Samedi 27 avril, lors de l’Acte 24 des Gilets jaunes à Strasbourg annoncé comme cataclysmique, tout le monde a repéré ces « street medics » allemands, des secouristes bénévoles prêts à aider les manifestants lorsque leurs yeux brûlent, en combinaisons rouges dans le cortège.
L’un d’eux, Henryk Stöckl, vêtu du même équipement, a filmé toute la manifestation pour la retransmettre en direct sur YouTube. Henryk Stöckl est bien connu, c’est un youtubeur allemand ouvertement d’extrême-droite.
Il est xénophobe, islamophobe, écolophobe, pro-Trump et ne jure que par Russia Today, chaîne de télévision russe dont l’édition française saute sur tout mouvement social comme s’il s’agissait des prémices d’une révolution. Sur les réseaux sociaux, Henryk Stöckl compte des dizaines de milliers d’abonnés qu’il nourrit avec un nombre de fake news impressionnant.
Voilà juste un exemple :
Avec cette image postée en décembre 2018, Henryk Stöckl fait croire qu’Angela Merkel a répété ses vœux pour 2019 en turc, après les avoir adressés en allemand. Ce qui est totalement faux surtout que l’alphabet utilisé sur l’image n’est pas du tout du turc mais de l’arabe.
La complicité de secouristes allemands d’extrême-droite
Henryk Stöckl s’est joint à cette équipe de street medics allemands, les « Demo-Sanitäter », qui se disent neutres politiquement. Henryk Stöckl apparait en haut à gauche de l’image ci-dessous.
Nous avons contacté Andreas Manuel Eggert, le leader et créateur des Demo-Sanitäter. Il dit avoir accepté que Henryk Stöckl les accompagne à Strasbourg à condition que sa vidéo ne soit pas politique et qu’elle se borne à diffuser « ce que les médias traditionnels ne montrent pas. »
Mais en fouillant un peu, on se rend vite compte que l’immense majorité des modérateurs du groupe Facebook des Demo-Sanitäter est ouvertement d’extrême-droite. Mais d’après Andreas Manuel Eggert, cela n’influence en rien leur manière de soigner les gens lors de manifestations.
Henryk Stöckl a donc pu raconter la manifestation du 27 avril dans un live YouTube de plus de cinq heures, visionné par près de 85 000 personnes. Rue89 Strasbourg l’a même partagé dans notre direct consacré à la manifestation du 27 avril. Nous ne savions pas encore qui était Henryk Stöckl, d’où l’importance de remettre les choses au clair. Sa présentation des faits est exagérée, souvent simplifiée et parfois complètement fausse.
Henryk Stöckl plante le décor : la France, c’est la Corée du Nord
Dans son live, Henryk Stöckl dit à trois reprises qu’il « risque sa vie » au nom de la démocratie et par solidarité avec le peuple français. Il va « au front », parle de « guerre civile » pour décrire la manifestation à Strasbourg et compare la situation actuelle de la France à celle de la Corée du Nord.
L’activiste de 24 ans appuie ses propos en rappelant que 75% des Français souhaitent la démission d’Emmanuel Macron. Dans les faits, 75% des Français ont une opinion défavorable du président de la République, ce qui est différent.
Le jeune homme explique que onze personnes ont perdu la vie lors de manifestations de Gilets jaunes. En réalité, huit d’entre elles ont été renversées par des véhicules aux abords de barrages routiers et trois sont effectivement décédées lors de manifestations.
Enfin, Henryk Stöckl manie le « teasing », parle de « l’atmosphère de plus en plus tendue » et promet que « la situation peut dégénérer sans savoir jusqu’où la violence ira. »
La réalité maquillée pour les besoins de la production
Sauf que la manifestation du 27 avril n’aura pas été particulièrement violente, tant du côté de la police que des manifestants. Du coup, Henryk Stöckl est obligé de s’affranchir de la réalité : au moindre mouvement de foule, il affirme que la police utilise des flash-balls et des grenades de désencerclement. Ce à quoi il ajoute à un moment : « Macron fait ce qu’il veut parce que c’est le chouchou de l’Europe mais si Trump faisait la même chose il y aurait une vague d’indignation mondiale. »
Le youtubeur allemand ajoute que « la France viole le droit international en utilisant du gaz lacrymogène. » Or la Convention sur l’interdiction des armes chimiques prévoit bien qu’un tel produit puisse être utilisé pour maintenir l’ordre.
Pour démontrer son courage, Henryk Stöckl explique qu’il peut être arrêté par la Brigade anti-criminalité (BAC) à tout moment. Comme il le dit si bien, les policiers de la BAC sont « les plus dangereux, ceux qui vous frappent pour le plaisir et qui vous mettent en prison sans aucune raison. »
Un entracte sponsorisé par l’extrême-droite danoise
Pendant son live Youtube, le militant d’extrême-droite essaie de combler les blancs. À un moment il reconnait, qu’en France, « on est encore libre de manifester contrairement au Danemark où un homme politique a été condamné pour simplement avoir fait tomber le Coran par terre. »
Henryk Stöckl fait référence à Rasmus Paludan, créateur du parti danois d’extrême-droite Stram Kurs. Il a bien été condamné début avril à de la prison avec sursis mais pour des insultes racistes à l’encontre de personnes noires. Ses provocations vis-à-vis de l’Islam n’ont jamais été punies par la justice au nom de la liberté d’expression.
Toujours est-il que Henryk Stöckl utilise cet exemple danois pour s’indigner que, dans le même temps, le gouvernement français laisse manifester « des radicaux, des terroristes » comme les antifascistes et les black blocks. D’ailleurs, à de nombreuses reprises pendant son live Youtube, l’activiste filme des gens à leur insu en affirmant que ce sont des black blocks. Toute personne vaguement habillée de noir lui suffit…
Quand Henryk Stöckl est lâché par ses acteurs
Pour ajouter un côté dramatique à son récit, Henryk Stöckl interviewe plusieurs protagonistes de la manifestation. Malheureusement pour lui, ils ne vont pas toujours dans son sens.
Quand le cortège se met en route place de l’Etoile, le jeune homme demande à une secouriste française si elle a peur de ce qui va se passer. Elle lui répond que non, pas vraiment. Quelques heures plus tard, il retourne la voir pour qu’elle raconte la violence des évènements. Mais là encore, elle explique que « aujourd’hui ça va, c’est plutôt tranquille. »
Le youtubeur tente sa chance avec un autre street medic en lui posant la question suivante : « T’as vu beaucoup d’hooligans aujourd’hui ? » Réponse de son interlocuteur : « Ben j’en sais rien, je ne suis pas dans la tête des gens. » Pas de bol.
Et soudain, Henryk Stöckl défend la police
Henryk Stöckl n’en est pas à sa première fiction. Depuis aout 2018, il parcourt l’Allemagne, participe à des manifestations et se livre au même genre de récits que le 27 avril à Strasbourg. En fonction du type d’évènement, son discours change radicalement.
Lors de rassemblements d’extrême-droite, comme à Chemnitz dans l’Est de l’Allemagne, il incarne le rôle de l’opprimé épris de liberté risquant sa vie face aux forces de l’ordre. C’est aussi le rôle qu’il a joué à Strasbourg le 27 avril.
Mais à l’inverse, au mois d’octobre, il narrait le courage héroïque des policiers de Fribourg face aux manifestants antifascistes. Henryk Stöckl parlait alors du « rassemblement le plus violent de la décennie. » Sur sa page Facebook, il parle encore de « guerre civile » et va même jusqu’à dire qu’un policier a perdu la vue à cause d’un projectile. La police de Fribourg a dû démentir sur Twitter.
On peut y lire : « Policier gravement blessé » = fausse information, « perte de vue » = fausse information, « chasse aux sorcières contre des membres de l’AfD » = fausse information, « policier blessé au visage à cause d’une bouteille » = fausse information, « guerre civile » = exagération.
Même le parti de l’Alternative für Deutschland ne veut pas de lui
En constatant cette désinformation de masse orchestrée sur les réseaux sociaux par Henryk Stöckl, nous nous sommes demandés si le parti allemand d’extrême-droite Alternative für Deutschland n’était pas derrière tout ça. Nous aurions aimé en parler directement avec le jeune homme, mais il n’a pas donné suite à notre sollicitation.
Mais la même question posée à l’antenne de l’AfD à Francfort, région d’origine de Henryk Stöckl, est plus claire : le parti rejette ses demandes d’adhésion. N’est-il pas fréquentable ? Pas de réponse. En attendant, la saga que l’activiste construit sur Youtube participe avec brio à la montée de l’extrême-droite en Europe. La superbe tribune qu’il s’est offerte le 27 avril à Strasbourg n’en était qu’un épisode…
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