Rideaux et origami au Mamcs
Au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, c’est un éclairage au néon froid qui nous accueille. La première installation sert à la fois à ouvrir et fermer l’espace, il s’agit de Blind Curtain – Flesh behind Tricolore. Sorte de moucharabieh moderne, le store vénitien est l’un des matériaux qui revient régulièrement dans l’œuvre d’Haegue Yang. Ici, il s’agit d’un ensemble de stores répartis en carrés qui dessinent et masquent l’espace dans lequel nous allons pénétrer. Au Mamcs, nous sommes face à un éclatement des propositions plastiques de l’artiste, on y trouve des installations, des photographies, des photo-montages, des cadavres-exquis, des sons et des sculptures qui dénotent de la richesse de son imagination.
Elle détourne, dans certaines de ses mises en scène, le principe du ready-made des dadaïstes. Ainsi, les œuvres Non-indépliable, azuré ou Gimnastics of the Foldables mettent en scène un séchoir à linge. Dans la première, il est recouvert d’un tissu bleu ciel et est figé dans une forme alors que, pour la seconde, il s’agit de photographies qui le présentent comme s’il faisait sa gymnastique et les différentes positions qu’il peut prendre. Haegue Yang joue avec les objets, les détourne de leur usage premier : le séchoir à linge perd son but et devient possibilité d’un combat contre la norme établie pour l’artiste.
Des origamis comme point de départ
Pour d’autres œuvres, Haegue Yang utilise comme point de départ des origamis qui ressemblent aux cocottes en papier de notre enfance : soit elle les photographie dans la série des Imperfections (il s’agit d’origamis ratés), soit elle projette dessus de la peinture en spray dans ses Non-Foldings – Geometric Tipping, ceux-là on dirait des rayogrammes, ceux qui lui ont servi pour cette dernière série, elle les aplatit ensuite et nous les donne à voir encadrés dans la série Non-Foldings – Scenarios of Non-Geometric Folding.
Avec son travail à partir d’origamis, l’artiste s’inscrit dans un travail minutieux et traditionnel lié à son pays d’origine (pour info, elle est coréenne mais vit et travaille à Berlin) mais elle se réapproprie cette pratique en les montrant ratés, détruits, en négatifs ou en deux dimensions, ils sont bien loin de l’esthétique léchée et maîtrisée qui va de pair avec cette pratique.
Des clochettes à L’Aubette 1928
Changement de décor, autre ambiance, autres œuvres : L’Aubette 1928, espace dédié aux plaisirs et à la fête à la fin des années 1920 qui réunissait, au centre de Strasbourg, un ciné-dancing, une salle des fêtes ainsi qu’un foyer-bar, chaque salle étant décorée par Théo Van Doesburg, Jean Arp et Sophie Taeuber-Arp.
Chaque pièce réalisée par Haegue Yang a été choisie par l’artiste pour créer un écho avec les différents espaces. Dans la salle des fêtes, par exemple, se trouvent deux Dress Vehicles : Zig-Zag et Yin Yang. Il s’agit de grandes sculptures montées sur roues, ces deux œuvres sont constituées d’éléments métalliques, de stores vénitiens (que l’on retrouve ici comme au Mamcs), de macramé et de clochettes. « M’accorderiez-vous cette danse ? », nous disent-elles. Il nous est possible d’y entrer (dans la danse mais surtout dans les œuvres) et, grâce à des poignées, on peut les bouger et tournoyer dans cette salle des fêtes. Haegue Yang rend hommage au mouvement dada et aux murs qui l’accueillent tout en se les réappropriant : les éléments parallélépipédiques et les couleurs qu’elle y associe répondent aux aplats de couleur carrés de l’espace.
Dans le foyer-bar se trouve une œuvre étonnante : Incarnation of Wind and Condensation. Il s’agit d’un bar sous lequel se trouve un congélateur et sur le plateau duquel on peut voir un ventilateur. De part et d’autre, se trouvent deux bouteilles d’eau congelée. Le plateau reprend les couleurs choisies par Sophie Taeuber-Arp pour la décoration de cette salle et l’inscrit ainsi comme pouvant vraiment en faire partie. Les bouteilles sont changées régulièrement par le personnel de l’Aubette afin que le processus de condensation puisse se produire en continu.
Puis, pour finir, les Sonicwears, ensemble de costumes dorés et argentés constitués de clochettes, sont disposés sur des tables au centre de la salle du ciné-dancing. Ils sont à enfiler : le poncho argenté fait neuf kilos. Une fois porté, il est possible d’y ajouter des sortes de menottes ou des bracelets et d’alors faire tinter les clochettes qui nous recouvrent. Haegue Yang invite le visiteur à faire de la musique qui, grâce à lui, va à nouveau résonner dans cet espace du ciné-dancing : dansez !
L’exposition des musées de la ville de Strasbourg nous invite à entrer dans une œuvre riche et dense. Elle est très référencée, ce qui pourrait être reproché à Haegue Yang, parce que, en effet, pourquoi ne pas se délivrer des influences de ses prédécesseurs ? Mais elle joue avec ces ascendants du passé, se les réapproprie et en donne une nouvelle lecture décalée et pleine d’humour.
Y aller
« Haegue Yang. Équivoques » jusqu’au 16 septembre. Au Mamcs : du mardi au dimanche de 10h à 18h ; tarif : 7€. A L’Aubette 1928 : du mercredi au samedi de 14h à 18h ; tarif : entrée libre.
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