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Il est 7h à l’habitat participatif Eco-Logis à Neudorf. Comme chaque matin avant de partir au travail, Serge et quelques voisins se retrouvent pour une séance de Qi Gong de 30 minutes. Juste le temps de se mettre en condition pour bien commencer la journée avec un mélange de gymnastique lente et d’exercices de respiration. Chacun enfourche ensuite son vélo et part de son côté.
Pour Serge Asencio, direction le bâtiment administratif de la CUS où il est justement le « monsieur vélo » comme il se qualifie lui-même. Sa mission ? Promouvoir ce mode de déplacement dans la capitale alsacienne. Il est, avec sa voisine Zélia Simon, à l’origine de l’association Eco-Quartier, structure mère d’Eco-Logis. Serge Asencio détaille pourquoi il s’est engagé en 2000 dans ce qui n’était alors qu’un projet :
« Être acteur de la vie locale, c’est mon mode de fonctionnement. Je me suis naturellement impliqué dans cette aventure, parce qu’elle correspond à ma façon d’agir localement. Je suis depuis longtemps membre de plusieurs associations. J’ai aussi été trésorier d’une école en tant que parent d’élève. Et aujourd’hui, je suis chargé de gérer les comptes de la Société civile immobilière d’attribution que nous formons à Eco-Logis afin de régler les derniers détails de trésorerie de la fin du chantier. »
C’est d’ailleurs lui, avec l’appui de ses voisins, qui a envoyé un courrier au maire de Strasbourg pour créer un jardin partagé le long de la ligne de tramway dans l’allée du Schluthfeld, à deux pas de chez eux. « Il y avait tout cet espace vert de libre, pourquoi ne pas en faire un jardin partagé ? » C’est vrai ça, pourquoi ? Et ils l’ont fait. Ils ont créé « Lombric Hardi « , le jardin partagé de l’îlot Lombardie à Neudorf.
Il est 17h, la journée se termine pour les Eco-logistes. « Je file au Lombric, tu veux venir avec moi ? », lance l’une des habitantes d’Eco-Logis à sa voisine qui passait à peine le portail de la résidence, rentrant d’une journée de travail bien chargée. À Eco-Logis, il n’est pas rare de mettre cinq, voire dix bonnes minutes à arriver jusqu’au seuil de sa porte une fois le portail de la résidence franchi. Lorsqu’on partage des espaces avec ses voisins, c’est le risque. Il y a toujours quelque chose à se dire quand on croise un autre habitant de l’immeuble. Les résidents ont choisi de mettre en commun une buanderie, une chambre d’amis et une « salle des fêtes ».
Pendant ce temps, au 3ème étage, dans le plus grand appartement de l’immeuble, Bruno Parasote s’affaire en cuisine. Ses enfants sont rentrés de l’école et jouent sur le balcon pendant que leur père prépare des yaourts maison. Un peu de sirop de pêche pas ci, un peu de confiture de fraise par là. On fouette le tout et hop, dans la yaourtière.
Des pros de l’organisation
Un petit monde d’utopistes ces résidents d’Eco-Logis ? Vincent Frick accueille en proposant un Coca-Cola : « On est écolo, mais on s’accorde quand même quelques écarts de temps en temps ». Ce chercheur au Centre national de recherche scientifique (CNRS) assure que leur projet d’habitat participatif n’était pas idéaliste :
« C’était un projet réaliste. Il faut l’être. On ne peut pas tout faire. On ne peut pas ignorer des limites économiques, techniques… Et surtout, on ne peut pas ignorer les différences entre les protagonistes du projet. Il faut composer avec. »
Pragmatiques, ils le sont. Ils ont pensé à tout : afin d’encourager les résidents à prendre le vélo pour leurs déplacements quotidiens, ils ont décidé, dès la conception du bâtiment, de ne prévoir que six places de parking dans le garage pour onze logements. Et ça marche. Chaque soir, l’abri à vélo à toit végétal est plein à craquer. Seules les familles avec enfants ont une place de parking souterraine.
Quant à la « salle des fêtes » de l’immeuble, lorsqu’ils ne s’en servent pas pour leurs propres réunions mensuelles, pour des projections de films ou encore des concerts improvisés par le musicien de la bande, Vincent Frick, ils la louent à des associations strasbourgeoises comme Colibris 67 ou actuellement à une association de yoga, Yoga Iyengar.
Au fil de ces trois années de vie à Eco-Logis, les résidents sont devenus des pros de l’organisation : les réservations de la salle des fêtes ou de la chambre d’amis, se font via iBahut, un logiciel de planning dédié aux écoles. Et pour fixer les dates des prochaines réunions, ils s’essaient à Doodle, un service web qui permet de planifier des événements. Quant aux lessives, « il n’y a jamais eu d’embouteillages, ça a toujours été très fluide », assure Claire Lauffenburger, une résidente du 3ème étage. À chaque passage à la laverie, l’Eco-logiste le note sur une grille et règle à la fin du mois 0,70€ par machine. « Pour réserver la chambre d’amis, on règle aussi la somme de 3€. Cet argent sert notamment à l’entretien des parties communes et à couvrir les frais d’eau et d’électricité », explique Bruno Parasote.
Bref, trois ans après l’inauguration d’Eco-Logis, le soufflé n’est pas retombé. Le concept s’ajuste, s’améliore et avance grâce à toute une dynamique de groupe qui semble bien fonctionner. Serge Asencio détaille les projets que les Eco-logistes souhaitent encore mettre en place :
« Nous souhaitons installer des ruches sur le toit du bâtiment. Nous avons déjà les structures des ruches, il ne nous manque plus que les petites bêtes. Globalement, les espaces extérieurs ont encore besoin d’aménagement. Nous devons également créer une clôture végétale côté nord pour délimiter notre terrain de celui d’à-côté qui appartient à la ville. Nous avons d’ailleurs demandé à la ville si ce terrain ne pouvait pas devenir un verger urbain géré par le Lombric Hardi. Mais pour le moment, nous ne savons encore pas si ce sera possible. »
Quatre locataires vivent à Eco-Logis
Même le turnover des habitants, dans le studio loué par Bruno Parasote, ne semble pas casser cette dynamique. Les étudiants s’y succèdent, certains d’entre eux apportent parfois un nouveau souffle à travers leur point de vue extérieur. Un deuxième appartement est loué à un jeune couple d’enseignants, qui fait partie de l’aventure depuis l’inauguration. Zélia Simon réserve également une chambre de son appartement du 2ème étage à un étudiant en attendant l’arrivée du futur bébé qui ne saurait tarder.
Serge Asencio précise comment les locataires s’insèrent dans la petite communauté :
« Evidemment, on est plus soft avec les locataires, moins exigeants pour ce qui est par exemple de l’entretien des parties communes. Ils ne sont là que pour quelques mois, donc ils sont forcément moins investis ».
Il est maintenant 18h. Il commence à se faire tard. La locataire Camille Schmidt se prépare à partir en weekend et reçoit en coup de vent. Avec son compagnon, ils sont locataires, mais prévoient de rester à Eco-Logis le plus longtemps possible. Les propriétaires les avaient prévenus : s’ils emménageaient ici, il faudrait s’investir dans la vie de l’immeuble.
« Nous cherchions un appartement et nous sommes tombés sur cette annonce un peu particulière. Nous avons visité et nous sommes tombés sous le charme de ce concept. Nous participons à toutes les activités du groupe, à toutes les réunions, sauf à celles de la Société civile immobilière d’attribution. Nous louons à un propriétaire qui a l’intention de venir habiter ici. Le jour où nous devrons partir, ça sera difficile. Une chose est sûre, nous ne retournerons jamais dans un immeuble commun. »
« On n’est pas un immeuble bisounours »
Mais tout n’est pas rose à Eco-Logis. « On n’est pas un immeuble bisounours où tout le monde est beau et gentil, on est des êtres humains », lâche Claire Lauffenburger, médecin-psychiatre de profession. Quelques problèmes de voisinage se sont déjà fait sentir à Eco-Logis. Le bruit des enfants qui dérange les voisins, l’escalier extérieur conçu de telle manière que certains habitants voient constamment du monde passer devant leurs fenêtres…
C’est avec des cookies, du café et des chaussons sortis du placard que Claire accueille chez elle. Elle se confie. Avec du recul, certains aspects relationnels auraient peut-être mérité plus d’attention, mais la conception du bâtiment en autopromotion a demandé tellement d’énergie et d’investissement personnel que ces détails ont été passés à la trappe, comme elle l’explique allusivement :
« Aujourd’hui, ce que nous essayons de régler, ce sont les quelques difficultés relationnelles présentes à Eco-Logis. Dans tout immeuble, il existe ce type de problèmes de voisinage. Sauf que nous, nous essayons de faire en sorte d’avancer, en ne laissant personne sur le bord de la route. Et pour cela, nous avons fait appel à un médiateur. Le but était qu’il nous donne quelques pistes pour résoudre ces soucis relationnels. Ces séances ont permis à ceux qui rencontrent quelques difficultés pour prendre la parole de mieux s’exprimer. Car l’avis de tous est important. »
De décembre 2012 à février 2013, les Eco-logistes ont reçu le médiateur un dimanche par mois durant 3h afin de travailler ce que les spécialistes en communication appellent la « communication non violente » (CNV). Car contrairement à ce qu’on pourrait croire, ces voisins ne sont pas tous de grands amis. Vincent Frick tient à rappeler qu’ils sont tous différents. Alors pour que cet habitat participatif fonctionne, il faut que chacun y mette du sien et accepte les compromis :
« Nous avons plus ou moins d’affinités entre voisins. Mais nous partageons des valeurs communes. Et c’est ça qui nous fait avancer. Ce n’est pas tous les jours facile. On est toujours capables de passer des heures à débattre ou à acter des décisions qui finalement ne sont pas appliquées. Mais ça fonctionne dans la mesure où tout le monde apprend à mettre de l’eau dans son vin. »
Aucune séparation entre les balcons
L’habitat participatif s’apparente-t-il pour autant à une vie en communauté ? Non. Les Eco-logistes s’en défendent. Sur ce point, Vincent Frick est catégorique. Il guide en direction de sa terrasse et explique :
« On met des espaces en commun, on a des valeurs communes, mais ce n’est pas une vie en communauté. La limite entre ce qu’on met en commun et la vie privée a toujours été claire. Vous voyez, il n’y a par exemple aucune barrière entre les terrasses. Donc je pourrais très bien utiliser la coursive pour aller voir le voisin à l’autre bout et passer devant les fenêtres des autres résidents, mais je ne le fais pas. »
Comme l’explique Claire Lauffenburger, ces balcons communicants ont des avantages mais aussi des inconvénients :
« Ces terrasses ont permis de nouer des liens particuliers entre les résidents de chaque étage. On voit son voisin sur le balcon d’à côté alors on l’invite à prendre l’apéro. Bien sûr, parfois ça a posé quelques soucis, comme quand Bruno a été obligé de mettre un vélo pour séparer son balcon du mien car ses enfants venaient régulièrement sur ma terrasse et rentraient si la fenêtre était ouverte. Ils sont petits, ils ne comprennent pas forcément donc ça ne me dérangeait pas vraiment, ça me faisait même plutôt rire. Mais c’est vrai que quand je sortais de la douche par exemple, c’était un peu gênant. »
Chacun veille donc à respecter l’intimité de ses voisins et à rester tolérant vis-à-vis des choix des autres. « Si l’un prend l’avion et donc ne respecte pas les concepts écologiques, on ne va pas le juger pour autant. Il fait ce qu’il veut », assure Bruno Parasote. Serge Asencio avoue quant à lui avoir besoin de conserver un jardin secret : « Mes voisins ne sont pas obligés de tout savoir sur ma vie. »
Professionnellement, Vincent Frick est parfois très pris. Il lui arrive donc d’être moins disponible pour ses voisins :
« Dans ces moments-là, je me rends moins aux réunions, je m’investis moins et on ne m’en tient pas rigueur pour autant. Pour que ça fonctionne, il faut que ça soit volontaire et non imposé. Sinon c’est le meilleur moyen pour que la personne se braque. »
Dix portes auxquelles frapper en cas de problème
Alors qu’habituellement des voisins de paliers peuvent être de complets étrangers, « ici tout le monde se connait et peut se faire confiance », explique Vincent avant de préciser son propos :
« Si je pars en weekend, je sais que je peux confier mes clés à n’importe qui dans l’immeuble. Il y a beaucoup d’entre-aide à Eco-Logis. Parfois, je demande à mes voisins de chercher mes enfants à l’école, ou quand l’un d’eux va chercher du pain, il demande aux autres s’ils en veulent. Des fois, on trouve même une baguette sur le rebord de la fenêtre au réveil. »
Pour Zélia Simon, cette situation, loin d’être envahissante, est très rassurante :
« Il y a eu une période où mon compagnon n’était pas là, j’étais seule avec ma fille de 14 ans. Quand je travaille, je pars à 6h du matin et je reviens à 19h. Mais pour ma fille, je ne me fais aucun souci. Je sais qu’elle a dix portes auxquelles toquer si elle a un problème. Ça apporte une certaine sérénité au quotidien de pouvoir compter sur ses voisins. »
Dans cet immeuble participatif, il y a constamment un échange de services, un « partage de compétences », comme les résidents aiment à le dire. Le truc de Vincent, c’est l’informatique. Alors quand un voisin a un problème d’ordinateur, c’est le plus souvent vers lui qu’il se tourne. Pour les petits problèmes de santé, les habitants d’Eco-Logis vont plutôt frapper à la porte de Claire Lauffenburger qui saura les conseiller. « On a toutes ces compétences qui se mettent en commun et qui permettent de faire de cet immeuble un endroit confortable avec plein d’avantages », explique Zélia Simon.
« On y prend vite goût »
« Je n’arrive même plus à me souvenir à quoi ressemble la vie dans un autre immeuble », avoue Vincent Frick. Après 10 ans de combat pour que leur projet aboutisse et bientôt 3 ans de vie dans cet habitat participatif, aucun d’eux ne voudraient partir. « Autant c’est très prenant et parfois même chronophage, autant une fois qu’on y a goûté, c’est difficile de revenir en arrière. On s’habitue très facilement à cette liberté d’action que procure l’auto-gestion », reconnait Bruno Parasote.
Il est 19h, et le quotidien rattrape chaque Eco-logiste. La cuisine ne faisant pas partie des espaces partagés, les portes se referment. Et puis, il est temps de donner le bain aux enfants et de les coucher. Demain, il y a école.
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