Le piquet de grève a été planté il y a près de deux semaines, le 21 mars, au même endroit que l’année dernière, au pied de l’imposante cheminée rouge et blanche de l’usine. Les salariés mécontents s’y réunissent tous les jours, pendant leurs horaires habituels de travail, en attendant qu’un représentant de la direction daigne venir s’adresser à eux. Ils viennent tôt le matin, mangent sur place et s’occupent.
Atef Labben, salarié du site et représentant syndical CGT, explique les raisons de la grève :
« On a décidé d’arrêter le travail une deuxième fois parce que les engagements que la direction de Sénerval a pris à l’issue de la première grève n’ont pas été tenus. On a demandé des mesures de protection de la santé des salariés parce qu’on travaille dans un environnement toxique : les déchets qu’on traite produisent des poussières cancérigènes mutagènes et réprotoxiques (CMR).
Depuis que le contrat entre Sénerval et la CUS a été signé en 2010, nous demandons des combinaisons et des masques respiratoires filtrants. La direction s’était engagée à les fournir après la grève de mai 2013 mais on n’a rien reçu. Ce n’est qu’en octobre, sur ordre de l’inspection du travail, que la direction a enfin réagi. En plus, on travaille toute la journée en contact avec les poussières et on les ramène chez nous puisqu’il n’y a pas de sas de décontamination. On a pris plusieurs photos et vidéos montrant nos conditions de travail déplorables. »
Au-delà des salariés, ce sont aussi les Strasbourgeois vivant dans les environs qui sont victimes de la pollution, assure Atef Labben. Il raconte :
« Quand une chaudière casse, la fumée émanant de la cheminée n’est plus traitée correctement et contient toujours des matières cancérigènes résultant du procédé d’incinération. Autre chose : des cendres ont été déposées sur une terrasse à l’air libre parce que les emplacements de stockages étaient bouchés, ce qui est formellement interdit est très polluant. Enfin, les déchets contenus dans la fosse produisent des gaz inflammables. Un incendie s’est déclaré pas plus tard que ce matin parce que cette fosse n’est pas surveillée de façon permanente, chose que l’on demande également depuis longtemps. »
Un triste « record mondial »
Selon les salariés, on a comptabilisé 90 incidents techniques sur l’ensemble de l’année 2013, un « record mondial » pour une usine de ce type. Sacha Trivic, chef d’équipe, explique :
« Avant le changement de direction en 2010, le nombre moyen d’incidents par an était de l’ordre de 4 ou 5. Quand on dépassait ce chiffre, on arrêtait les machines et on procédait à des maintenances. En plus des 90 incidents de 2013, on en a déjà eu 14 depuis le début de l’année. Ça montre bien l’ampleur du problème, c’est complètement aberrant ! Pour des raisons financières, la direction refuse d’arrêter les machines pour les maintenances. Evidemment, celles-ci se fragilisent et cassent beaucoup plus souvent. »
Ironie de la situation, le site paraît en activité, bien qu’aucun salarié ne travaille. Selon les grévistes, la direction profiterait de l’arrêt forcé pour assurer les maintenances et nettoyer les machines. Les incidents techniques ne sont pas souvent graves, mais les accidents corporels qui y sont liés ont. René Schneider, gréviste lui aussi, est exaspéré :
« Ça fait 35 ans et demi que je travaille ici, j’ai des problèmes de poumons dus aux poussières et je prends des médicaments. En plus j’ai une brûlure au troisième degré à la jambe, je peux vous la montrer, si vous voulez ! Avant Sénerval, en 35 ans, on n’a jamais fait grève, et là c’est la deuxième en moins d’un an, y’en a vraiment marre à la fin ! »
« On est mis à part »
Les salariés déplorent une distance entre eux et la direction. Sacha Trivic explique :
« On se sent mis à part, personne ne nous écoute. Pour des raisons économiques, ils préfèrent engager des intérimaires plutôt que de remplacer les départs par des CDI. Mais les nouveaux ne connaissent pas le terrain et, le temps de les former, ils sont déjà repartis. Leur manque d’efficacité fait peser sur nous une charge de travail en plus et leur manque d’expérience augmente les risques d’accidents. On s’en est déjà plaint plusieurs fois, mais rien n’a changé. »
« Perdre un peu d’argent, mais conserver notre santé intacte »
Simeon Hott, un délégué syndical déjà rencontré l’année dernière, assure que cette fois, ses collègues et lui sont beaucoup plus déterminés : ils ont déjà doublé leur temps de grève par rapport à 2013. Et même si ça commence à être dur, ils préfèrent « perdre un peu d’argent maintenant, mais conserver [leur] santé intacte ». La CGT-CUS s’est engagée à apporter son soutien à hauteur de 10 000 euros aux salariés pour compenser leurs pertes de salaire. Bertrand Blindauer, secrétaire général de la CGT-CUS dénonce :
« La CUS a choisi de déléguer à l’entreprise privée Senerval [l’incinération des déchets], mais elle conserve un devoir moral envers les salariés de l’usine et les Strasbourgeois en général. Aujourd’hui, la CUS n’a plus aucune maîtrise sur les événements qui se passent là-bas. Sénerval pollue allègrement sans tenir les engagements pris en mai. »
Nos poubelles partent à Laval et Besançon
Simeon Hott assure qu’un dialogue a déjà été ouvert avec l’ex-premier adjoint au maire Robert Herrmann. Le représentant des ouvriers espère que la Ville « fera son devoir » en faisant pression sur l’entreprise. De son côté, la direction de Sénerval, contactée à plusieurs reprises, n’a pas donné suite à nos appels.
Les déchets (nos poubelles !) habituellement incinérés sur place sont déchargés au Rohrschollen, pesés, rechargés dans des camions, direction Laval ou Besançon, dans d’autres usines d’incinération du groupe.
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