« Cette fois, ça craint vraiment. » C’était la une de Libération lundi 11 avril, au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle. Selon les premiers sondages, l’extrême-droite pourrait remporter l’élection suprême en France. Jean-Luc Mélenchon étant arrivé en troisième position avec plus de 20% des voix, le choix de ses électeurs risque de déterminer qui gagnera le match Macron-Le Pen. Pour connaître l’avis de ses militants, la France insoumise (LFI) a lancé une consultation interne, destinée aux 315 000 personnes qui ont parrainé Jean-Luc Mélenchon sur le site de l’Union populaire. Trois possibilités : l’abstention, le vote blanc ou le vote pour le président sortant. Le consultation finira samedi 16 avril à 20h.
Le nouveau discours d’Emmanuel Macron vers la gauche
De son côté, Emmanuel Macron a subitement adapté son discours, en valorisant des mesures sociales et écologistes, notamment lors de son meeting à Strasbourg mardi 12 avril. Le mercredi, au journal de 20h sur TF1, il annonçait carrément vouloir reprendre des mesures des programmes de Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot. « Je n’y crois pas une seule seconde », balaye Aïcha, travailleuse sociale qui a voté insoumis au premier tour :
« Macron est un extrême libéral. Pendant son quinquennat, il a mis en place de nombreuses réformes anti-sociales et pour les plus riches : la réforme de l’assurance chômage, la suppression de l’impôt sur la fortune, il a poursuivi la casse de l’hôpital public avec des suppressions de lits. Dans son programme, il veut la retraite à 65 ans et la conditionnalité du RSA. »
« Sa politique a été un désastre pour l’environnement aussi. L’État français a été condamné deux fois pour inaction climatique », abonde Tom, militant d’Alternatiba : « On a même décroché ses portraits des mairies. Ça fait des années qu’on lutte contre lui ! » Rue89 Strasbourg a interrogé neuf électeurs strasbourgeois de Jean-Luc Mélenchon. Beaucoup se disent « désespérés » ou « extrêmement déçus et en colère » après le résultat du premier tour. Cinq d’entre eux pensent mettre un bulletin Macron dans l’urne, pour faire barrage à l’extrême-droite, tout en restant contre le programme de La République en marche (LREM). Parmi les autres, trois s’abstiendront et le dernier hésite encore.
« Nous serons en première ligne dans les quartiers populaires si l’extrême droite passe »
Hamed, qui travaille au centre socio-culturel de la Meinau, votera contre Marine Le Pen :
« Je rejette la politique anti-sociale de Macron. Mais une politique libérale et une politique d’extrême droite ne sont pas équivalentes. Il ne faut pas perdre la raison à cause de notre déception. Nous serons en première ligne dans les quartiers populaires si l’extrême droite passe.
Avec un régime autoritaire, encore plus stigmatisant pour les immigrés et les enfants d’immigrés, et une police en roue libre, ça sera catastrophique pour nous. C’est plus facile de refuser le barrage à l’extrême-droite quand on s’appelle Stéphane ou Jean-Jacques. »
Aïcha, elle, refuse pour l’instant, de « donner sa voix à Macron » :
« Il a sorti la loi contre le séparatisme et la loi asile et immigration. La première est islamophobe et la deuxième est contre les réfugiés. Il a nommé Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur, qui a dit à Marine Le Pen qu’elle est « trop molle ». Je ne suis pas plus rassurée avec Macron. »
Ne pas mettre son âme dans l’enveloppe
Pour Tom, d’Alternatiba, Marine Le Pen (RN) est en lien avec le gouvernement hongrois. « On voit bien ce qu’il se passe là-bas », dit-il. Le parlement a par exemple voté une loi anti-lgbt, qui interdit notamment de parler d’homosexualité et de changement de sexe auprès des mineurs. Il a aussi mis en place des mesures pour contrôler les médias, construit un mur anti-immigration à la frontière avec la Serbie ou réduit le rôle de la Cour constitutionnelle. Le militant écologiste souligne au passage l’absence totale de mesures pour le climat et la biodiversité de Marine Le Pen. Il ajoute :
« Je pense qu’il faut désacraliser le vote, je ne mets pas mon âme dans l’enveloppe, je vois ça comme un outil. Je voterai, en me bouchant le nez, contre l’extrême droite. De toute façon, l’issue politique ne se trouve pas dans les urnes mais dans les luttes. Militer sous Macron, c’est déjà très dur, on a vu la répression des mouvements sociaux, mais je pense vraiment que sous Le Pen ça serait encore bien plus dangereux. »
Selma, qui se définit comme queer (mot désignant l’ensemble des minorités sexuelles et de genre, NDLR), votera aussi Macron, mais constate que beaucoup autour d’elle hésitent à faire barrage à l’extrême-droite :
« En même temps, je les comprends, parce qu’on n’en peut plus de Macron, mais il y a aussi des moments où ça me met en colère. J’ai l’impression qu’il y a une hypocrisie des militants qui disent être les alliés des minorités, mais qui, comme ils sont moins concernés par les politiques d’extrême-droite, ne veulent pas faire barrage. Les gens qui appellent à s’abstenir après avoir voté Mélenchon, je ne suis pas sûre qu’ils aient des sans-papiers ou des personnes trans dans leur entourage par exemple. »
Le passif de Marine Le Pen envers les minorités sexuelles
Marine Le Pen a pris soin de ne faire aucune déclaration sur les questions LGBT pendant sa campagne. Dans son programme, au volet « famille », elle promet un « moratoire de trois ans sur les sujets sociétaux ». Elle a toujours voté contre la PMA pour toutes à l’assemblée. Mais ce passif n’a pas encore convaincu Laurent, gay, de voter Macron, qu’il voit comme « un extrémiste, un ultralibéral, qui veut quand même avoir l’air progressiste » :
« Macron fait du pink-washing (mettre en avant la cause LGBT mais sans vraiment agir, NDLR), mais je pense que les répercussions pour les minorités de genre pourraient être encore plus graves avec Le Pen au pouvoir. Je suis désespéré, je ne sais pas encore si j’irai voter. Mais je me dis que c’est peut-être parce que je suis blanc et donc privilégié par rapport à d’autres. »
La colère face aux difficultés économiques
Samten a fait barrage en 2017. Il ne le fera pas cette fois-ci. Photographe de profession, il est au chômage aujourd’hui, « victime de l’ubérisation de sa profession » :
« Il y a des plateformes de photographie qui permettent d’acheter des prestations à prix réduits. C’est ça le système Macron, c’est une violence sociale immense. Même si je sais que Le Pen est encore pire, je ne voterai pas. Je me dis que c’est possible de la contrer aux législatives, et que peut-être que les mouvements sociaux seraient plus forts contre elle. »
Nicolas, militant anarchiste, ne participe pas aux élections d’habitude. Mais face à la difficulté d’avoir des impacts concrets avec les luttes sociales pendant le quinquennat Macron, il a décidé de voter Mélenchon, espérant avoir un gouvernement de gauche, plus à l’écoute des militants :
« Je pense que c’est un jeu dangereux de parier sur le passage de Le Pen et des mouvements sociaux plus forts. La matrice idéologique du rassemblement national, c’est le fascisme. Là où il est installé, en Russie ou en Hongrie par exemple, c’est beaucoup plus dur de lutter. C’est pire pour les droits syndicaux, il y a énormément de répression. Et puis, on peut imaginer que l’élection du RN envoie un très mauvais signal qui conforterait les groupes néonazis violents, et leur donnerait envie d’agir encore plus. »
Mais pour Nicolas, Marine Le Pen a peu de chance de passer. Il ne se déplacera pas pour voter pour le second tour, fidèle à ses principes : « En tant que militant, j’en ai trop bavé avec Macron. La politique pour moi, ce n’est pas jouer le jeu des élections une fois tous les cinq ans, mais c’est tout le temps, dans les luttes sociales. » Ou bien, il utilisera la plateforme alter-votants, qui le mettra en relation avec une personne n’ayant pas le droit de vote, pour mettre un bulletin dans l’urne à sa place.
Au contraire, Valentine, féministe et bénévole au planning familial, pense voter Macron, à contrecœur :
« Sur le coup de l’émotion, je me suis dit que je ne voterai pas après le premier tour. Les associations comme la mienne sont menacées par l’extrême-droite. Je veux pouvoir avorter en France. (Certains élus du Rassemblement national ont déjà pris position pour supprimer les subventions du Planning familial et en février dernier, Marine Le Pen s’est opposée à l’allongement du délai légal pour l’IVG, NDLR) En étant blanche, j’ai l’impression que cela serait égoïste de ne pas faire barrage, pour les personnes plus menacées que moi. »
Le barrage à Macron… aux législatives ?
Enfin Ourida, qui a peur pour elle et ses amis d’origine étrangère, en particulier ceux qui « n’ont pas les bons papiers », comprendre menacés d’expulsion, votera Macron : « Marine Le Pen veut durcir la possibilité d’obtenir l’asile en France et amoindrir les prestations sociales pour les étrangers. Et puis on ne sait pas tout sur ce qu’elle fera si elle est au pouvoir, avec des ministres et un entourage durs. »
Pour Hamed, du CSC de la Meinau, « vu la situation, le mieux c’est de rester lucide malgré la déception, faire barrage à l’extrême-droite, et ensuite, faire un front social contre Macron aux élections législatives pour l’empêcher d’avoir la majorité à l’assemblée. C’est jouable si les Insoumis œuvrent dans ce sens là ». Tout un projet. Une pétition citoyenne lancée le 12 avril demande une union des gauches et de l’écologie pour les législatives.
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