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Guilhem Chaubet, chercheur au CNRS, apprend aux protéines à mieux viser les tumeurs

Depuis 2020, Guilhem Chaubet coordonne Tact, un programme européen de recherche sur les thérapies ciblées dans le traitement du cancer. Quatre ans et une quinzaine de publications scientifiques plus tard, il fait le bilan sur des avancées prometteuses du projet sur l’immunothérapie. Une exposition, des films et une bande dessinée détaillent cette aventure.

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Guilhem Chaubet, chercheur au CNRS, apprend aux protéines à mieux viser les tumeurs
Guilhem Chaubet, co-coordinateur du programme TACT.

Lorsqu’il arrive à Strasbourg, en 2017 après avoir passé avec succès le concours du CNRS, Guilhem Chaubet ne connaît « rien, ni personne ». Chimiste de formation, il décide de s’ouvrir à la biologie pour que son travail « rende service aux gens » au sein du laboratoire ChémoBiologie synthétique et thérapeutique d’Illkirch-Graffenstaden.

En 2020, il répond à un appel à projets européen avec un programme de recherche sur les ADC (antibody-drug conjugates, conjugués anticorps-médicament), un outil thérapeutique qui permet aux produits chimiothérapiques d’être distribués uniquement dans les cellules cancéreuses. Du 11 au 20 mars, le programme Tact (Targeted anti cancer therapies) présente ses résultats au Palais universitaire avec une exposition composée de trois films d’animation produits par le studio Atelier Limo et d’un roman graphique dont les dessins sont réalisées par l’illustratrice scientifique Lison Bernet. Guilhem Chaubet, tout juste lauréat d’une médaille de bronze du CNRS, revient pour Rue89 Strasbourg sur cette expérience.

Rue89 Strasbourg : Comment en êtes-vous venu à travailler sur le cancer ?

Dr Guilhem Chaubet : Quand j’ai postulé au CNRS, il fallait présenter un projet de recherche avec un laboratoire de rattachement. J’en ai pris un à Strasbourg, dans lequel je suis toujours, parce qu’on me l’avait conseillé et parce que les thématiques de recherches étaient intéressantes, comme modifier chimiquement des protéines. J’ai été sélectionné et c’est devenu mon nouveau domaine de recherche.

L’une des applications concrètes et majeures de la conjugaison de protéines, c’est-à-dire faire de la chimie à la surface d’une protéine pour la modifier et lui rajouter des molécules, ce sont ces fameuses thérapies ciblées, ces ADC.

Quel est l’intérêt de ces thérapies ciblées ?

Le problème des cellules cancéreuses, c’est que le système immunitaire n’est pas capable de les identifier comme différentes des saines et donc de les éliminer. Au fil des mutations qui les touchent, ces cellules finissent par devenir immortelles et par se multiplier rapidement. Une croissance infinie dans un milieu fini, ça pose fatalement des problèmes. Cette masse de cellules crée une tumeur et lorsqu’elle commence à envahir les tissus voisins, on rentre dans un cas de cancer.

« Les ADC permettent de livrer directement le poison dans les cellules cancéreuses sans toucher les saines »

Dr Guilhem Chaubet

Historiquement et pendant très longtemps, les moyens de lutte contre le cancer ont été la chirurgie, les radiothérapies et les chimiothérapies. Dans le dernier cas, on utilise des molécules très toxiques, des poisons. Comme les cellules cancéreuses ont besoin beaucoup de nutriments pour soutenir leurs croissances folles, elles vont pomper en majorité tout ce que le corps ingère, y compris du poison. Mais une partie de ce poison va atteindre les cellules saines comme celles du cuir chevelu, des ongles ou de l’appareil génital féminin.

Et puis il y a une idée un peu révolutionnaire qui est celle d’utiliser certains outils de notre propre système immunitaire. C’est le principe de ces ADC. Si on prend un anticorps qui possède la capacité de cibler et de s’attacher aux cellules cancéreuses et qu’on vient y mettre une molécule très toxique, alors on peut directement livrer ce poison dans la cellule cancéreuse sans toucher les saines.

Le roman graphique Thèses et parenthèse sur les recherches du Tact, mis en dessin par Lison Bernet

C’est donc ce que vous avez voulu explorer avec le programme Tact…

C’est un domaine de recherche qui a quelques dizaines d’années et qui est très porteur mais aussi très coûteux. Sur des projets d’une telle ampleur, il n’y a que l’Europe qui propose des appels à projets pareils. Le Tact est donc un programme européen financé par les Actions Marie Curie avec un budget de 3,2 millions d’euros.

La recherche sur les ADC a besoin de différentes expertises comme celles sur les protéines, les molécules toxiques, la partie chimie pour lier les deux mais aussi une partie analytique avec des tests in vitro voire in vivo. On a donc essayé d’agréger autour de cette thématique tous les domaines scientifiques qui gravitaient autour. Cela a abouti à un consortium de 9 membres et 11 doctorants.

Ces doctorants sont d’ailleurs en grande partie des étudiants dans des universités européennes.

Un des gros points forts de ce projet, même si c’était un peu contraignant, c’est cet aspect européen. Au moment du recrutement, on ne pouvait pas prendre dans un pays un étudiant qui aurait passé dans ce pays plus de 12 mois au cours des quatre dernières années. Ça pousse à la mobilité européenne même si tous les doctorants ne le sont pas, car il y a aussi une personne indienne et une marocaine.

« Parmi la jeune génération des scientifiques, on a tous intégré le fait de raisonner à l’échelle européenne »

Dr Guilhem Chaubet

Certains travaillent sur une façon de rapetisser le format des anticorps, d’autres sur différentes manières de greffer les médicaments aux anticorps comme dans une nano-capsule ou encore d’évaluer de nouveaux composés toxiques. Il y a donc plusieurs études en parallèle et comme le consortium couvre plusieurs études de recherche connexes, il y a une circulation du savoir et des connaissances. Parmi la jeune génération des scientifiques, on a tous intégré le fait de raisonner à l’échelle européenne.

Le roman graphique Thèses et parenthèse sur les recherches du Tact, mis en dessin par Lison Bernet

Quel a été votre rôle au sein du Tact ?

Comme j’en ai été à l’origine, je suis l’un des deux coordinateurs avec le Dr Alain Wagner. Tout au long de la vie du projet, il a fallu organiser des réunions qui duraient généralement une semaine et qui se déroulaient dans les universités participantes. Les doctorants avaient trois journées et demie de conférences et un jour et demi de présentation des résultats.

J’avais aussi en charge la gestion budgétaire et administrative, particulièrement lourde, car il faut très souvent soumettre à la personne de la Commission européenne qui suit notre dossier pour voir si le projet avance bien. Au final, j’avais en charge pas mal de choses, aussi bien scientifiques que non-scientifiques. 

Avez-vous connu des difficultés particulières pendant ce programme ?

Le Covid a été un gros coup dur, car le premier confinement est survenu au tout début du projet. Pour moi particulièrement car j’étais à la maison avec ma femme enceinte et ma fille de deux ans. Je n’avais pas de bureau et j’ai travaillé depuis ma cuisine, c’était un peu la zone. Ça devait aussi être compliqué pour les étudiants de se mettre dans le bain. À l’échelle du consortium, cela a été difficile de mobiliser les gens. Notre première réunion physique a eu lieu en 2022, à mi-parcours.

« Le souci, ce sont les conditions de travail fournies par l’université »

Dr Guilhem Chaubet

L’autre souci, ce sont les conditions de travail qui nous sont fournies par l’université. Nous sommes dans un bâtiment particulièrement délabré à la faculté de pharmacie. En l’espace de deux ans, il y a eu 45 jours ouvrés de coupures pour diverses raisons, essentiellement parce que le bâtiment tombe en lambeaux. Il y a aussi peu d’accompagnements pour toutes les tâches administratives.

Je me suis retrouvé à avoir des doubles, triples casquettes où il faut gérer son boulot de chercheur, mais aussi la rédaction des rapports, la gestion budgétaire. Le tout avec peu de soutien de la part de l’université alors que c’est un projet d’excellence, prestigieux, rare. D’autant qu’ils prennent une part assez substantielle des financements pour payer leurs salariés.

Quel bilan tirez-vous de ces quatre années ?

Le succès numéro 1, c’est d’avoir formé des étudiants qui deviennent un peu des experts dans ce domaine. Pour nos recherches à Strasbourg, on a pu développer deux nouvelles familles d’ADC et faire des tests in vivo chez des rongeurs. Pour l’une de ces familles, on a quelque chose de particulièrement innovant qu’on a breveté avec mon ancien doctorant Lorenzo Turelli et le docteur Alain Wagner.

La technologie est encore confidentielle mais on a réussi à obtenir un financement de la part de notre société d’accélération de transfert de technologie (SATT), Conectus. Elle nous aide à continuer ces recherches avec, peut-être à terme, la possibilité de créer une boite autour de tout ça et, soyons fou, d’avoir des composés qui arrivent en test clinique et qui pourront être essayés sur des patients.

Qu’en est-il de la suite ? Il y aura t’il un Tact 2 ?

On a postulé en 2022 pour faire l’acte 2, en insistant sur le fait qu’on a 11 étudiants qui vont finir leurs thèses avec des grandes connaissances. Cela aurait été bien que la première vague de doctorants puissent former la vague des nouveaux mais malheureusement, ça n’est pas passé. On n’y est pas retourné en 2023. Ça fait partie des discussions qu’on doit avoir avec le consortium. J’avais suggéré que si on y retournait, je me mettrais un peu en retrait et ne plus avoir le statut de coordinateur car à cette époque j’avais beaucoup de travail. Mais maintenant, je le ferais avec plaisir.


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