Selon les estimations des spécialistes, il y a environ 15 000 ans, un événement d’hybridation très particulier a lieu entre deux espèces de grenouilles aquatiques. Une grenouille de Lessona, s’accouple avec une grenouille rieuse, et cette hybridation donne ce qu’on appelle maintenant la grenouille verte. Les trois espèces sont en relation étroite, puisque cette dernière doit nécessairement se reproduire avec la grenouille de Lessona, une de ses deux espèces parentes donc, pour continuer à exister.
Une hybridation pas comme les autres
En général dans le monde animal, une hybridation entre deux espèces donne naissance à un individu qui ne vit pas longtemps, ou qui est incapable de se reproduire. Dans d’autres cas, l’hybridation fonctionne. Un mélange de gènes confère un « avantage génétique ». On se retrouve soit avec une nouvelle espèce qui se distancie de ses géniteurs, au point de ne plus pouvoir se reproduire avec elles. C’est la spéciation. Ou alors, seule la nouvelle espère subsiste, tandis que les deux espèces initiales disparaissent sous l’effet d’une hybridation massive.
Dans le cas de ces batraciens, c’est différent. Les grenouilles de Lessona, rieuse et verte sont le résultat de l’hybridation des deux premières. Elles vont former ce qu’on appelle un « complexe d’hybridogénèse ». La grenouille verte est obligée de se reproduire avec celle de Lessona pour subsister. Si deux grenouilles vertes s’accouplent, la descendance est une grenouille… rieuse.
Chez la grenouille verte, seule le génome de la grenouille rieuse est transmis à la descendance
Le génome d’une grenouille verte est composé de celui de ses deux espèces parentes (la grenouille de Lessona et la grenouille rieuse). Pourtant, lorsqu’une grenouille verte s’accouple, seul le génome de la grenouille rieuse est transmis aux descendants.
En revanche, lorsqu’une grenouille verte se reproduit avec une grenouille de Lessona, la descendance est une grenouille verte. La grenouille de Lessona transmet son génome et la grenouille verte transmet celui de la grenouille rieuse : c’est l’hybride. Donc logiquement, si la grenouille verte est présente dans un milieu, on peut affirmer que la grenouille de Lessona l’est également. Si la grenouille de Lessona est absente, et que la grenouille verte ne peut que se reproduire avec la grenouille verte ou la grenouille rieuse, la descendance est forcément une grenouille rieuse. Impossible qu’une population de grenouilles vertes se maintienne sans la présence de la grenouille de Lessona.
Les zones alluviales, comme la vallée rhénane, propices aux grenouilles
Les zones alluviales sont très favorables au développement des amphibiens. Celle du Rhin l’est particulièrement car son flux est alimenté, outre la pluie, par la fonte des neiges dans les Alpes, les Vosges et la Forêt Noire. Ce phénomène régulier a toujours permis une bonne alimentation des zones d’eau stagnantes, idéales pour le développement des têtards.
Comme tous les amphibiens, ce complexe d’hybridogénèse joue un rôle important dans la chaîne alimentaire de la nature. Les larves sont détritivores c’est-à-dire qu’elles se nourrissent d’éléments naturels en décomposition. Les adultes se nourrissent d’insectes. Ces batraciens constituent quant à eux une proie pour les serpents et les petits mammifères.
Une espèce protégée…
La grenouille de Lessona est protégée tout comme ses zones d’habitats. Cela signifie que pour n’importe quel projet, en théorie, la loi impose d’éviter au maximum les impacts sur cette espèce. Mais pour cela, il faut l’identifier.
Jean Pierre Vacher, scientifique pour Bufo (association d’étude des reptiles et des amphibiens d’Alsace), travaille sur la génétique de ces grenouilles aquatiques :
« Morphologiquement, les trois espèces se ressemblent fortement, il est quasiment impossible de les reconnaître à l’œil nu. En revanche, grâce à des analyses génétiques complexes, il est possible de les identifier. »
…mais les tests sont rares
Mais les inventaires ne sont souvent pas faits témoigne Jean-Pierre Vacher :
« Les bureaux d’études ont rarement la compétence de faire les tests génétiques, or c’est la seule solution pour savoir si la grenouille de Lessona est bien présente. Cette espèce n’est donc pas prise en compte dans les études réglementaires concernant les projets d’aménagement. »
Deux menaces : pompage dans la nappe et moins de neige en montagne
Les amphibiens en général sont aussi menacés par la sécheresse. Beaucoup de milieux aquatiques qui leurs sont favorables dépendent de la nappe phréatique. Or, celle-ci atteint des niveau particulièrement bas, ce qui menace leurs habitats. L’agriculture intensive a aussi des effets néfastes sur les grenouilles d’après Jean-Pierre Vacher :
« L’effet cumulé du pompage et des sécheresses prolongées et à répétition se ressent sur le niveau de la nappe sur le long terme et à large échelle. »
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