À Strasbourg cet hiver, des associations professionnelles et bénévoles œuvrant pour les plus démunis se sont réunies pour partager leurs constats sur l’embolie du système d’aide à Strasbourg. Rejointes par des citoyens engagés, elles ont voulu partager leurs inquiétudes, s’entraider pour renforcer leurs dispositifs mais aussi alerter. Apparu publiquement lors de l’inauguration du marché de Noël de Strasbourg par des pancartes brandies affichant le nombre de gens à la rue le soir même, le collectif des Sans-Dents Mais Pas Sans Droits était lancé.
Deux mois plus tard, après quelques actions médiatiques, plusieurs milliers de petits gestes supplémentaires (collectes d’habits, de couvertures, soutien au gymnase, repas supplémentaires) et un dialogue amorcé avec l’État et la Ville, le Collectif a alors fait face aux annonces officielles selon lesquelles plus aucune demande d’hébergement adressée au 115 ne serait refusée.
Oui, à Strasbourg cet hiver, l’aide d’urgence fut et reste toujours saturée !
Les 1 800 places des dispositifs de l’hébergement « d’urgence classique » mobilisées au 1er janvier 2017, – soit 1 500 nuitées d’hôtels et 300 places en structures d’hébergement d’urgence – n’ont pas suffi. Avec l’arrivée d’une vague de froid au mois de janvier, près de 200 places « d’urgence grand froid » ont été mobilisées progressivement par l’État, soutenu par la municipalité de Strasbourg, soit des lits dans un gymnase et des accueils de nuit – des chaises, quelques matelas – dans des locaux associatifs des gestionnaires de foyers. Du très provisoire, un accueil souvent indigne !
Précarité et débrouille… pour tout le monde, acteurs comme bénéficiaires
Quelque 2 000 personnes sont passées par ces dispositifs d’urgence. C’est sans compter toutes celles qui ne composent même plus le 115. Urgence… Le mot n’y est plus ! Précarité et débrouille sont les mots qui viennent pour qualifier la situation de tous : les institutions, les associations et les bénéficiaires ! Oui nous rencontrons des personnes à la rue tous les soirs, oui nous appelons le 115 en urgence et parfois en vain le soir car ces personnes n’ont pas trouvé de réponse positive la journée. Et non, toutes les places du gymnase ne se sont pas transformées en hébergement durable !
À Strasbourg, le constat est sans appel : l’hébergement d’urgence est débordé, le 115 désorienté, les associations gestionnaires congestionnées, les associations de rue face à des ruées, les maraudes érodées. Et tous ces efforts collectifs s’effacent devant le terrible chiffre de 26 personnes décédées dans la rue en 2016 ou devant ces regards de dizaines d’enfants attendant leur tour pour manger dans la rue.
Ces publics recensés par les institutions et les associations sont des personnes, hommes ou femmes isolées, avec ou sans animaux de compagnie, des couples ou encore des familles avec enfants. Ils sont travailleurs modestes, retraités, jeunes sans emplois, bénéficiaires de minima sociaux, chômeurs, étudiants, personnes handicapées ou malades, ou encore migrants en instance de régularisation… Sans oublier les personnes hors-circuit, en dehors de tout aide institutionnelle. C’est vous, nous, potentiellement n’importe qui face aux galères de la vie.
Il manque 200 places d’hébergement urgence
Nous viennent alors quatre grands constats, entraînant autant de revendications fortes.
1) Augmenter le nombre de places en hébergement pérenne adapté, orienter les publics vers le logement.
À Strasbourg, le logement, même social, est un luxe pour les sans revenu. L’hébergement pérenne est insuffisant ! L’ultime recours, l’hébergement d’urgence est saturé, et ce malgré le fort investissement de l’État, de la Ville et des associations opératrices.
Pour le collectif Sans-Dents, Mais Pas Sans Droits, à court terme, 200 places doivent être créées dans l’hébergement d’urgence pour accompagner la fin du plan hivernal et pouvoir offrir chaque soir une place à chacun. À moyen terme, c’est la fin de l’hébergement hôtelier qui doit être accélérée. Les millions d’euros ainsi économisés doivent être réorientés vers des structures d’hébergement pérenne, offrant un accompagnement social professionnel (maisons relais, pensions de famille, résidences sociales, mandats de gestion/gestion locative adaptée, résidences hôtelières à vocation sociale).
« Privilégier les bailleurs vraiment sociaux »
L’hébergement d’urgence humanitaire doit être mieux préparé par la mobilisation des bâtiments publics disponibles (gymnases, centres socio-culturels, hôpitaux, etc). L’accompagnement de l’hébergement en logement doit être soutenu, de même que les expérimentations associatives et citoyennes : hébergement auto-géré et gestion associative d’appartements.
La Ville de Strasbourg doit orienter fortement le parc locatif social vers les plus démunis en privilégiant les bailleurs réellement sociaux, mais aussi poursuivre sa mobilisation du parc privé vacant comptant près de 3 000 logements sur l’agglomération. N’oublions pas que la réquisition du logement vacant est une prérogative publique positive servant dans l’urgence à mettre à l’abri des personnes en danger.
2) Décloisonner la gouvernance, augmenter l’investissement public pour les plus démunis
À Strasbourg, la gestion des dispositifs est cloisonnée, opaque pour les acteurs associatifs, incompréhensible pour les bénéficiaires, qui passent d’une structure à une autre sans logique de suivi. Les moyens humains et financiers des opérateurs publics et/ou associatifs de l’hébergement stagnent ou régressent, alors même que les besoins augmentent. Cette mise sous tension se répercute sur les associations bénévoles de terrain, dernières rustines d’un système d’aide défaillant.
Chef de file, le Conseil départemental du Bas-Rhin abandonne le terrain
Symbole de cette approche, le Conseil départemental du Bas-Rhin, qui a coupé court à toute discussion, a allègrement enterré en 2016 le plan départemental d’actions pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées (2015-2020). Chef de file des politiques sociales et de la protection de l’enfance, il a fait de la pauvreté une variable d’ajustement budgétaire, provoquant la disparition de structures et une baisse de l’activité des associations en faveur des plus démunis.
Malgré un début de dialogue positif, Le collectif Sans-Dents, Mais Pas Sans Droits réclame une nouvelle fois une ouverture de la gouvernance et des bilans des dispositifs mis en oeuvre, une collaboration étroite et régulière des institutions avec les acteurs de terrain, un renforcement des moyens humains et financiers du CCAS, du 115 et des foyers d’hébergement d’urgence, ainsi que la sanctuarisation des budgets du Conseil départemental consacrés à l’hébergement d’urgence et sa ré-implication aux côtés de l’Etat et de la Ville.
3) Soutenir les distributions sur site, de rue et les maraudes
À Strasbourg, des milliers de repas sont distribués par des associations chaque semaine. Pourtant tous les soirs ne sont pas couverts, tandis que les principales associations en place atteignent leurs limites (600 personnes par déjeuner à La Fringale, 200/250 repas par dîner à Abribus, Strasbourg Action Solidarité ou le Bus du coeur) et ce malgré l’apparition d’initiatives citoyennes spontanées. Notons que les distributions de rue sont particulièrement inadaptées aux familles.
Le collectif Sans-Dents, Mais Pas Sans Droits soutiendra une coordination par la Ville des distributions et demande l’étude concrète d’une mise à disposition de cuisines collectives et la mise en place d’un lieu d’accueil et de distribution dédié aux familles.
4) Faciliter l’accès aux soins, à l’hygiène et la sécurisation du quotidien des plus démunis
À Strasbourg, la journée des plus démunis se résume à un vaste ballottage entre les accueils de jour qui deviennent des salles d’attente, où s’entreposent leurs baluchons, en attendant que les accueils de nuits ouvrent pour ceux qui y ont accès… Les possibilités de domiciliation pour les plus démunis sont insuffisantes alors qu’une adresse postale est nécessaire pour faire valoir nombre de droits, postuler à un emploi ou tout simplement être citoyen. De la même manière, l’accès aux soins et à l’hygiène n’est pas permanent (douches et toilettes publics).
Rétablir l’accès à ces droits, c’est aussi assurer la dignité des personnes ainsi que leur ouvrir une porte vers la réintégration dans la société. Malgré quelques échanges à ce sujet avec les institutions, le collectif Sans-Dents, Mais Pas Sans Droits se doit de réaffirmer que la réflexion sur l’accès aux lieux d’hygiène publics doit être menée. Ceci doit s’accompagner de la coordination, de la simplification et du développement du dispositif de domiciliation ainsi que de lieux de stockage.
Face à ce constat accablant, des solutions existent !
Face à l’urgence et à ce constat accablant, des solutions existent ! Le collectif Sans-Dents, Mais Pas Sans Droits appelle les pouvoirs publics à concrétiser les idées, les associations et les citoyens à agir, pour que la solidarité locale soulage les victimes des crises globales.
Le collectif Sans-Dents, Mais Pas Sans Droits est constitué de citoyens engagés dans la lutte contre la précarité. Le collectif a le soutien des associations Abribus, Action hygiène et vestiaire, collectif SDF Alsace, Grains de sable et Strasbourg Action Solidarité. Ce constat est également partagé par le Secours populaire français.
Valérie Suzan, de Strasbourg Action Solidarité,
Stéphane Fillion, Abribus,
Monique Maitte, du collectif SDF,
Aschwin Ramenah, collectif Les Morts De La Rue.
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