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Sans-abris : des bénévoles obligés de gérer l’urgence à la place de l’État

À Strasbourg, des associations citoyennes assurent un soutien matériel vital à des sans-abris. Depuis quelques mois, au vu de la saturation du dispositif d’hébergement d’urgence, elles payent régulièrement des nuits d’hôtel à des personnes gravement malades, des femmes enceintes, des familles vulnérables. Un phénomène qui tend à s’amplifier d’après les bénévoles.

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Sans-abris : des bénévoles obligés de gérer l’urgence à la place de l’État

Dans la soirée du 11 septembre, une famille avec un bébé dialysé, en danger de mort s’il n’a pas un environnement stérile, s’apprête à dormir dehors. Sa mère craint pour sa vie. L’association Strasbourg Action Solidarité leur paye une nuit d’hôtel in-extremis. Le lendemain, ils seront pris en charge par les services de l’État.

Le 22 septembre, des bénévoles de l’association Les Petites Roues logent de la même manière Demokrat, un jeune homme polyhandicapé, et Vlore, sa sœur, presque toutes les nuits depuis 10 jours. Auparavant, ils avaient dormi cinq nuits au camp de demandeurs d’asile de Montagne Verte. Demokrat y a énormément souffert physiquement, faute de pouvoir être alité. Ses voisins de tente racontent l’avoir entendu crier de douleur et d’angoisse la nuit. Il n’a pas été pris en charge malgré des appels quotidiens, pendant cinq jours, au 115, le numéro pour demander l’hébergement d’urgence.

Le nourrisson, gravement malade, avait des chances de survie moindres s’il dormait dehors. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc
Avant d’être hébergés par Les Petites Roues, Demokrat et Vlore ont dormi cinq jours dans une tente. Demokrat en a beaucoup souffert. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

De plus en plus de situations difficiles à gérer pour les associations

Des femmes isolées, des familles avec des nourrissons ou de très jeunes enfants, des personnes présentant des problématiques lourdes de santé… L’association Les Petites Roues, constituée uniquement de bénévoles, organise de l’hébergement d’urgence « presque toutes les semaines depuis le printemps 2020 », témoigne Sabine Carriou, la présidente :

« La vocation de l’association, à la base, c’est la distribution de repas et de matériel de puériculture. Mais lorsqu’on est sur le terrain, face aux personnes, on n’a pas d’autre choix que de les héberger. Surtout dans certaines situations d’urgence, après avoir essayé d’appeler le 115 sans succès. Pour payer les nuits d’hôtel, on a créé une cagnotte Leetchi, dans laquelle on a pioché depuis le 1er janvier 2021, 6 876 euros. Il y a eu de grosses dépenses ces derniers temps. On a notamment dû financer 12 nuits à une femme enceinte afghane qui risquait la fausse couche si elle ne restait pas allongée. »

Sabine Carriou, Les Petites Roues

Comme Sabine Carriou, Valérie Suzan, présidente de Strasbourg Action Solidarité, est sans appel :

« La situation empire. Impossible de donner des statistiques précises, mais depuis le début de l’été, de plus en plus de personnes vulnérables se retrouvent sans solution malgré leurs demandes au 115. Donc nous, on a plus de cas graves à gérer. Mais ce n’est pas notre rôle de répondre à toutes les urgences. Nous sommes obligés de loger des personnes vulnérables dans des hôtels. L’État et la Ville doivent réagir en créant des places d’hébergement, et en faisant en sorte que les délais administratifs soient moins longs.  »

Valérie Suzan, Strasbourg Action Solidarité

Strasbourg Action Solidarité distribue notamment des repas à la gare les mardis et jeudis soirs. La semaine du 30 août, les bénévoles ont donné environ 200 collations à chaque fois. « Mais c’est ingérable, ça ne cesse d’augmenter », s’inquiète Valérie Suzan. Le 21 septembre, son association a encore distribué « plus de 300 repas, et ce n’était pas suffisant, il n’y en avait pas assez pour tout le monde », affirme t-elle.

À Strasbourg, des « réfugiés sanitaires » dehors à cause des délais administratifs

D’après Nicolas Fuchs, salarié de Médecins du Monde à Strasbourg, de nombreux réfugiés arrivent de Géorgie, du Kosovo, ou encore d’Albanie, pour des raisons sanitaires. Ils viennent en France pour se faire soigner ou soigner leurs enfants, car ce n’est pas possible dans leur pays. « C’est souvent leur dernière option pour ne pas mourir », explique Nicolas Fuchs. Les demandeurs d’asile qui arrivent ont droit à un hébergement dans un foyer : un centre d’accueil dédié (CADA). Mais concrètement, dans de nombreux cas, ils ne sont jamais logés. S’ils le sont, ils ont un délai de trois semaines à un mois entre leur demande et l’hébergement effectif. En attendant, beaucoup appellent le 115 tous les jours, pour trouver un hébergement d’urgence, et peinent à trouver une solution :

« Ce sont des personnes qui nécessitent une prise en charge immédiate. Mais la longueur des procédures administratives couplée au manque de volonté de la préfecture pour les loger rapidement, implique qu’ils peuvent se retrouver dehors, parfois plusieurs semaines. Les bénévoles des associations citoyennes sont les seuls sur le terrain à répondre suffisamment rapidement. Ils comblent au maximum les angles morts de la prise en charge de l’État, et se retrouvent donc à gérer des situations très difficiles, normalement destinées à des professionnels. Évidemment, toutes les urgences ne peuvent pas être gérées dans de telles dispositions. »

Nicolas Fuchs, Médecins du Monde

Une enseignante de Hautepierre a par exemple signalé à Rue89 Strasbourg, « qu’une famille avec deux enfants scolarisés dans son école, dort devant le parvis de la gare depuis le 20 septembre, avec une petite fille de deux ans ». Cette dernière se dit « désespérée, et prête à se mobiliser ».

Le camp de Montagne Verte, « cas d’école d’une situation très tendue, gérée par des associations »

Le 9 septembre, Médecins du Monde a réalisé un bilan au camp de Montagne Verte, un mois et demi après le début de l’installation de sans-abris sur le site. L’équipe avait recensé une quinzaine de personnes qui déclaraient des problèmes de santé chroniques, deux femmes enceintes dans leurs derniers mois de grossesse, et un épuisement psychologique et physique des personnes rencontrées. Beaucoup étaient primo-demandeurs d’asile. D’autres avaient des titres de séjour santé. Ils avaient droit à une prise en charge immédiate, mais ils sont restés dehors plus d’un mois. Selon Nicolas Fuchs, « cela peut-être bien plus long quand il n’y a pas d’exposition médiatique ».

Les équipes de bénévoles de Strasbourg Action Solidarité ont assuré la survie et un minimum de dignité aux réfugiés, en leur fournissant de l’eau, de la nourriture, des tentes ou encore des produits d’hygiène et de puériculture, grâce à des maraudes régulières organisées spontanément sur le site. « Le camp de Montagne Verte est un cas d’école d’une situation très tendue, avec une prise en charge matérielle et des hébergements d’urgence assurés par des associations », observe Nicolas Fuchs.

Au printemps 2020, au tout début du premier confinement mis en place pour lutter contre la pandémie de Covid-19, des bénévoles ont continué à assurer l’approvisionnement alimentaire des sans-abris. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Contacté, le service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) du Bas-Rhin, qui gère l’hébergement d’urgence (le 115 donc), n’a pas donné suite à notre demande d’interview. Pourquoi les demandeurs d’asile ne sont-ils pas placés systématiquement et sans délai dans les centres d’accueil dédiés ? L’État a-t-il gelé des fonds, ou ne souhaite-t-il pas répondre à une demande qui augmente ? Ces questions, posées par Rue89 Strasbourg à la préfecture, ont aussi été laissées sans réponse.

« Nous militons pour l’hébergement inconditionnel, tout à fait envisageable avec de la volonté politique »

Mais d’après une travailleuse sociale impliquée dans le système d’hébergement d’urgence, et qui souhaite garder l’anonymat, « l’État a décidé de moins financer ces dispositifs ». Nicolas Fuchs commente :

« Nous militons pour l’hébergement inconditionnel des personnes sans-abris, tout à fait envisageable avec de la volonté politique. Quelque soit la vulnérabilité des personnes, la vie dans la rue crée des problèmes de santé et des troubles psychologiques. Il y a des solutions. Des bâtiments publics sont vides. Plus de 1 000 places sont vacantes dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) du Grand Est. On peut créer plus de places d’hébergement d’urgence. En 2020, pendant la pandémie, il y avait beaucoup moins de monde dehors, car 2 800 personnes ont été logées dans les hôtels vides à Strasbourg. L’État a montré que c’était possible. Maintenant c’est l’inverse, il coupe les financements, et crée des situations humaines désastreuses. Mécaniquement, ce sont donc des bénévoles, des militants, qui sont obligés de pallier l’État. »

Nicolas Fuchs, Médecins du Monde
Une fois les demandeurs d’asile placés dans les centres d’accueil dédiés, leurs conditions de vie restent souvent difficiles. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Nicolas Fuchs insiste aussi sur « l’impact négatif de la non-régularisation des réfugiés » :

« En refusant de leur donner des papiers, on maintient les demandeurs d’asile dans la dépendance. Ils ne peuvent donc pas chercher du travail et un logement. Et après on dit qu’il n’y a pas de moyens pour les héberger. C’est absurde. Les réfugiés représentent une grande partie des personnes qui dorment dehors, et qui sont contraintes de demander de l’aide. »

Nicolas Fuchs, Médecins du Monde

De son côté, Sabine a l’impression d’être devant « un nombre inépuisable de problématiques à gérer » :

« Ça ne s’arrête jamais. C’est un problème qui dépasse les petites associations comme la notre. Pour améliorer globalement les choses, il faut une réponse politique d’ampleur. »

Sabine, Les Petites Roues

#Demandeurs d'asile

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