Dans l’école Rosa Parks, à Hautepierre, 32 bénévoles de l’association Solidariteam installent des tables dans un joyeux brouhaha. Depuis 8 heures, samedi 5 juin, une vingtaine d’hommes et de femmes patientent derrière les grilles, cabas et chariots de courses à la main. Comme chaque samedi, un « supermarché gratuit et solidaire » est installé dans un quartier de l’Eurométropole, tour à tour l’Elsau, la cité Rotterdam, Hautepierre et Schiltigheim.
Au volant de son camion rempli de denrées alimentaires, Jérémy est en route vers l’école Rosa Parks. L’animateur du secteur jeune du Galet, étale des dizaines de feuilles A3 couvertes de noms sur la plage avant, la liste des inscrits pour la distribution du jour. Chaque semaine, des associations, travailleurs sociaux de la Ville et de la Collectivité Européenne d’Alsace ainsi que les foyers Adoma envoient des listes de bénéficiaires. « On attend entre 500 et 600 personnes aujourd’hui », lance-t-il entre deux appels. La journée s’annonce chargée, il doit coordonner l’installation de la distribution et la collecte de dons simultanée au Auchan de Hautepierre.
Une organisation rodée, des collectes aux distributions
La camionnette peine à se frayer un chemin devant la grille de l’école, au milieu des bénéficiaires qui attendent l’ouverture des portes. « Madame, Monsieur, c’est à midi que vous pourrez entrer, pas avant », lance-t-il par la fenêtre, presque désolé. À peine garé dans la cour, une chaîne humaine s’organise pour vider le véhicule. Il faut aller vite. 11h approche : l’heure de l’ouverture aux étudiants. Ce sont les premiers à pouvoir profiter de la distribution, sur présentation de leur carte étudiante. Lorsque les grilles s’ouvrent, les premiers bénéficiaires sont invités à s’avancer vers les tables disposées en U, dans les locaux de l’école.
Dans le brouhaha de ce supermarché éphémère, des adolescents en gilets jaune ou orange aident des personnes âgées à porter leurs sacs jusqu’à la sortie tandis que d’autres tendent des denrées à des mères de famille reconnaissantes. Toute la semaine, des bénévoles collectent les invendus des grandes surfaces, qui sont ensuite stockés dans des locaux mis à disposition par le CSC Le Galet et le Sermes, un magasin d’électroménager, à la Meinau.
« On parle souvent de la violence dans les quartiers mais jamais des jeunes qui s’investissent »
En fin de matinée, Smaïl, entraineur au club de football de Hautepierre, prend une pause à l’entrée de la salle, entouré de trois de ses joueurs de 16 et 17 ans. L’air satisfait, ils observent les familles passer de tables en tables. D’abord les produits secs, puis les fruits et légumes, et enfin les produits d’hygiène et les vêtements. Ici, la distribution ne s’effectue pas en fonction de la situation sociale du foyer, mais selon la quantité de nourriture collectée et le nombre de bénéficiaires attendus.
Derrière les stands, la majorité des bénévoles ont moins de 25 ans. Smaïl sourit. « Faire partie d’un club de foot, ce n’est pas que faire du sport. C’est aussi porter des valeurs et un objectif socio-éducatif. Chaque samedi j’ai environ dix jeunes qui s’impliquent dans une distribution », explique-t-il avec fierté. Ses joueurs acquiescent. « Je comprends le gens qui viennent ici. J’étais dans un peu dans la même situation qu’eux avant », lâche timidement l’un deux, avant de retourner derrière une table.
Dans la salle, des éclats de rires fusent entre les bénévoles. La plupart se connaissent, s’interpellent et rient ensemble. Une phrase revient chez beaucoup : « aider son prochain ». Conscients de la difficultés pour certains de faire ses courses convenablement, il semble normal pour ces jeunes d’aider ceux qui pourraient être des voisins, des cousines ou des oncles. « On parle souvent de la violence dans les quartiers mais jamais des jeunes qui s’investissent et qui demandent à aider, alors que c’est une réalité. Regardez ces visages, ce sont eux qui portent ce projet », salue Noureddine Alouane, président de Solidariteam.
« Si je fais des courses au supermarché, je n’en ai pas pour tout le mois »
« Espacez-vous dans la queue ». Il est à peine midi et une file d’attente serpente déjà dans la cour de récréation de l’école. Aziz, président des Compagnons de l’espoir, tente de faire respecter la distanciation sociale sous le ciel menaçant. Un mégaphone à la main, il longe la file émaillée de poussettes et de chariots, rappelant que ceux qui ne sont pas inscrits ne seront pas servis avant 14h. L’association travaille ainsi en collaboration avec l’aide sociale.
Lorsque des tensions éclatent dans la file d’attente, c’est à lui d’intervenir. Une femme en accuse une autre de l’avoir doublée. Aziz temporise. « Nous sommes tous bénévoles ici, on est là pour la solidarité. On gagne quoi, nous, si vous vous comportez comme ça ? Tout le monde repartira avec quelque chose », rasssure-t-il avec fermeté. Les bénéficiaires reprennent leur place et Aziz continue d’arpenter la cour de récréation. Certains, comme Juliette, se sont assis, laissant leur chariot dans la file à leur place. Cette mère de trois jeunes enfants vient ici pour la première fois, sur les conseils de la maîtresse. « Tout est si cher, si je fais des courses au supermarché, je n’en ai pas pour tout le mois », soupire-t-elle.
Une initiative locale pour pallier les limites des distributions habituelles
« Il y a des gens qui viennent de Molsheim », lance un bénévole, stupéfait. L’initiative semble avoir visé juste ; le besoin d’aide alimentaire reste criant, pas entièrement satisfait par les distributions habituelles. Solidariteam se considère comme « complémentaire » des autres associations, « La plupart de nos bénéficiaires sont aidés par plusieurs distributions au cours du même mois », assure Noureddine Alouane, pour qui les « supermarchés gratuits et solidaires » de Solidariteam semblent augurer un renouveau de l’action sociale dans les quartiers, fondée sur la mobilisation des jeunes. Ces derniers sont d’ailleurs prêts à prendre la relève. « C’est une histoire de valeurs et de principes », affirme Kawthar, catégorique, du haut de ses 16 ans. À la fin de la journée, l’action aura aidé 511 personnes à remplir leurs frigos.
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