Depuis lundi 16 octobre, les 15 jeunes acteurs sélectionnés pour participer à la saison 4 de « Premier acte » sont à Strasbourg pour deux semaines de travail intensif au TNS, sous la direction de Stanislas Nordey. Ils ont été sélectionnés parmi 200 candidats pour participer à ce programme, créé il y a 4 ans à l’initiative du directeur du TNS. De septembre à février ils vont suivre trois sessions de travail intensif au sein d’institutions nationales prestigieuses : le TNS, la FabricA à Avignon et l’Odéon Théâtre de l’Europe à Paris.
En partenariat avec les Fondations Edmond de Rothschild et SNCF, le programme a pour objectif de donner leur chance à des jeunes ayant été victimes dans leur parcours professionnel, personnel ou artistique, de discriminations. Il est entièrement gratuit. Tout est pris en charge de l’hébergement aux repas, pour lever les barrières sociales. Les trois premières saisons ont déjà réuni une cinquantaine d’apprentis comédiens, dont certains ont aujourd’hui intégré l’école du TNS, le conservatoire de Paris ou l’ERAC (Ecole Régionale d’Acteurs de Cannes et Marseille).
Un tremplin pour la professionnalisation des jeunes
Les jeunes ont entre 18 et 24 ans, ils ont été sélectionnés parmi 200 candidats venus de toute la France. Caroline Strauch, responsable du mécénat et des partenariats du TNS, détaille :
« La diversité est présente dans la société, mais sur les plateaux de théâtre français, c’est très blanc et très milieu social favorisé. Le programme n’est pas une formation mais plutôt un coup de pouce pour les jeunes, un tremplin. On demande en général un an d’expérience environ. Soit de cours privés, soit dans le cadre du lycée… qu’il y ait quand même déjà une sensibilité pour le théâtre. Mais ce qui fait surtout foi, c’est la lettre de motivation, où ils expliquent en quoi ils ont pu rencontrer des discriminations. »
Au cours des différentes sessions, les jeunes acteurs sont amenés à travailler avec des professionnels du monde du théâtre, précise Caroline Strauch :
« L’idée est de donner un panorama de personnalités différentes dans les intervenants et des modes de travail différents par la même occasion. »
Des histoires différentes
Chacun des participants a été victime de discrimination de manière plus ou moins directe. Issam raconte :
« J’en ai eu marre de voir des castings accordés qu’à des personnes blanches. À quoi ça sert de postuler si à peine ils ont vu ma photo, ils me disent que ce n’est même pas la peine ? »
Pour Neil Adam, qui rentre en 3ème année au Cours Florent, c’est aussi à force de se voir refuser des rôles qu’il a décidé de tenter sa chance :
« Je suis Kabyle et pour un acteur algérien, c’est le comble. Je suis trop blanc pour jouer un arabe et trop arabe pour jouer un blanc. »
Inès, dans sa lettre de motivation, a parlé de ses cheveux. Cette brune aux cheveux frisés a conscience que sa crinière attire l’attention :
« J’ai arrêté de me torturer avec un fer à lisser il y a un an seulement. Je sens que pour les gens c’est un choc inconscient mes cheveux tout bouclés. Mais dans ma lettre, j’ai aussi parlé du fait que le contexte dans lequel j’ai grandi ne m’a pas non plus poussé à m’intéresser à l’art. »
Un sentiment d’illégitimité partagé par plusieurs des jeunes acteurs
Ce sentiment, on le retrouve dans les témoignages de plusieurs des jeunes. Celui de ne pas être légitime parce qu’on n’a pas grandi dans un milieu baigné par le théâtre, comme l’explique Aymen, 18 ans, qui a découvert le théâtre grâce à un partenariat entre son école primaire et le conservatoire :
« Ce n’est pas une discrimination que j’ai subie, c’est plus une discrimination que je m’impose. Je n’ai pas grandi dans la culture, le théâtre, la musique et la danse ce ne sont pas des trucs dont on parle chez moi ou dont je parle avec mes amis. Mais je me suis dit pourquoi certains en parlent mais pas moi ? Pourquoi je me discrimine par rapport à ça ? »
Hinda, 23 ans, a commencé les cours de théâtre lorsqu’elle a intégré Science Po Paris. Elle confirme :
« Je viens d’une famille pour laquelle le théâtre ou l’art, c’est totalement étranger. Mes parents ne comprennent pas pourquoi j’aime ça. Il faut se sentir légitime à faire ce métier, c’est encore plus difficile quand on ne vient pas d’une famille dans laquelle c’est pas une évidence. »
Des parcours différents, mais une envie commune : donner son maximum
Avec des parcours bien différents les uns des autres et un intérêt pour le théâtre qui s’est manifesté plus ou moins tard, le point commun de ces quinze jeunes acteurs est surtout leur motivation. Au cours des ateliers, on sent tout de suite leur implication et leur volonté de se donner à fond. Une complicité s’est rapidement installée entre les participants au programme, conscients que leurs progrès ne sont pas liés uniquement aux intervenants comme l’explique Inès :
« C’est bien aussi qu’on ait des seuils différents dans le théâtre. Certains sont dans des conservatoires, d’autres dans des cours privés. Inconsciemment, on va aussi tous s’apporter quelque chose. C’est ce que je recherchais aussi à travers ce programme, trouver une certaine réciprocité dans le travail, d’apprendre mais de donner aussi. On n’a pas les mêmes qualités, on est tous uniques. »
Tous évoquent cette cohésion entre eux et une bienveillance à l’égard les uns des autres qui renforce encore davantage leur expérience. « C’est la première fois que je prends autant de plaisir à travailler en groupe » confie Simon, qui grâce au théâtre assume de plus en plus son handicap, qu’il a renié pendant longtemps.
Et la suite ?
Ils n’en sont qu’au début de leur première session de travail mais tous ont déjà conscience de tout ce que ce programme va leur apporter : « Une méthodologie, mais un souffle aussi. Parce qu’ils (les intervenants) croient tellement en nous » confie Hinda. « Ils nous donnent tellement confiance, » complète Nina.
Enrichis par cette expérience, forts de nouvelles clés que les intervenants leur ont apporté, la plupart des jeunes envisagent de passer les concours pour entrer dans des écoles de théâtre mais pas seulement. Ils savent que le programme n’est pas une préparation pour ces derniers. Nina conclue :
« Je vois que ceux qui ont fait Ier acte l’année dernière n’ont pas eu d’école nationale supérieure, pourtant ils ont passé les concours. Mais durant le programme, ils ont rencontré des metteurs en scène avec qui ils travaillent aujourd’hui. On ne sait pas ce qu’il peut se passer. Il ne faut pas mettre toute son énergie sur une seule option. On sait qu’on ne lâchera pas l’affaire et que maintenant c’est parti, on a un pied dedans. »
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