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« Il aidait beaucoup sa mère » : une marche blanche pour rendre hommage à Enzo, mort noyé après avoir fui la police

Mardi 25 avril, une cinquantaine de personnes ont participé à une marche blanche en hommage à Enzo. L’adolescent de 17 ans, originaire de la cité de l’Ill, est décédé après avoir fui la police en sautant dans la rivière de l’Ill. Sa mère a déposé plainte pour « non assistance à personne en danger ».

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« Il aidait beaucoup sa mère » : une marche blanche pour rendre hommage à Enzo, mort noyé après avoir fui la police

Peu avant 15 heures, mardi 25 avril, cinq femmes discutent à voix basse. Elles attendent le début de la marche blanche sur le parking du stade de la Thur, dans le quartier de la cité de l’Ill à Strasbourg. « Il a grandi avec nous ce jeune », souffle Déborah qui habite à l’autre bout de Strasbourg, dans un autre quartier populaire, celui du Neuhof. Elle est venue en bus malgré la distance car « quand il arrive un drame, c’est normal d’être solidaire ». Le parking se remplit petit à petit, de nombreux manifestants portent des t-shirts blancs avec une inscription noire : « Justice pour Enzo ». À quelques mètres du point de rassemblement, Enzo s’est jeté dans la rivière de l’Ill pour fuir des agents de la brigade anticriminalité.

Sur le parking du stade de la Thur à la Cité de l’Ill, les soutiens sont pudiques avant le début de la marche et l’émotion plane. Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

Des t-shirts blancs et une inscription : « Justice pour Enzo »

Dimanche 2 avril après 23 heures, Enzo se trouve à bord d’une voiture volée. Des agents de la bac repèrent le véhicule et « décident de procéder à son contrôle ». Les jeunes à bord sortent de la voiture, prennent la fuite rue de la Doller et se dispersent, selon le parquet de Strasbourg. Enzo saute dans la rivière de l’Ill et n’en ressort pas. Un corps est retrouvé 16 jours plus tard, le mardi 18 avril. Il faudra encore attendre deux jours pour identifier le jeune Enzo.

Pendant les deux semaines qui ont précédé Déborah était déjà mobilisée lors des battues organisées pour retrouver le garçon de 17 ans. La mobilisation était d’autant plus importante qu’Enzo était connu dans le quartier. « C’est un gamin comique, cascadeur, parfois un peu chiant mais toujours souriant », explique-t-elle avant d’ajouter : « Il était poli, vraiment pas un casseur ». Pendant ce temps sur le terrain de foot voisin, un entraîneur de l’Association Sportive Éducative Cité de l’Ill interpelle la tante d’Enzo. « On veut faire une minute de silence avant le début du match », explique-t-il en l’emmenant à la rencontre des apprenties joueuses.

Avant la marche, la tante d’Enzo va à la rencontre de footballeuses amateures qui font une minute de silence en souvenir de l’adolescent. Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

« Il nous faut des réponses »

Puis la cinquantaine de personnes se dirigent vers la rivière de l’Ill. « Que s’est-t-il passé le 2 avril? », demande Edson, porte-parole de la famille, tout en désignant le lieu où le jeune homme est tombé. À une centaine de mètres du parking du stade de la Thur, l’herbe est haute et le rivage mal défini. Un chemin serpente le long de l’eau, au milieu des arbres tombants et des barrières de jardins privatifs. L’assemblée forme un cercle face au cours d’eau. « Nous avons 17 roses blanches que nous allons mettre à l’eau, une pour chaque année de sa vie », poursuit Edson avant de revenir sur le déroulement de la soirée du 2 avril.

« Nous sommes prêts à accepter le décès d’Enzo mais il nous faut des réponses », souffle Francky, un oncle du jeune homme. Samedi 8 avril, la mère d’Enzo a déposé plainte contre X pour « non-assistance à personne en danger » en visant « le policier ayant vu son fils se jeter à l’eau sans lui porter secours », selon ses déclarations et le communiqué du parquet. 

Un grand frère aux petits soins

Sous le ciel gris d’un temps pluvieux, toutes et tous respectent la minute de silence. Les regards sont bas et les émotions pudiques. Soixante secondes plus tard, certains tentent d’applaudir. « La famille a besoin de soutien et de se sentir entendue. Elle se demande pourquoi c’est par voie de presse qu’elle a appris que le corps retrouvé était bien celui d’Enzo », clame Edson. Derrière lui, dos à la rivière, la famille se tient silencieuse, têtes baissées.

Pour commencer l’hommage, la famille se rend sur les berges de l’Ill, à 300 mètres de l’endroit où le corps du jeune homme a été découvert, deux semaines après sa disparition. Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

« Il était un peu perdu, mais comme plein d’autres jeunes »

Alors que le petit groupe reprend la direction du parking pour entamer la marche blanche, Angelo, un autre oncle, rassemble ses pensées. « Je venais de trouver un patron qui acceptait de prendre Enzo en apprentissage », souffle-t-il, capuche sur la tête. Le jeune homme aurait pu apprendre un métier dans une boulangerie près de chez eux. « Il aimait bien les croissants et ce genre de choses », se souvient Angelo. Il en est convaincu, son neveu était déterminé à devenir boulanger, même s’il était encore déscolarisé : « Il était un peu perdu, mais comme plein d’autres jeunes », estime-t-il en refoulant des larmes.

Angelo a du mal à imaginer son neveu courir pour échapper à la police. « Il prenait surtout soin de sa famille et de moi aussi, pour les courses, le ménage, c’était pas un jeune qui fuyait quoi que ce soit », poursuit-il, la voix coupée. Selon lui, Enzo savait nager. « On a tous fait des conneries quand on était jeunes. Moi aussi j’en ai faites et je les regrette, mais c’est pas une raison”, conclut-il, ses yeux clairs balayant le sol. D’après l’homme un peu vouté sous son t-shirt blanc, Enzo ne savait pas qu’il empruntait une voiture volée. « Quand on monte à bord d’une voiture, on s’assure rarement qu’elle n’est pas volée », poursuit-il.

« C’est un schéma qui se répète »

Depuis l’annonce du décès de son fils, la famille d’Enzo se relaie auprès de sa mère, absente lors de la marche blanche. « C’était trop difficile pour elle », souffle une ancienne voisine. Angélique (le prénom a été modifié) se souvient aussi d’Enzo comme d’un garçon souriant et serviable, « qui aidait beaucoup sa mère ».

Sur les t-shirt distribués à la famille, tous demandent « justice pour Enzo ». Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

Un peu en retrait, Louis (le prénom a été modifié), 25 ans, est venu apporter son soutien à la famille. « C’est un jeune qui est mort dans un contexte de course-poursuite avec la police », assène-t-il. « C’est un schéma qui se répète (en faisant référence à la mort de Zyed et Bouna, morts électrocutés après avoir fui la police, NDLR) et il est important localement de soutenir les familles en deuil », poursuit Louis, qui déplore l’absence de déclarations des partis politiques sur le sujet. Seul le groupe communiste du conseil municipal de Strasbourg a exprimé, par un communiqué publié le 24 avril, ses condoléances à la famille tout en affirmant :

« Sans minimiser aucunement les actes reprochés, il est indispensable que toute la lumière soit faite sur les conditions d’intervention des secours portés au jeune Enzo et sur les circonstances ayant conduit à son décès. » 

La marche traverse la cité de l’Ill et se poursuit en direction du tram. Sa destination finale sera le commissariat. « La famille a beaucoup de questions, notamment sur l’absence de vidéos, sur l’identité des policiers de la bac, sur le délai entre la disparition d’Enzo et l’identification du corps, sur le temps que prend l’autopsie… », énumère le porte-parole. 

« Personne ne mérite de mourir »

Dans la marche, les hypothèses fusent. « Quand on voit les images de la police pendant les manifestations, qui tournent en boucle sur les chaînes d’info, tu m’étonnes qu’on en ait peur », estime un ami de la famille.

Banderole en hommage au jeune Enzo. Photo : Camille Balzinger / Rue89 Strasbourg / cc

Durant toute la marche, plusieurs personnes questionnent la présence de journalistes sur l’évènement. « Bien sûr qu’il faut en parler, mais il faut voir les commentaires haineux », déplore un marcheur. Avant le début de la manifestation, Déborah a décroché une banderole accrochée sur le grillage du stade. Un texte écrit au feutre noir et rouge, légèrement abîmé par la pluie, affirme notamment : « Ce garçon a eu sa punition et il ne fera plus de mal à personne ». L’air triste, désabusée, la manifestante venue de l’autre côté de la ville regrette de telles réactions : « C’est pas bien d’écrire ça, on ne peut pas juger quelqu’un juste comme ça. Personne ne mérite de mourir. »

Contacté, le parquet de Strasbourg n’a pas répondu aux demandes de précisions de Rue89 Strasbourg, ni sur l’avancée de l’enquête sur les circonstances de la disparition d’Enzo, ni sur une potentielle saisine de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). 


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