Dans la nuit du 14 au 15 novembre, Eric W. est décédé à côté de sa tente, à proximité du stade Vauban. Selon le collectif Grain de sable, il est le cinquième sans-abri à mourir dans les rues de Strasbourg en 2021. Face à ce drame, l’adjointe à la Ville de Strasbourg en charge de la solidarité et la vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg en charge de l’hébergement d’urgence réagissent auprès de Rue89 Strasbourg. Les deux élues de la majorité écologiste, Floriane Varieras et Suzanne Brolly, dénoncent le désengagement de l’Etat face aux besoins des personnes sans-abri à l’approche de la période hivernale.
Rue89 Strasbourg : Dans la nuit du 14 au 15 décembre, une personne sans-abri est décédée à Strasbourg. Comment réagissez-vous face à ce drame ?
Suzanne Brolly : Notre majorité n’accepte pas qu’il y ait des personnes dans la rue, peu importe leurs origines, leur âge, leur couleur, ou leur nationalité. Dans cette approche face aux personnes sans-abri, nous avons une première différence. L’État trie celles et ceux qu’il accompagne tandis que notre solidarité est inconditionnelle.
Floriane Varieras : Aujourd’hui, nous sommes inquiètes. Les années précédentes, l’État déployait plus de moyens d’hébergement d’urgence à l’approche de l’hiver. Mais les directives nationales ont mis fin au plan hivernal. Alors que les températures baissent de plus en plus, nous ne remarquons pas d’augmentation de moyens d’accueil de la part de l’État. Des places ont été débloquées pour les personnes isolées, mais aucune pour les familles.
Une baisse des places annoncées
Vous constatez actuellement un désengagement de l’État face au sans-abrisme ?
Floriane Varieras : La situation actuelle est urgente, on arrive dans le dur de l’hiver. Pourtant les signaux nationaux et locaux renvoyés, par le gouvernement et la préfecture, ne sont pas rassurants. La politique de la ministre chargée du Logement, Emmanuelle Wargon, va baisser le nombre de places d’hébergement d’urgence. L’objectif national est de passer de 205 000 places à 190 000 l’année prochaine.
Les places ciblées par cette baisse sont les places que l’on appelle en Alsace « les ménages à droits incomplets », en gros les familles qui sont déboutées du droit d’asile et qui sont en situation administrative pas forcément régulière. Nous disons « à droits incomplets », parce que les enfants ont le devoir d’être scolarisés par exemple, en raison de la Convention internationale du droit des enfants. Nous essayons, par le droit des enfants, de défendre les droits des parents. C’était une décision qui avait été approuvée par la préfecture en son temps.
Suzanne Brolly : Ce qui nous tient à cœur, c’est qu’il y ait une mobilisation beaucoup plus importante et à la hauteur des enjeux. Le combat qu’on mène c’est pour sortir les personnes de la rue et qu’il n’y ait plus de mort. Pendant la crise sanitaire, on a pu constater des efforts sans précédent en matière de solidarité. Donc on attend à la fois de la Collectivité européenne d’Alsace mais aussi de l’État que qu’ils se mobilisent beaucoup plus.
Quelle est la situation actuelle du sans-abrisme à Strasbourg ?
Suzanne Brolly : Aujourd’hui, il y a 52 sites qui ont été identifiés avec des campements ou des cabanes. Parmi les familles qui y sont, il y a 23 familles qui ont été déboutées du droit d’asile. Donc ces 23 familles n’ont pas d’alternative aujourd’hui, elles sont sans droit. On a aussi 13 autres familles parmi lesquelles 9 sont en procédure de demande d’asile, mais en attendant, elles sont quand même à la rue.
45 enfants à la rue début novembre
Floriane Varieras : Dans la semaine du 1er au 7 novembre, on dénombrait 45 enfants à la rue à Strasbourg. Aujourd’hui on se retrouve sans solution pour les familles, à l’approche de l’hiver. Il y a toujours les nuitées hôtelières qui permettent de s’adapter dans l’urgence. Il y avait 2 500 personnes à l’hôtel la nuit du 7 au 8 novembre. Mais à 10 jours du marché de Noël, on a de vraies inquiétudes parce que les chambres d’hôtel se font rares.
L’hébergement d’urgence relève d’une compétence de l’État. Cela signifie que vous n’avez aucun moyen d’agir pour aider les personnes sans-abris ?
Floriane Varieras : Depuis le début du mandat, la Ville de Strasbourg a créé 194 places d’hébergement d’urgence et l’Eurométropole a financé 190 places. Mais toutes les places votées sont déjà prises, ça ne va pas suffire.
Suzanne Brolly : La Ville et l’Eurométropole de Strasbourg viennent en renfort par rapport aux dispositifs existants liés aux compétences de l’État et du département. Nous proposons des solutions d’hébergements d’urgence, ce qui n’est pas habituel pour des collectivités, parce que le nombre de personnes à la rue aujourd’hui ne va pas cesser d’augmenter. On tient à ce que la ville reste hospitalière et c’est aussi notre responsabilité de leur trouver un logement.
« Le dialogue se limite à de la technique »
Les particuliers aussi peuvent se mobiliser : nous sommes à la recherche de logements à mobiliser pour y mettre des personnes qui sont à la rue. Il y a un accompagnement qui est fait par les associations dans le cadre de la démarche « logement d’abord ».
Floriane Varieras : Nous sommes aussi à la recherche de bâtiments intercalaires. C’est l’exemple de l’hôtel de la rue, dans le parc Gruber. L’idée c’est de pouvoir repérer de gros bâtiments vides pour permettre de plus grandes opérations d’hébergement dans les meilleures conditions de sécurité possibles.
Mais ces politiques ne peuvent suffire à mettre tout le monde à l’abri…
Floriane Varieras : Nous nous sentons démunis et souhaitons vraiment collaborer avec l’État sur cette question. Le dialogue est très compliqué, parce qu’il se limite à la technique, ce qui a été demandé par Josiane Chevalier, la préfète du Bas-Rhin. Se limiter à de la technique sur ce sujet, c’est aussi une position politique. La conséquence, c’est que l’on se retrouve sans solutions pour les familles à l’approche de l’hiver.
Un recours contre une délibération de l’Eurométropole
Suzanne Brolly : Nous ne voulons pas d’approche technocrate où l’on raisonne avec un cahier des charges pour savoir si une personne a le droit ou non à un toit. Cela n’est pas acceptable. Par exemple, la préfecture a engagé un recours gracieux contre notre délibération à l’Eurométropole sur la création de places d’hébergement d’urgence. Elle la conteste sur une question technique des compétences. Ce n’est pas un bon signal.
Malgré nos efforts avec les places d’hébergement d’urgence créées, les postes supplémentaires pour les équipes de maraude ou le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS), cela ne suffit pas à faire face au besoin immédiat. Nous n’avons aucune idée de ce qui va se passer pour toutes ces personnes qui sont à la rue. Combien de morts va-t-on devoir dénombrer avant qu’il y ait une action forte ? Un mort, c’est déjà beaucoup trop.
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