« Personne ne pensait qu’on allait rester. » Pauline Desgrandchamp sourit. Designer, scénographe et bénévole à Horizome, elle se souvient des débuts, quand l’association composée d’artistes, de chercheurs en sciences sociales et en urbanisme est arrivée à Hautepierre en 2009.
Au départ, il y a eu la première rénovation urbaine (Anru 1) du quartier. C’est à cette occasion que les membres de l’association commencent à questionner l’enclavement territorial et économique du quartier. Un espace « dont l’image est souvent injustement dévalorisée », soufflent certains bénévoles. Dix ans plus tard, la première phase de l’Anru est achevée depuis 2014 et c’est une deuxième phase de rénovation qui se prépare. Horizome occupe toujours son local, un appartement attribué par le bailleur Cus Habitat (devenu Ophéa), au premier étage d’un immeuble de la maille Jacqueline.
Sur les murs et les étagères de la pièce principale : des ouvrages et des affiches rappellent les multiples résidences d’artistes, les créations de mobilier urbain, le lancement d’une web-radio, d’un studio d’enregistrement, tables rondes, conférences, aménagements de jardins…
Pauline Desgrandchamp le précise d’emblée : « Les gens ne comprennent pas toujours ce qu’on fait. » « Au début, on était regardés comme des fous ! », se marre Grégoire Zabé, plasticien et designer, arrivé en 2009 à Horizome après avoir été artiste en résidence.
Des projets à la croisée de plusieurs disciplines
Il y a dix ans, les Hautepierrois ont vu débarquer une anthropologue de l’Université de Strasbourg, Barbara Morovich, et une vidéaste, Marguerite Bobey. Les deux chercheuses et fondatrices d’Horizome partent d’un constat : très peu de travaux universitaires ont été écrits sur le plus grand quartier de Strasbourg et ses 17 000 habitants. Leur projet, baptisé HTP40, consiste à se rendre sur le terrain pour briser l’habituelle distance entre le chercheur et son objet d’étude. Pauline Desgrandchamp précise :
« La démarche était aussi de dire que la plupart des travaux de recherches portant sur les quartiers font bien souvent ressortir les mêmes problématiques : ils constatent l’enclavement, parlent de sécurité ou de politique de la ville. Notre volonté était de mettre en avant des richesses spécifiques à travers des portraits d’habitants, par exemple, et de toujours croiser les disciplines, entre artistes, habitants et chercheurs. »
Dès 2009, l’association lance plusieurs projets d’expositions et de travaux autour de la mobilité des habitants. Des projets qui finissent par faire rester Horizome à Hautepierre : « On travaille sur le temps long », insiste Pauline Desgrandchamp. Peu à peu, l’équipe s’étoffe et aujourd’hui, elle est composée de cinq membres, et deux salariés. Ponctuellement, des services civiques et des stagiaires, issus du collège et du lycée du quartier, viennent rejoindre leurs rangs. Sans compter les habitants qui se greffent bénévolement aux différents projets menés par Horizome. Des deux fondatrices, seule est restée Barbara Morovich, membre du conseil d’administration. Marguerite Bobey a quitté l’Alsace pour d’autres projets.
Concertation et mobilisation
L’année suivante, financés par la Ville, la Région et le Département, l’association entame un travail de collecte de la mémoire de Hautepierre. Les bénévoles interrogent l’utilisation de l’espace par les habitants. Ils multiplient le porte-à-porte. Pour Laurine Sandoval, coordinatrice de l’association, Horizome endosse alors le rôle de lien avec les pouvoirs publics :
« Ils voient bien que la concertation est importante mais il y a toujours un manque de moyens pour que ça soit mis en place. Peu de riverains étaient informés des différentes étapes de la rénovation urbaine et la concertation n’était pas un point central du cahier des charges de l’ANRU 1. Les habitants étaient en revanche très réceptifs à notre démarche. Nos rencontres nous ont permis de communiquer sur ce qui allait être démoli ou construit. »
En 2012, un projet de golf privé, soutenu par l’adjoint au maire (PS) Serge Oehler menace la Plaine des jeux, le « Central Park » du quartier. D’emblée, Horizome réalise un questionnaire pour interroger l’usage de cet espace par les habitants. Le constat est sans appel : très peu sont au courant du projet et la population ne comprend pas le choix d’un tel sport, réputé élitiste. Le collectif publie une tribune sur Rue89 Strasbourg pour appeler à la conservation de cet espace et organise un rassemblement… qui ne mobilise pas grand monde. Grégoire Zabé se souvient :
« C’était un 1er-Mai, jour de la fête du travail et de manifestations. Du coup, notre démarche a pu paraître politisée. C’était sans doute maladroit et ça a pu être mal perçu par certains élus. Il y a eu un changement de posture à Horizome après cet épisode : on est moins frontal maintenant. »
Collectif et initiatives personnelles
Lorsqu’ils parlent d’Horizome, les bénévoles utilisent le terme « collectif », plutôt que « association ». Ils insistent sur l’inclusion des habitants dans chacun de leurs projets. Entre 2010 et 2011, alors que les pelleteuses commencent à redessiner le quartier et ouvrent de nouvelles rues, Horizome lance « La Charrette », un dispositif permettant de récolter la mémoire du quartier dans chaque maille pour travailler sur la dénomination des rues.
À Hautepierre, la règle en la matière est stricte : les rues portent un nom d’écrivain mort depuis au moins 20 ans. Grégoire Zabé insiste : « Il fallait que ces noms soient ancrés dans le vécu du quartier, plutôt qu’ils soient attribués par une commission qui ne connaît pas Hautepierre. » Au final : un chemin Peter Pan, un square Gribouille, une allée Le Petit Prince et d’autres dénominations pour 30 nouveaux lieux au sein du quartier.
Mettre les habitants en avant
De ses travaux et observations du terrain, l’association publie en 2011 un ouvrage, « Mobilités » (édition Horizome), qui interroge l’enclavement du quartier. Les recherches montrent que les habitants sont mobiles, d’une maille à une autre, et d’un quartier à un autre. Mattar, un jeune du quartier a été mêlé à l’aventure : c’est lui qui a pensé toute la charte graphique des parcours de mobilités.
Foodtruck, réparateur de pneus, restaurant d’insertion : Horizome réfléchit aussi à la manière de mettre en valeur des initiatives et projets professionnels d’habitants. « On ne faisait pas nécessairement de distinction entre ce qui était légal ou illégal. Quelques semaines après le lancement d’un des projets, le réparateur de pneus, qui faisait ça au black, s’est fait déloger par la police. Ça nous a permis de mieux nous questionner sur la manière de mettre en avant ces initiatives individuelles », raconte Pauline Desgrandchamp.
L’engouement pour l’aménagement de la place Érasme
En 2013, l’aménagement de la place Érasme, dans la maille Éléonore, contribue davantage à ancrer Horizome dans le paysage du quartier. Accompagnée d’habitants, du collectif strasbourgeois Délits d’Archi, d’étudiants de l’école d’architecture strasbourgeoise et d’autres associations de Hautepierre comme l’AMI (Animation Médiation Insertion) ou la (Jeunes Equipes Education Populaire), Horizome élabore une aire de jeux, une structure pour la musculation, mais aussi des bancs, qui étaient jusqu’alors inexistants à Hautepierre. Laurine Sandoval, coordinatrice générale de l’association, sourit :
« Les bancs ? C’étaient des caddies ! Il y en avait partout et c’était presque le symbole du quartier à tel point que le centre commercial voisin avait installé un système avec des blocs de béton pour qu’ils ne soient plus pris d’assaut. »
Les installations, faites à partir de palettes de bois, ne sont pas fixées au sol. Horizome observe alors les usages qu’en font les riverains. Grégoire Zabé détaille :
« En deux jours, un banc avait été déplacé d’un coin à un autre du quartier. Ces déplacements nous révèlent un certain nombre de choses sur les besoins et les envies selon les endroits. Cela permet de réaliser des projets plus justes. »
Une confiance acquise sur le temps long
Après l’aménagement de la place Érasme, l’engouement dans le quartier a été tel qu’Horizome a vu affluer des demandes particulières. Un riverain souhaitait un terrain de pétanque par exemple. « C’était presque un besoin individuel ! », se souvient Grégoire Zabé. « Une histoire de confiance qui s’est progressivement mise en place », complète Pauline Desgrandchamp.
Avec la JEEP et la Maison des Adolescents, Horizome a aussi participé à la web-série « Au pied d’ma tour », tournée à Hautepierre et réalisée par trois jeunes du quartier. Un projet dont Laurine Sandoval s’enorgueillit :
« Les jeunes sont venus nous chercher. On les avaient rencontrés au moment de l’aménagement de la place Érasme, ils avaient dix ans. Aujourd’hui, ils en ont 17. On se rend compte qu’au bout de dix ans, on a quand même une certaine légitimité. »
Depuis quelques temps, d’autres jeunes du quartier, comme les rappeurs Sam du Binks ou James Gordon, poussent aussi la porte du local. Ils enregistrent leurs sons dans le studio qu’Horizome a installé en 2017.
« On évite pas le cliché de Tintin en terre inconnue »
« On évite pas le cliché de Tintin en terre inconnue », constate Pauline Desgrandchamp. « Certains habitants nous disaient qu’on faisait de belles promesses mais qu’ils ne verraient jamais rien venir. D’autres nous identifiaient comme des fonctionnaires de la mairie. »
Parfois, l’association s’est retrouvée en décalage avec des habitants comme avec cette photo d’un jeune couple qui s’embrassait, collée sur le mur d’un immeuble dans le cadre d’une exposition. Grégoire Zabé se souvient :
« C’était une certaine tranche d’âge qui avait du mal avec cette image. Et puis culturellement, il y a chez certains une pudeur. Nous, on découvrait ce genre de réactions par rapport à une telle photo. On a fini par l’enlever mais ça nous a aussi permis de mieux repenser notre communication sur nos actions. »
Des interventions à Neudorf et Koenigshoffen
En 2017, Horizome a traversé une période difficile avec une baisse des subventions des financiers du Contrat Ville et la fin des deux contrats aidés de l’association. Avec un dispositif local d’accompagnement (DLA), Horizome a repensé sa structure et compte désormais cinq référents de projets.
Pour multiplier les sources de financements, l’association a diversifié ses activités en sortant du quartier. Depuis juin 2019, l’association assure, avec l’association l’Étage, la gestion de l’ancienne clinique Sainte-Odile à Neudorf, devenu un espace d’hébergement d’urgence provisoire. Là aussi, Horizome propose des résidences d’artistes. Le savoir-faire de l’association a aussi été sollicité à Koenigshoffen pour repenser l’aménagement de la place Nicolas Appert.
Et Hautepierre dans tout ça ? « Avant le discours c’était « il faut se démarquer ». Maintenant c’est « il faut faire de Hautepierre un quartier comme un autre », souffle Pauline Desgrandchamp. Elle poursuit :
« Si on pouvait exercer une quelconque influence, ça serait de changer le rapport dans le dialogue entre les pouvoirs publics et les gens du quartier. Que les rapports de forces et de dialogues puissent changer. On sait bien que c’est utopique. Mais l’utopie, c’est plein de possibilités. »
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