Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

L’hébergement d’urgence à Strasbourg, chronique d’un système sous haute tension

De multiples dispositifs d’hébergement existent en fonction des différents publics accueillis. Le nombre de places augmente à Strasbourg et dans le Bas-Rhin. Pourtant, de nombreuses personnes sont toujours à la rue.

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La question de l’hébergement d’urgence revient régulièrement dans le débat public. Pour qu’il se déroule sur de meilleures bases, Rue89 Strasbourg a répertorié les dispositifs d’hébergement existants à Strasbourg. Une soixantaine de structures disposent d’environ 5 500 places (voir carte ci-dessus). La majorité est répartie dans des logements éclatés (ou « en diffus ») dans l’Eurométropole. Les dispositifs recensés s’adressent à différents publics, par exemple les hommes, les femmes à la rue de nationalité européenne, les demandeurs d’asile ou les réfugiés…

Plus de 9 000 places d’hébergement dans le Bas-Rhin

Selon la préfecture du Bas-Rhin, le département compte actuellement 9 051 places d’hébergement de tous types, un chiffre qui a augmenté de 50% en quatre ans. On retrouve également ce chiffre du côté de la Fédération des acteurs de la solidarité d’Alsace (FNARS), qui comptabilise le nombre de places dont dispose le Service intégré de l’accueil et de l’orientation (SIAO).

En 2018, il disposait de 8 785 places soit 266 places de moins qu’en 2019. Selon la préfecture, cet écart peut s’expliquer par le nombre de places d’hôtel mobilisées, qui peut beaucoup varier au long d’une année. À ce chiffre s’ajoute le nombre de places ouvertes chaque année dans le cadre des plans hivernaux, du 1er novembre en 31 mars. En 2018, 264 places ont été mises à disposition des différentes structures d’accueil, selon la préfecture, souvent dans des hôtels.

Le SIAO centralise les demandes de personnes à la rue ou mal logées via les appels au 115 ou par l’intermédiaire de travailleurs sociaux. Il les oriente ensuite vers différentes structures. Pour les demandeurs d’asile, l’orientation peut également se faire par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). En d’autres termes, il est impossible, à de rares exceptions près, de se présenter à la porte d’une structure d’hébergement, même d’urgence, en espérant pouvoir y être logé temporairement.

Un tiers de l’hébergement lié à la demande d’asile

Une part importante des personnes à la rue viennent de pays non-membres de l’Union européenne, souvent des Balkans (Serbie, Montenegro, Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Albanie etc.) Avant de pouvoir déposer un dossier de demande d’asile, les personnes étrangères doivent d’abord s’enregistrer auprès d’une plateforme d’accueil (PADA).

À Strasbourg, cette plateforme se situe au 7 rue Saint-Michel entre la rue du Faubourg-National et le musée d’art moderne, et elle est gérée par le Foyer Notre-Dame. Les demandeurs d’asile peuvent ensuite être orientés vers un centre d’accueil (CADA) le temps de l’acceptation, ou non, de leur demande d’asile.

Toujours selon la préfecture du Bas-Rhin, il existe à ce jour 3 299 places d’hébergement dédiées aux demandeurs d’asile sur l’ensemble du département, la plupart étant à Strasbourg et ses environs. Ce chiffre comptabilise les places disponibles au sein de plusieurs dispositifs (hébergement d’urgence, centre d’accueil, centre d’orientation….). Parallèlement, selon le Foyer Notre-Dame, entre 3 500 et 4 000 personnes s’enregistrent chaque année dans le département auprès de la plateforme d’accueil.

« Le calcul est vite fait », constate l’adjointe au maire de Strasbourg en charge de la solidarité, Marie-Dominique Dreyssé (EELV), « le territoire n’a pas la capacité d’accueillir tous les demandeurs d’asile. »

Des « défaillances » dans l’hébergement des demandeurs d’asile

Marie-Dominique Dreyssé pointe des « défaillances » au sein de la procédure d’asile :

« Globalement, les publics isolés, surtout en début et en fin de procédure, sont en difficulté. Quand une personne étrangère arrive sur le territoire mais qu’elle n’a pas encore déposé son dossier, elle n’est pas considérée comme demandeuse d’asile et peine ainsi à être hébergée. De la même manière, les personnes déboutées de l’asile se retrouvent souvent à la rue. »

Le terme « réfugié » englobe souvent, à tort, un ensemble de situations particulières. Seules les personnes qui ont obtenu l’asile bénéficient du statut de réfugié, qui n’intervient donc que dans un second temps. Syamak Agha Babaei, vice-président de l’Eurométropole en charge de l’habitat, pense qu’il faut sortir de la formule trompeuse « accueil des réfugiés » :

« Cela laisse entendre que l’État ne veut aider que les personnes régularisées. Mais c’est plus généralement aux personnes sans-abris qu’il faudrait donner un logement et un accompagnement social. Les sans-abris, cela peut-être des réfugiés, mais aussi des migrants, des déboutés, des personnes de droit commun… »

Un cercle vicieux entraîné par le manque de places

Le manque de places peut également avoir pour conséquence le retour à la rue de personnes régularisées, comme l’explique Arnaud Fritsch, directeur du Foyer Notre-Dame :

« Une fois le statut de réfugié obtenu, une personne peut, par exemple à la sortie d’un CADA pour être hébergée dans un centre d’insertion pour réfugié (CIR)… sauf si ce dernier dispositif est déjà complet ».

Si l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) rejette une première fois la demande d’asile d’une personne, cette dernière peut, dans un délai d’un mois, déposer un recours auprès de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA). Cette dernière dispose ensuite de 5 mois pour rendre sa décision ou de 5 semaines si la demande d’asile de la personne est placée en « procédure accélérée ».

Durant le temps dont bénéficie légalement la CNDA pour statuer suite au dépôt d’un recours, la personne qui l’a déposé est encore considérée comme demandeuse d’asile et peut, en théorie, continuer de bénéficier d’un hébergement. Sauf si, là encore, les places manquent.

Il existe ainsi des dispositifs d’hébergement d’urgence pour les demandeurs d’asile (HUDA). Ils ont vocation à accueillir en priorité des demandeurs d’asile sous le coup d’une procédure accélérée ou bien relevant d’une procédure dite « Dublin ». Cette procédure délègue la responsabilité de la prise en charge de la demande d’asile au premier pays de l’Union Européenne (en plus de la Suisse, de la Norvège, du Liechtenstein et de l’Islande) qui a accueilli la personne demandeuse. Si une personne est arrivée par l’Italie et qu’elle demande l’asile en France, elle peut être renvoyé en Italie pour l’examen de sa requête mais peut, avant, être accueilli au sein d’un HUDA.

En outre, il existe des dispositifs d’hébergement pour les familles étrangères dites « à droits incomplets », par exemple lorsqu’un membre de la famille dispose d’un titre de séjour et qu’un autre non.

Le parcours d’une personne à la rue et les places

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Des camps de sans-abris se forment régulièrement à Strasbourg

Malgré ces dispositifs, en un an, le camp de migrants dit « des Cannoniers » au Neuhof s’est reformé trois fois , faute de logements et en dépit de nombreuses tentatives de la Ville d’empêcher les réinstallations de tentes. En tout, une dizaine de camps de sans-abris se sont créés à Strasbourg depuis 2017. Un phénomène qui ne laisse pas indifférents les citoyens, qui interpellent alors leurs élus.

Le manque de places, entraînant des temps de procédure plus longs, explique en partie la formation de ces camps. Arnaud Fritsch du Foyer Notre-Dame explique :

« Je comprends que certaines personnes nous critiquent parce qu’on n’arrive pas à prendre en charge tout le monde. Cependant, beaucoup de moyens sont déployés à la fois de la part de l’État, de la Ville, ou des associations ».

Un constat partagé par Daniel Baumgartner, directeur général de l’association Horizon Amitié :

« Il y a 5 ans, nous ne disposions que de 60 places d’hébergement [contre plus de 500 aujourd’hui, ndlr] pour les demandeurs d’asile ».

Des politiques financières « ubuesques »

Avec le collectif Labo Citoyen, Syamak Agha Babaei a proposé à la municipalité l’ouverture de 500 places d’hébergement supplémentaires, un chiffre censé correspondre au nombre de personnes à la rue calculé sur la base des appels au 115. « Le coût total de ces places, avec un logement et un accompagnement social, reviendrait à 3 millions d’euros. « Cela représente 1% du budget de fonctionnement de la ville », explique-t-il.

« Nos politiques financières sont parfois ubuesques », soupire l’élu. Selon lui, en ce qui concerne les personnes étrangères, il reviendrait bien moins cher de « permettre à ces personnes de vivre et de travailler en France ». Une expulsion forcée coûte en moyenne 14 000 euros à l’État selon La Cimade. Syamak Agha Babaei évoque volontiers l’Allemagne à titre de comparaison. En 2016, l’État Allemand consacrait environ 18 000 euros par personne dans le cadre de la politique d’accueil des migrants lancé par la chancelière Angela Merkel en 2015.

« Le problème, c’est que tout le monde ne souhaite pas accueillir« 

Depuis son appel volontariste « Wir schaffen das« – « nous y arriverons », slogan de sa politique d’accueil – la chancelière allemande s’est heurté à de nombreux obstacles, notamment à la montée de partis d’extrême-droite en Allemagne. L’Alsace, comme le reste de la France, n’est pas non plus épargnée par cette ascension. Selon Syamak Agha Babaei, cela pourrait être paralysant pour les politiques d’hébergement :

« Il n’y a pas de crise migratoire mais il y a bien une crise de l’accueil. L’histoire de Strasbourg est traversée par une tradition de tolérance et d’humanisme et la capitale européenne ne pourrait pas se donner les moyens d’accueillir 1 000 personnes ? Le vrai problème, c’est que tout le monde ne le souhaite pas. Un des arguments principaux est de dire qu’un accueil plus général ferait monter les voix du Rassemblement National (RN, extrême-droite). Mais alors que faut-il faire ? Continuer à démanteler des camps de sans-abris puis poser des blocs de bétons pour empêcher les gens à la rue de s’installer ? C’est intenable ».

Germain Mignot, responsable au sein de l’association Caritas, fait lui aussi état du poids de cet argument politique auprès de plusieurs élus locaux :

« Certains élus me confient qu’ils souhaiteraient, au regard de leurs principes personnels, se donner les moyens d’accueillir plus de monde. Mais ils craignent alors de voir leur électorat se tourner vers l’extrême-droite et s’autocensurent sur le sujet ».

Les camps de sans-abris n’abritent pas seulement des personnes demandeuses d’asile. Des sans domicile fixe, relevant du droit commun (individu de nationalité française, réfugié…), peuvent également y trouver une tente, faute d’avoir pu trouver dans le parc privé ou social un hébergement. Selon les chiffres de la préfecture, il existe environ 3 500 places d’hébergement pour les personnes issues du droit commun dans le Bas-Rhin soit un peu plus que pour les demandeurs d’asile.

De l’urgence à l’insertion, un circuit en trois étapes

Au commencement de la chaîne de l’hébergement, on trouve les dispositifs d’urgence. Ils peuvent prendre la forme d’accueils de nuit, comme les deux structures rue du Rempart et rue Fritz-Kiener, gérés par le CCAS de Strasbourg et proposant « un accueil inconditionnel ». « Mais uniquement pour les personnes de sexe masculin », précise un employé qui ne craint pas la contradiction. Pour les femmes, un autre accueil de nuit est géré par l’association Antenne au 6 rue Antoine de Saint-Exupery, au Neuhof.

L’hébergement d’urgence est aussi assuré via un logement pendant plusieurs nuits au sein de chambres d’hôtel (1 393 places disponibles en 2018 dans le département selon la préfecture du Bas-Rhin).

Après l’hébergement d’urgence, vient celui de l’hébergement de stabilisation (ou « urgences posées »), système qui assure un logement et un accompagnement social au moins pour quelques mois.

L’étape suivante est l’insertion ou la réinsertion, c’est-à-dire un accompagnement social encore plus long et plus important qui est censé amener la personne vers une forme plus durable de logement. Certaines associations distinguent clairement les dispositifs de stabilisation des dispositifs d’insertion. D’autres, au contraire, peuvent associer les deux dispositifs en terme de durée de séjour ou de degré d’accompagnement.

« Ce système ne marche plus »

Marie-Dominique Dreyssé espère toujours qu’il existe une sortie par le haut de ce dispositif en cascade :

« Il y a toujours des personnes à la rue, alors il faut continuer d’augmenter les moyens humains et financiers, ce qui permettrait également de sortir de l’urgence et de pouvoir mettre en place des suivi plus important pour les personnes en difficulté. »

Selon Germain Mignot, indépendamment du nombre de places, c’est surtout le système lui-même qu’il faudrait revoir :

« Ce sytème ne marche plus. Beaucoup de gens ne suivent pas le parcours urgence-stabilisation-réinsertion mais font des allers-retours et se retrouvent parfois, pour différentes raisons (dépression, accident de la vie…) à nouveau à la rue après un premier passage en centre de réinsertion. Du coup, c’est “retour à la case urgence”. Les dispositifs devraient être plus adaptés aux besoins des personnes. »

Le recours aux chambres d’hôtels est, à ce titre, de plus en plus remis en question par les associations et par l’État lui-même. Daniel Baumgartner, directeur général d’Horizon Amitié, explique :

« Les politiques d’hébergement actuelles visent à réduire l’utilisation de chambres d’hôtel. Cela coûte cher et les personnes qui y sont hébergées ne bénéficient souvent d’aucun accompagnement social. Rien n’est fait pour elles, elles ont un toit sur la tête mais c’est tout. »

« Avoir un toit ne suffit pas »

Horizon Amitié, comme beaucoup d’autres associations, privilégie l’hébergement en logements éclatés plutôt que l’hébergement collectif ou en chambre d’hôtel :

« D’abord, avoir un logement, c’est une question de dignité. Cela permet également de mettre en place un accompagnement social plus important même s’il y a encore de quoi faire du point de vue des solutions à trouver pour réussir à s’adapter aux besoins spécifiques des personnes. »

« Avoir juste un toit ne suffit pas, il faut donner la possibilité aux personnes d’imaginer leur vie ici », résume Syamak Agha Babaei.


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