Les salariés d’Alsace-Moselle vont-ils devoir travailler un peu plus le reste de l’année en raison de leur deux jours fériés supplémentaires ? C’est une hypothèse probable suite à la mise en œuvre de la loi de « transformation de la fonction publique » votée par la majorité présidentielle en août 2019.
À priori, rien à voir avec les jours fériés issus du droit local. Il s’agit de faire appliquer dans la fonction publique territoriale, partout en France, un temps de travail de 35 heures hebdomadaires, là où parfois des accords ont été signés avec les agents pour un temps de travail moindre.
1607 heures ou 1593 heures ?
Mais là où ça se complique, c’est que le temps de travail est en fait décompté sur l’année. Soit dans le détail, 365 jours dont on retire 104 de week-ends, 8 jours fériés légaux et 25 jours de congés annuels. Soit 228 jours travaillés, avec un temps de travail de 7 heures par jour (35h/semaine), ce qui donne 1596 heures. Un résultat arrondi à 1600, auquel on ajoute 7 heures pour la « journée de solidarité » instaurée en 2004. Et donc un total final de 1607 heures.
Les mairies et communautés de communes ont donc retravaillé la question du temps de travail sur cette base. Mais ces dernières ont objecté qu’en Alsace-Moselle, il y a deux jours fériés supplémentaires, le Vendredi saint avant Pâques et la Saint-Étienne (26 décembre). Soit un total annuel de 1 593 heures, puisqu’on retranche deux jours ouvrés de 7 heures. Elles devaient avoir fini le 1er janvier 2022, mais un délai supplémentaire a été toléré, semble-t-il en raison des ralentissements liés au Covid.
Une circulaire avant Noël
Mais le 21 décembre 2021, la préfète de la Région Grand Est et du Bas-Rhin, Josiane Chevalier, a adressé une circulaire à tous les maires et présidents d’intercommunalités. Dans ce document, elle rappelle aux élus locaux que le temps de travail annuel est de 1607 heures en France et que le non-respect de ce total serait « susceptible d’entacher d’illégalité », les nouvelles dispositions.
Une circulaire qui a interpellé le sénateur André Reichardt (LR), spécialiste du droit local alsaco-mosellan. Il a écrit au Premier ministre Jean Castex pour attirer son attention, qui dans une réponse en février lui a signifié la même chose, à savoir que « la base d’annualisation du temps de travail reste fixée à 1607 heures ». Suite à cette réponse, André Reichardt a attendu d’avoir une brève explication directe avec Jean Castex, qui n’a rien donné. Suite à cet échec, il a donc fait connaitre la position du gouvernement par communiqué le 29 mars, à quelques jours des élections présidentielles, puis des législatives.
La circulaire de la préfète n’a pourtant pas remis en cause les réformes de plusieurs mairies. La Ville de Schiltigheim a par exemple voté le 22 mars une réorganisation sur la base de 1593 heures annuelles. La Ville et l’Eurométropole de Strasbourg n’ont pas encore délibéré. Fin décembre, ses représentants insistaient sur le fait que ce délai était convenu avec la Préfecture avec qui des échanges réguliers se tenaient. Et qu’il était bien question de 1593 heures.
La circulaire « a mis le feu au poudre », raconte le président de l’association des maires du Bas-Rhin, Vincent Debes (divers droite). Le maire de Hoenheim, qui dans sa commune a également voté un texte sur la base de 1593 heures, a élaboré un texte avec l’institut du droit local (IDL), pour « défendre le droit local » et donc un décompte de 1593 heures avec l’application de cette loi. Un texte transmis aux 526 communes du Bas-Rhin, pour qu’ils puissent voter cette motion. L’association des maires du Bas-Rhin compte à ce jour environ 150 retours selon Vincent Debes, mais s’attend à en recevoir davantage jusqu’au 4 avril, date de son assemblée générale, « car il y a beaucoup de conseils autour des débats d’orientations budgétaires et budgets en ce moment », précise Vincent Debes. Ces votes seront ensuite transmis à la Préfecture avec qui un rapport de force s’engage.
Dans la fonction publique d’État, le temps de travail annuel est de 1607 heures, y compris en Alsace-Moselle. « Ces jours-là sont chômés, mais le temps de travail sur l’année est réparti différemment », décrit le secrétaire général de la CGT du Bas-Rhin, Laurent Feisthauer.
Une remise en cause future dans le privé ?
En revanche, le représentant syndical s’inquiète d’une extension future au secteur privé, où le temps de travail de base est de 7 heures par jour, et les deux jours fériés respectés ou compensés. « Le Medef a toujours été contre ces jours fériés, donc s’il y a une remise en cause, ça ne tombera pas dans l’oreille d’un sourd »…
Pour Laurent Feitshauer, les syndicats et organismes attachés au droit locale doivent envisager des suites juridiques :
« On va réunir l’intersyndicale pour voir juridiquement ce qu’on peut faire. Les jours fériés d’Alsace-Moselle sont garantis par la Constitution, mais comme ce n’est pas une suppression directe, il faudra trouver d’autres moyens d’agir. Mais là où on a une marge, c’est que la loi indique 8 jours fériés légaux pour son calcul, or en Alsace-Moselle c’est bien 10. C’est une première brèche dans le droit local, si le temps de travail n’en tient plus compte. »
« 3 minutes par jour » défendent les soutiens du gouvernement
Une analyse que partage André Reichardt sur cette « inacceptable remise en cause d’un particularisme important de notre territoire. Pourquoi une disposition valable pour la fonction publique ne s’appliquerait-elle pas demain dans le secteur privé ? ». Alors que la question d’un retour d’une région Alsace a suscité peu de prise de position des candidats, voilà un sujet alsacien encore plus brûlant pour les prétendants à l’Élysée en avril, et ceux qui veulent devenir député en juin.
Les 10 parlementaires et la ministre alsacienne de la majorité présidentielle (LREM, Modem, Agir) ont vite pris la défense de cette mesure dans un communiqué commun en estimant que les jours fériés d’Alsace-Moselle seront ainsi « confortés. Il minimisent l’impact en répliquant que « répartir 14 heures sur 252 jours ouvrés » reviendront à « 3 minutes de travail supplémentaire par jour travaillé » (très précisément, 3 minutes et 20 secondes). Un calcul qui ne tient pas compte du temps de travail supplémentaire pour arriver à 1593 heures.
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