu’il n’y a pas eu en 2014. Si on est d’accord sur les valeurs, il en découlera un budget et des priorités, et non un jeu de répartition de postes.
« Un projet moins court-termiste »
Vous souhaitez une gouvernance à 33, mais comment faire quand il y a des divergences ? Il y a eu par exemple des désaccords entre maires sur le deuxième tram au nord…
Le débat doit exister pour trouver un consensus. C’est l’intérêt de fixer des priorités avant le mandat, pour que l’on puisse avoir un objectif. Il faut ensuite que les élus soient investis dans des commissions thématiques, comme nous le faisons dans nos communes. Dans le cas du tram nord, ce serait celle des transports.
Mieux associer les maires, c’était déjà l’idée de la gouvernance gauche-droite en 2014 du président Robert Herrmann (PS). Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné d’après vous ?
La gouvernance passée a réussi de belles choses, tout n’est pas à jeter. Mais il faut l’améliorer. La coalition montre que l’Eurométropole n’a pas forcément une forte couleur politique. Mais il faut d’abord un projet commun, plus fourni et moins court-termiste.
« A35 : Nous avons voté des études, mais pas de mesures »
La conférence des maires était plutôt informative qu’un lieu de débat, alors que les 33 communes veulent donner leur avis. Les délibérations sont présentées parfois à la presse avant leur vote en conseil de l’Eurométropole qui, avec 100 élus, n’est pas vraiment une enceinte de débat. Aussi, nous manquons d’évaluation des politiques que l’on a mises en place.
Quels sont les exemples de dossiers qui ont motivé votre réflexion ?
Sur la Zone à faible émission et les vignettes Crit’air, il n’y a pas eu de position commune. Strasbourg a très vite donné un calendrier (limiter la circulation aux voitures Crit’air 1 en 2025, ndlr), puis l’Eurométropole ne parlait pas de la même voix (limiter la circulation aux voitures Crit’air 1 en 2030). Faisons un inventaire du parc automobile existant, de la pédagogie sur les effets nocifs du diesel sur la santé. Des habitants sont encore convaincus que leur dernier diesel est plus propre que l’essence. Une fois que l’on a cette information, on peut voter un calendrier, mais aussi les mesures d’accompagnement pour chaque commune. Ces dernières doivent être dans la participation et non l’exécution.
Sur la zone commerciale nord, le débat a débuté seulement lorsque la première délibération a été soumise au vote. Mais c’était déjà trop tard…
Nous avons aussi voté des études pour la transformation de l’A35 en boulevard urbain. Je me réjouis qu’il soit appelé à devenir un poumon vert, mais nous n’avons jamais discuté des mesures pour faire diminuer le trafic, ni du budget ni du planning. »
Chargement des commentaires…