L’Université de Strasbourg et son président Michel Deneken farouches opposants à l’explosion des frais de scolarité pour les étudiants non-européens ? C’était le sens d’une solennelle prise de position publiée fin janvier. Mais plus deux mois plus tard, aucune disposition en ce sens n’a été votée par le conseil d’administration.
Pas de vote le 17 mars
C’était pourtant la promesse de sa première lettre (« Si l’application des frais d’inscription différenciés entre en vigueur en septembre 2019, je m’engage à soumettre au vote du conseil d’administration des dispositions permettant aux étudiants internationaux de se voir appliquer les mêmes droits que les étudiants nationaux et européens), prévue « le cas échéant », le 12 mars. Le point n’a pas été mis à l’ordre du jour lors de la réunion du mardi 17 mars (celle du 12 avait été décalée suite à une mobilisation pour les vacataires), qui a duré plus de quatre heures.
Pour rappel, le gouvernement entend augmenter à 2 770 euros et 3770 euros les frais d’inscriptions aux licences et masters des Universités françaises pour les étudiants non-européens (on parle « d’étudiants extra-communautaires ») contre 170 euros et 243 euros pour les européens. Cette stratégie « Bienvenue en France », doit en théorie financer davantage de bourses. Cette réforme qui n’était pas dans le programme d’Emmanuel Macron rencontre une opposition quasi-unanime dans le monde universitaire, y compris auprès des directions. Mais sa mise en œuvre se précise.
L’attente des décrets
Rue89 Strasbourg avait contacté l’Université de Strasbourg mercredi 10 avril, qui avait répondu « attendre la publication des décrets » pour voter une délibération adaptée. Conscient des questionnements que cette non-décision suscite (l’opposition avait dénoncé cet attentisme dans un mail collectif deux semaines plus tôt), le président a publié dans la soirée l’état actuel de sa position (voir en fin d’article).
Michel Deneken, qui réitère une opposition de principe, fait part des deux avancées : d’une part les étudiants qui ont entamé leur cursus paieront les mêmes frais que les européens jusqu’au bout de leurs études. D’autre part, les doctorants ne sont désormais plus concernés par la multiplication par 16 des droits d’inscription (imaginée à 3770 euros les concernant). La lettre ne le dit pas, mais c’est un atout non-négligeable à Strasbourg notamment en raison de ses facultés de théologie, une spécificité alsaco-mosellane issue du Concordat, où nombre de doctorants viennent d’Afrique et seraient les premiers impactés par une telle explosion des tarifs, une « sélection par l’argent », selon les mots de Michel Deneken.
Des explications fournies
D’après des participants au dernier conseil d’administration, Michel Deneken a soumis une explication légale aux élus, qui ne figure pas dans sa lettre aux personnels et étudiants : selon un décret de 2013, une université ne peut exonérer que 10% de ses étudiants. Or il y a déjà 8,5% des 50 800 étudiants qui le sont à Strasbourg, sur différents critères (la décomposition exacte n’est pas connue). Ainsi, la marge ne serait que de 700 à 800 étudiants, là où l’Unistra accueille 7 000 étudiants extra-communautaires, (10 000 étrangers en comptant les européens), une des plus forte proportion de France. Reims a par exemple pu voter une délibération en ce sens pour 2019/2020.
Augmenter les seuil d’étudiants pouvant être exonéré serait l’une des pistes de travail au Ministère de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur. En l’état actuel, il faudrait qu’à Strasbourg ce taux soit relevé à plus de 20% des étudiants (si rien ne change par ailleurs). Au Sénat, la ministre Frédérique Vidal s’était opposée à relever ce taux à 15%.
Autre mini-avancée, une enveloppe de 10 millions d’euros à se répartir entre les 67 universités a été débloquée par le ministère. « On connaît à présent le prix de nos principes », fustige la liste Alternative, qui chiffre à quelques centaines de milliers d’euros les retombées pour Strasbourg.
Dans sa deuxième lettre, Michel Deneken se montre en fait un peu plus vague dans sa promesse future. Il dit s’engager à proposer une délibération « réduisant au maximum l’impact réel sur les étudiants », et non plus une exonération totale, toujours limitée à « l’année prochaine ».
Incompréhension d’une part du conseil d’administration
Interrogés à l’issue du conseil d’administration, d’autres membres disaient avoir du mal à comprendre le non-vote. C’est le cas de l’opposante Laurence Rasseneur, de la liste Alternative :
« Strasbourg est très observée par le Ministère, car c’est le plus grand établissement de France et qu’elle est souvent encline à être la “bonne élève” dans l’application des réformes des gouvernements. Donc si ça bloque ici, le gouvernement y réfléchira par deux fois. C’est dommage que l’on n’ait pas affirmé plus franchement notre opposition. Les textes de motions d’opposition à la réforme plus tranchées avaient d’ailleurs été refusés. »
C’est aussi la position de l’association étudiante de l’Afges, qui entretient de bonnes relations avec la direction locale, mais qui à l’instar de sa fédération nationale (la Fage) est farouchement opposé à cette réforme. Alexandre Meny, représentant au conseil d’administration, se dit mitigé sur la non-délibération :
« On peut comprendre qu’on ne vote pas un texte inapplicable. Mais il y a aussi un enjeu d’image de la France et de l’Université de Strasbourg. En attendant, les étudiants qui voudraient s’inscrire à Strasbourg sont désavantagés, car sur le site d’inscription Campus France, on apparaît comme ceux qui appliquent la hausse. Compte tenu de ses prises de position, Michel Deneken ne peut pas ne pas proposer de délibération. »
Dans un longue analyse sur Twitter, Julien Gossa, un autre administrateur opposant, conclut que le deuxième courrier n’engage à « rien » et sert à « garder du crédit auprès de sa base », tout en avalisant en fait la décision du gouvernement.
Contacté, il ajoute :
« Dès le début, les présidents de manière générale se sont opposés aux modalités pour 2019/2020, mais pas sur le principe. S’ils avaient mis leur démission dans la balance, cela aurait changé le rapport de force. Un courrier dont on a pris connaissance via une dépêche de la presse spécialisée (AEF) et que la présidence a refusé de nous montrer, indique que ces hausses de frais viendraient en fait compenser le glissement vieillesse technicité (GVT), c’est-à-dire les revalorisations des salaires. Les négociations sont quasi-terminées. C’était un test pour d’autres réformes et les directions ont cédé. »
La prochaine réunion du conseil d’administration est prévue uniquement en mai. Mais selon l’Université, une réunion « extraordinaire » pourrait être convoquée dans l’urgence suite à la parution des décrets.
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