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Ils hébergent des sans-abris : « Si chacun fait quelque chose, on va y arriver »

Face au manque de places d’hébergement, des citoyens se mobilisent pour héberger chez eux des personnes en recherche d’un toit. Des associations leur proposent un cadre légal et un accompagnement, pour faire de cet engagement une rencontre sereine.

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Ils hébergent des sans-abris : « Si chacun fait quelque chose, on va y arriver »

« À Strasbourg, on peut mourir de froid dehors ! » s’exclame Julie, bénévole à l’Ouvre-Porte. « C’est dingue », ajoute-t-elle. L’antenne strasbourgeoise de l’association l’Ouvre-Porte est la plus jeune des initiatives d’hébergement solidaire qui existent dans la capitale alsacienne. Elle s’est lancée à la rentrée, et avec JRS Welcome (Jesuit Refugee Service) et la Fédération d’Entraide Protestante, elle propose des dispositifs qui « aident les particuliers à aider » les personnes sans-abri. Elles organisent une soirée dédiée à l’hébergement solidaire et citoyen ce mardi 30 novembre à 19h, pour présenter leur activité et espérer « recruter » des hébergeurs.

Créer une chaîne pour assurer la mise à l’abri

« Notre premier job, c’est de trouver des gens qui veulent bien héberger les personnes sans-abri recommandées par des associations partenaires comme le réseau Respire (Réseau d’accueil psychologique des familles immigrées et réfugiées) ou même l’OFII (Office Français de l’Immigration et l’Intégration) », explique Baptiste, bénévole à l’Ouvre-Porte. Le concept est simple : pour chaque « accueilli », le collectif construit une « boucle » de quatre à cinq accueillants, qui joueront les hôtes à tour de rôle, pendant une à deux semaines. « Jusqu’à ce qu’une solution pérenne soit trouvée », poursuit Baptiste. Cette alternance entre familles peut donc durer plusieurs mois, surtout s’il s’agit d’une personne en attente de titre de séjour.

Suzon, Anaëlle et leurs colocs accueillent Ali de manière informelle avant qu’il rejoigne une boucle de l’Ouvre-Porte Photo : DL / Rue89 Strasbourg

Justement, le pôle juridique du collectif l’Ouvre-Porte Strasbourg (qui va devenir une association) assure le suivi de la personne, se met en contact avec un avocat et fait le lien avec des structures comme la Cimade, Casas etc. Le collectif a commencé de manière informelle, avant même de constituer des boucles, grâce à la solidarité de celles et ceux qui allaient devenir bénévoles. « Le premier demandeur d’asile dont on s’est occupé au printemps avait été assigné à résidence et faisait l’objet d’un arrêté de transfert qu’il fallait contester tout de suite », se souvient Julie.

Puis, il y a eu Ikram au début de l’été, jeune afghan qui est aujourd’hui dans la première boucle constituée par l’Ouvre-Porte. Une deuxième boucle est bientôt finalisée, pour accueillir un deuxième afghan, Ali, qui a atterri à Strasbourg après être passé par Poitiers et par la Suède. Les bénévoles qui allaient créer l’Ouvre-Porte ont entendu parler de lui cet été à la suite d’un appel sur Facebook.

Offrir un toit, une aide et… une vie sociale

Pour le moment, Ali est hébergé par Julie et ses colocataires Marie, Suzon et Anaëlle, qui constituent une « coloc d’urgence » en attendant qu’il entre dans le dispositif. Ces dernières sont étudiantes en didactique visuelle à la Haute école des Arts du Rhin (Hear) et n’ont pas hésité à dire oui quand la situation d’Ali s’est présentée :

« On est habituées à héberger des gens, on a fait beaucoup de couchsurfing (de l’hébergement gratuit, NDLR), on dépanne. »

Elles sont contentes de pouvoir proposer un « espace semi-privé »à leur invité, ayant séparé leur salon en deux avec un rideau. Ali dort sur un matelas deux places, il a son petit espace dans la salle de bain et il y a toujours à manger pour lui dans la cuisine, puisqu’ici, « tout le monde cuisine toujours pour tout le monde ». Les étudiantes l’ont accueilli « comme un 5e coloc ». Le week-end, ils font le ménage ensemble et essaient de partager des loisirs. Ali a même découvert le cinéma français en allant voir Illusions perdues. « C’était pas facile », sourit-il au sujet de cette adaptation du roman d’Honoré de Balzac dans le Paris du XIXe siècle.

Les étudiantes en didactique visuelle sont habituées à héberger des gens dans le besoin (Photo DL / Rue89 Strasbourg).

Ali passe tout le mois de novembre dans cette colocation à l’Esplanade, puis entrera dans la boucle. Même s’il espère, bientôt, « avoir son propre chez lui », parce qu’il a « peur de déranger, surtout le matin dans la salle de bain », avant de partir au travail. Il a trouvé un emploi dans une entreprise de réparation d’électroménager. En passe d’obtenir son titre de séjour, il a visité les colocations Caracol, des colocations solidaires qui ne prennent que des personnes dont la situation est régularisée. Anaëlle l’avait accompagné. Ça allait de soi. Et Ali leur en est reconnaissant :

« Elles sont très gentilles, elles m’ont beaucoup aidé, à faire des mails, à remplir des papiers… »

Les jeunes filles lui ont aussi montré comment obtenir sa carte d’abonnement CTS et remplir des papiers pour l’entreprise d’intérim. « On peut le faire parce qu’on est quatre », explique Suzon. « Forcément, l’une d’entre nous aura le temps de lui filer un coup de main ».

En cas de question, elles peuvent se tourner vers l’Ouvre-Porte. « On a d’ailleurs établi un document pour expliquer le cadre juridique, bien faire comprendre que les hébergeurs ne risquent rien », explique Julie. Elle ajoute que l’équipe rencontre chaque famille d’accueil et qu’une convention est signée entre accueillants et accueillis. À part ça, il n’y a pas de critère : tout le monde peut accueillir, « à condition de ne rien attendre en retour », précise Baptiste. Les accueillis sont généralement des personnes seules, françaises ou étrangères.

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