Ce soir de début juin, l’air est si étouffant que toutes les fenêtres des studios des Vieux Arts sont grandes ouvertes. L’endroit, niché juste au-dessus de la gare SNCF de Vendenheim, vit aux rythmes des enregistrements studios, des productions vidéos et du vacarme des trains qui passent presque tout les quarts d’heure.
T-shirt blanc, pantalon à poches, baskets aux pieds, le comédien strasbourgeois Hugo Roth Raza et son équipe, le réalisateur Tim Rigaud et l’ingénieur du son Vincent « Vins » Olivera, ne se laissent pas perturber par le ronronnement des wagons. Les trois amis planchent sur la toute dernière vidéo qu’ils ont tourné dans la journée : une parodie du morceau Médicament, des rappeurs Niska et Booba, rebaptisé Compléments.
La vidéo de plus d’une minute, tournée au Fitness Park de la commune voisine de Lampertheim, met en scène la galère d’un bonhomme qui n’arrive pas à se forger le corps d’Apollon dont il rêve avant l’été.
Depuis sa mise en ligne sur YouTube il y a dix jours, la parodie a dépassé les 350 000 vues et a été partagée par Niska lui-même, agrémentée de ce petit commentaire : « Des barres ». Autrement dit « très drôle ».
Mais il y a un mois, c’est avec sa parodie du titre Au DD, du groupe de rap PNL, qu’Hugo Roth Raza a créé le buzz sur internet. En une journée, la vidéo s’est hissée dans le top 5 des vidéos les plus regardées sur YouTube. À ce jour, le morceau, renommé T’es suspect, a dépassé les 1,7 million de vues :
Princesse désenchantée et stupéfiants
Alors qu’un train passe à nouveau au pied du studio, il élève la voix pour expliquer que ce succès l’a surpris : « J’ai eu un sentiment de gratitude, c’était trop bien. Selon moi, la parodie de Au DD est la meilleure vidéo qu’on ait faite ». Comédie, humour, vidéo, musique : le Strasbourgeois assume volontiers un coté inclassable, expliquant que les parodies lui permettent d’allier toutes ses passions.
Inclassable aussi lorsqu’on lui demande son âge : « Je déteste qu’on me pose cette question ». Tout juste préciserons-nous qu’il a entre 20 et 30 ans. « Ce n’est pas une coquetterie, mais pour moi, définir qui tu es par rapport à ton âge n’a pas d’importance », corrige-t-il.
Dans son travail parodique, ce comédien sans âge crée des effets de décalage entre les textes qu’il écrit et les personnages qu’il incarne. Dans la parodie de Khapta, l’héroïne de dessins animés pour enfants Dora l’exploratrice devient une dealeuse de shit en bas des blocs, affublée d’un glock à la ceinture. Sur un air de Air Max, Blanche-Neige est une princesse désenchantée de l’amour qui carbure aux stupéfiants. Dans la récente parodie de Au DD de PNL, il joue un policier pas très net qui arrête une petite fille à vélo… pour excès de vitesse. En neuf mois, Hugo Roth Raza et son équipe ont réalisé pas moins de 16 vidéos. Sur sa chaîne YouTube, le compteur affiche désormais près de 230 000 abonnés.
Conscient de la lumière que ses parodies jettent sur lui, le bonhomme rappelle que l’humour est un genre qui se travaille. Ainsi, entre l’exercice de réécriture, l’enregistrement de la musique, le tournage et l’implication d’une troupe de danseurs, le clip de T’es suspect a nécessité un mois de travail, pour un rendu final de 2 minutes et 19 secondes.
Coup de foudre pour le théâtre d’impro à 18 ans
Aussi loin qu’il s’en souvienne, Hugo Roth Raza a toujours voulu être comédien. Passé par le lycée professionnel Gutenberg à Illkirch-Graffenstaden, il obtient son bac pour rassurer sa mère mais a déjà autre chose en tête. À 18 ans, il a le coup de foudre pour le théâtre d’improvisation :
« Quelqu’un m’en avait parlé, mais je ne savais pas du tout ce que c’était. Quand j’ai vu à quoi ça ressemblait, je me suis dit que ça allait vraiment trop bien. »
Le Strasbourgeois qui a grandi près du quartier gare fait ses premières armes à la Lolita (Ligue Ouverte et Libre d’Improvisation Théâtrale Amateur). En 2012, avec des collègues acteurs, il monte la compagnie La Carpe Haute, basée Plaine des Bouchers, à la Meinau. Sans regret pour le théâtre classique :
« J’ai beaucoup plus d’adrénaline avec le théâtre d’improvisation. En impro, quand tu montes sur la scène, tu ne sais pas à quoi t’attendre et quand c’est le feu, t’en ressors, t’es excité… Dans le théâtre traditionnel, tu ne fais pas travailler ton cerveau de la même manière. »
Coach de l’équipe junior de sa compagnie, il a à coeur de transmettre son savoir artistique, ses valeurs et celles de La Carpe Haute, à savoir « simples, barrés, positifs ».
En octobre 2018, avec les membres de sa compagnie, il a remporté la Coupe de France d’impro qui était organisée à Strasbourg. « On a fait un battle de rap. Je l’ai en vidéo, il faut vraiment que la sorte ! », lâche-t-il soudainement.
Plus jeune, il a bercé ses oreilles aux groupes de rap strasbourgeois tels que La Mixture ou les N.A.P, dont est issu Abd Al Malik. Adolescent, il a monté un groupe de rap, Nunca Mas, avec son acolyte Tim, et a fait quelques scènes en Alsace. Une expérience qui facilite selon lui la réécriture et les imitations pour se réapproprier le « flow », le débit de paroles, des rappeurs qu’il pastiche.
Le masque et le spleen
Une fois les déguisements et les perruques mis de côté, Hugo Roth Raza admet que l’humour est aussi un échappatoire :
« C’est un masque. Et ça ne m’intéresse pas d’être sans ce masque. Je ne me cache pas derrière l’humour non plus, c’est un truc qui fait partie de moi. Mais ce n’est pas parce qu’un mec fait rire tout le temps que tout va toujours bien dans sa vie… »
Paradoxalement, ce sont dans ses moments de spleen que l’inspiration est la plus prolifique. « C’est bizarre, hein ? », interroge-t-il.
Son premier sketch remonte à la classe de CM1. Il racontait l’histoire improbable d’un client de taxi qui souhaitait aller jusqu’à Madagascar alors que le chauffeur voulait aller à Schiltigheim. « Un truc déjà bien barré », commente Hugo Roth Raza. Une fois, il a croisé l’institutrice qui l’avait fait jouer sur scène. « Elle m’a demandé si je faisais du théâtre. Je lui ai répondu que j’étais comédien. Elle m’a répondu “je le savais”, comme si elle s’en était toujours doutée », sourit le Strasbourgeois.
« Je peux quand même dire que j’ai fais danser Kamel Ouali ! »
En 2011, avec le personnage de Mémé Gangsta, il a participé à l’émission La France a un incroyable talent sur M6. Après son premier passage en direct, le chorégraphe Kamel Ouali et le magicien Éric Antoine sont debout, hilares. « Je peux quand même dire que j’ai fais danser Kamel Ouali », se vante l’Alsacien qui n’ira pas au bout de l’aventure. Aujourd’hui, il vit à la Meinau et se souvient avoir tenté l’aventure à Paris en 2016 :
« Quand t’es personne et que t’as rien fait, personne ne s’intéresse à toi. Pour avoir un agent, il faut faire du cinéma. Mais pour faire du cinéma, il faut avoir un agent. C’est un milieu tellement fermé… Au bout d’un an, je suis rentré à Strasbourg et j’ai bien fait ! »
Depuis ses récents cartons sur internet, le comédien est davantage sollicité pour participer à des spectacles. De quoi le rassurer pour conserver son statut d’intermittent du spectacle qui lui impose d’obtenir au moins 43 cachets dans l’année. Sur YouTube, ses vidéos sont monétisées mais ne génèrent pas « une grande rentrée d’argent », concède-t-il, évasif. Il n’en dira pas plus.
Jeudi 20 juin, il a dévoilé sa dernière parodie : un surveillant d’une session du baccalauréat qui pète un câble sur un air de Balance ton quoi, de la chanteuse belge Angèle. En une nuit, le clip de l’inclassable comédien s’est classé numéro un des vidéos les plus tendances sur YouTube.
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