Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

1 000 places d’hébergement d’urgence en moins dans le Bas-Rhin, les professionnels très inquiets

La préfecture du Bas-Rhin a annoncé aux associations de solidarité la suppression de 1 000 places d’hébergement d’urgence dans le département d’ici la fin 2022. Ces restrictions commencent à s’appliquer, ainsi les personnes déboutées de leur demande d’asile se retrouvent privées de tout hébergement institutionnel. 

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1 000 places d’hébergement d’urgence en moins dans le Bas-Rhin, les professionnels très inquiets

Le nombre de personnes à la rue risque encore d’augmenter à Strasbourg, au gré des fermetures de places dans les dispositifs d’hébergement d’urgence. Tous les signaux sont alarmants cet été, ce qui inquiète d’autant plus les associations de solidarité pour l’hiver 2022 / 2023.

Le 17 août, 2 316 personnes étaient hébergées dans des hôtels du Bas-Rhin au titre de l’hébergement d’urgence financé par l’État. Or en juin, la préfecture a annoncé aux associations de solidarité avec les sans-abris une importante baisse du nombre de places d’hôtel d’ici la fin de l’année 2022. Deux chiffres reviennent dans toutes les discussions : 700 places de moins dans l’Eurométropole, 1 000 places de moins dans le Bas-Rhin. Ces chiffres n’ont pas été confirmés par la préfecture du Bas-Rhin, qui n’a pas répondu à nos sollicitations.

Cette annonce a été faite au sein de la « veille de coordination sociale » en juin, une réunion régulière entre plusieurs associations et les services de l’État. Lors de la crise du Covid, le nombre de places d’hébergement d’urgence hors foyers est monté jusqu’à 2 900.

L’hôtel Victoria est souvent utilisé par la préfecture pour héberger des personnes en urgence Photo : Rue89 Strasbourg

Cet objectif de réduction avait été évoqué une première fois en novembre 2021. Alexis Moreau, directeur de la fédération des acteurs de la solidarité Grand Est, qui regroupe 80 associations ou structures, confirme l’information :

« C’est une directive nationale qui est appliquée dans toutes les régions. L’État veut orienter les gens vers des “logements d’abord” plutôt que mettre à l’abri des personnes via un hébergement. Mais cela ne fonctionne pas avec toutes les personnes, certaines n’ont pas les moyens financiers ni même le droit d’accéder à un logement autonome. La très grosse majorité des personnes abritées en hébergement d’urgence sont déboutées de leur demande d’asile, ils n’ont ni titre de séjour, ni travail. On risque donc de retrouver tous ces gens dehors, sous tente, dans des conditions indignes voire dangereuses, surtout cet hiver. Le nombre d’enfants dans la rue est en dangereuse augmentation. »

La préfète du Bas-Rhin, Josiane Chevalier, a cependant répondu au député (Nupes – LFI) Emmanuel Fernandes (LFI – Nupes) qui l’avait interpellée à ce sujet lors d’une entrevue le 18 juillet. Il raconte :

« La préfète a confirmé qu’elle allait appliquer la politique nationale conduite par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Je n’ai pas eu de réponse favorable à mes demandes d’inflexion de cette politique localement. On a convenu qu’il y avait eu des moyens conséquents pour l’arrivée des Ukrainiens, mais je n’ai pas eu de réponse claire sur ceux alloués pour les autres migrants. Pas plus que je n’ai eu d’éléments sur l’installation d’autres structures. On en revient à cette idée nocive qu’abriter les gens créerait un appel d’air pour d’autres réfugiés, une idée que l’on condamne. »

Le Projet de loi de Finances (PLF) 2021 prévoit la suppression progressive de 10 000 places d’hébergement d’urgence en hôtels en France (sur 73 000 au total) d’ici la fin 2022. Le Bas-Rhin, et en particulier Strasbourg, étant une porte d’entrée pour une partie de l’immigration, la capitale alsacienne se trouve particulièrement concernée par cette politique du gouvernement.

89% des demandes ne sont pas pourvues

Sur le terrain, la situation dans le Bas-Rhin est catastrophique, à l’image du camp de l’Étoile reformé après le feu d’artifice du 14-Juillet. Plus de 80 personnes y vivent sans autre solution. Dans son rapport du 8 au 14 août, le SIAO (Service intégré de l’accueil et de l’orientation, qui gère l’hébergement d’urgence pour l’État NDLR) indique que le nombre d’appels hebdomadaires est en très forte hausse. Le total dépasse pour la première fois en 2022 les 3 900 appels (soit plus de 550 par jour). Les agents du SIAO ne peuvent répondre qu’à 58% de ces appels. 

Et encore : le taux de demandes non pourvues s’élève quant à lui à 89%. Un niveau record, à égalité avec la semaine du 14 au 20 février. Un autre record pour l’année 2022 battu en août concerne les demandes d’hébergement individuelles : 2 214 cumulées sur une semaine.

Cette semaine là, les maraudes du SIAO ont identifié 71 ménages à la rue. Seuls 4% avaient une solution d’hébergement par l’État. Une majorité (59%) dort dans la rue, les autres ayant des solutions de fortune comme des tentes (24%), un hébergement chez des tiers (8%) ou en squat (3%).

Pour Camille Vega, secrétaire générale du Secours populaire du Bas-Rhin, la baisse des places d’hôtels est entamée :

« Depuis juin, on estime qu’environ 400 places en hébergement d’urgence ont été supprimées. On assiste à des remises à la rue sans aucune solution de rechange. La politique d’hébergement n’a plus vocation à la mise à l’abri inconditionnel selon les vulnérabilités mais devient un outil d’éloignement de la politique migratoire. C’est très dangereux pour la sécurité des personnes, en particulier des enfants. »

Lors d’une « aide d’urgence ponctuelle » menée vendredi 19 août au camp de l’Étoile, la Croix Rouge a également fait part de ses constats alarmants dans un communiqué :

« Les volontaires sur place ont pu constater une situation très dégradée du point de vue de l’hygiène comme sur le plan sanitaire, avec la présence de nombreux enfants qui évoluent au milieu des rats ».

La Croix rouge a fait part publiquement de ses constats place de l’Etoile « qui a abouti à une évacuation aux urgence ». Photo : Croix Rouge française

Sous couvert d’anonymat, d’autres responsables associatifs voient aussi dans la situation actuelle un changement de politique, depuis l’arrivée de Josiane Chevallier à la tête de la préfecture du Bas-Rhin début 2020. L’un d’eux témoigne :

« Quand de nouveaux préfets arrivent, ils sont toujours surpris du nombre de places d’hébergement d’urgence dans l’Eurométropole. Souvent, ils décident de les diminuer mais se rendent vite compte des conséquences désastreuses ».

Un foyer en projet à Holtzheim…

La politique de mise à l’abri dans des hôtels vétustes et délabrés est critiquée de longue date par les spécialistes de l’hébergement d’urgence, car elle est coûteuse et peu efficace. Les locaux sont souvent insalubres, ils ne permettent pas l’accompagnement social, ni d’autonomie pour les personnes en l’absence de cuisine.

Le député Emmanuel Fernandes explique :

« Lors d’une visite de l’hôtel Victoria à la gare, j’ai rencontré une famille qui y habitait depuis plus de deux ans, ce qui est dramatique car ce n’est pas un lieu de vie pérenne. Il faut distinguer la mise à l’abri d’urgence des lieux plus propices à l’accueil, notamment les bâtiments en voie de démolition ou reconversion. »

La préfecture semble vouloir en effet évoluer dans ses pratiques. Mathieu Duhamel, secrétaire général de la préfecture du Bas-Rhin a expliqué aux Dernières Nouvelles d’Alsace qu’il y a « une forte demande d’hébergements d’urgence dans le Bas-Rhin qui coûte cher et qui n’est pas prise en compte de façon pleinement satisfaisante. »

Dans le même article, le secrétaire général annonce l’ouverture prochaine d’un centre d’hébergement « de 250 lits maximum » à Holtzheim, près du fort Joffre. La gestion de cette structure serait confiée à l’association Adoma pour une mise en service en 2023. La maire de Holtzheim, et présidente de l’Eurométropole Pia Imbs (sans étiquette), a fait savoir dans un courrier à ses habitants que son conseil municipal s’oppose à ce centre « disproportionné par rapport à la commune » qui n’aurait « ni les moyens humains, ni financiers (…) d’accueillir dignement ces personnes ». L’Eurométropole a pourtant voté l’ouverture de 200 places d’hébergement d’urgence, aux cotés des 200 ouvertes par la Ville.

… et un centre d’aide au retour à Geispolsheim

En juillet 2022, une nouvelle structure d’hébergement collectif à destination des familles actuellement accueillies à l’hôtel a ouvert également ses portes début juillet. Elle est gérée par l’association Coallia et se situe à Geispolsheim. Elle se consacre à l’accompagnement des familles au regard de leur situation administrative, dont l’étude des dossiers de régularisation sont en cours ou qui pourraient accepter une aide au retour vers leur pays d’origine.

Ainsi, début août, deux personnes hébergées depuis trois ans dans un hôtel de l’Eurométropole ont été informés de leur « orientation vers le centre d’hébergement collectif géré par l’association Coallia ». L’un d’eux, Fako, sans-abri macédonien a reçu un courrier qui indique :

« Une fois sur place, une équipe de travailleurs sociaux vous accompagnera dans vos démarches administratives, dont l’étude d’une possible régularisation ou la proposant d’une aide au retour volontaire ».

« Mais une fois sur place, témoigne Fako, ils m’ont dit qu’il n’y avait plus de place et m’ont laissé à la rue, je suis donc venu place de l’Étoile ».

Pour les responsables associatifs, ce nouveau lieu s’apparente de centre d’accueil de Bouxwiller », c’est à dire plutôt une structure destinée au départ des personnes qu’un centre d’hébergement destiné à aider ces personnes. Le lieu est isolé dans une zone industrielle, à 25 minutes à pied du terminus de la ligne A.


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