Charlotte Aleman – dont on vous avait déjà parlé à l’apparition de ses affiches éphémères florales dans Strasbourg – est une jeune artiste qui envisage ses images comme des portes ouvertes vers des univers oniriques, sur un fil tendu entre réel et imaginaire. Le métier s’est imposé à elle, même après quelques détours :
« Au collège, j’ai appris à utiliser un argentique, puis j’ai continué la photo au lycée et au Beaux-Arts. Entre-temps, j’ai fait un détour par la fac de droit, avec dans l’idée de devenir commissaire-priseur, mais j’ai repris la photo après trois ans et aujourd’hui, je commence à comprendre qu’on peut en faire un vrai métier. »
La magie naît de l’expérimentation
Dans un premier temps, Charlotte reprend en main son appareil en shootant des concerts de métal, puis s’oriente vers une expression plus personnelle. Elle rencontre une première modèle qui a le don de se prêter à tous les univers surgis de son imagination. Dans la série Icônes, que l’on peut découvrir dans l’exposition, Sophie apparaît plusieurs fois, méconnaissable dans des mises en scène flamboyantes.
En fait, le décor ne tient pas à grand-chose : un lieu à priori banal ou un fond de studio, un métrage de tissu, quelques accessoires et parfois du maquillage suffisent à jeter en place les indices d’un univers parallèle. Le personnage et le décor qu’il occupe, seul, semblent cristalliser l’instantané d’un monde bien plus vaste.
L’artiste y reconnaît l’influence de sa culture :
« J’ai fait beaucoup d’Histoire de l’art, j’adore ça. J’ai aussi appris à analyser une image selon des codes classiques : lignes de forces, lumière, symboles, etc… Ces codes sont intégrés, je les applique sans y penser, puis ils interviennent dans le choix de la meilleure prise. »
Chaque image résulte d’un long procédé où la réflexion et la fabrication s’entremêlent. Charlotte fait (presque) tout elle-même, et laisse parfois un projet en plan pendant plusieurs semaines pour le remettre en question.
Mais comme l’art se nourrit aussi de hasards, certaines images sont nées sans anticipation. La série Narcose s’est comme assemblée d’elle-même suite à des triturages sur ordinateur qui ont tous abouti à ce noir profond et mat. Les personnages s’y détachent comme au fond d’un gouffre, angoissés ou extasiés. Sur la question de la retouche, l’artiste se laisse la liberté d’y recourir quand elle en a envie, mais l’essentiel du travail se déroule en réel.
Poignante simplicité
Baroque, néo-religieux, couleurs riches, mises en scène étudiées : si l’on pensait pouvoir circonscrire ainsi le travail de Charlotte, on sera contrecarré par la série Cendres. Sa portée est résumée dans cette phrase de Christian Boltanski, citée en présentation : « nous avons tous un enfant mort en nous que nous transportons, qui est ce que nous étions, et ce que nous ne sommes plus ».
Dans ces portraits, des enfants francs et sans apprêt regardent l’objectif en face comme pour apostropher leur adulte à venir ou les adultes que nous sommes. Nous rappelons-nous de notre enfant ? Ces visages semblent nous dire à quel point il est important de cultiver ce rapport à l’imaginaire, qu’il soit rêve ou projet. Charlotte alimente le sien avec les livres :
« Je ne vais pas souvent au cinéma, de temps en temps une expo, mais ce qui m’inspire avant tout, ce sont mes lectures. J’en garde des images, des impressions, mais il n’y a pas vraiment de lien logique : j’aime les romans de Pascal Quignard et Arto Paasilinna par exemple, mais je lis aussi des ouvrages qui touchent à la société et à la spiritualité : Sören Kierkegaard, Pierre Rabhi… »
Pour la suite, elle se voit bien sortir de son studio, construire des décors en volume plus importants, ou encore faire des « portraits expressionnistes des éléments naturels – des paysages, des roches… » Une artiste à suivre, c’est sûr !
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Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : [Festival] Art et poulettes dans un bunker de Mittel, pari « surréaliste »
Le Site de Charlotte Aleman
Le site de la Galerie du Point Fort
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