C’était la quatrième réunion organisée par le groupe Gilets jaunes Strasbourg République. Jeudi vers 20h, ils étaient une cinquantaine à discuter dans l’arrière-salle du bar La Perestoïka. Depuis deux heures déjà, Isabelle annonce les sujets à débattre pour prendre des décisions collectives : déclaration de la manifestation, rédaction des tracts, préparation d’actions (dont un blocage à venir avec les anti-GCO), position face au grand débat national annoncé par le gouvernement… Ces points seront présentés lors de l’ « assemblée populaire » du samedi 12 janvier à 10h, place de la République. Les Gilets jaunes strasbourgeois manifesteront une heure plus tard devant le Parlement européen.
« Et nos ovaires alors ? »
À ses débuts, en décembre, le collectif strasbourgeois attirait une dizaine de personnes seulement. Un mois plus tard, les participants se sentent à l’étroit dans La Perestroïka. La recherche d’un nouveau QG fait donc l’objet d’une réflexion. Un participant propose une salle de 80 m² appartenant un ami. « C’est une bonne nouvelle, répond Isabelle, mais n’arrêtez pas de chercher une salle. On pourrait être 200 dans quelques semaines et dans ce cas, 80 m² ce serait trop petit. » Face à cet engouement croissant, la professeure en lycée professionnel voit grand :
« Depuis des années, je milite pour que les travailleurs prennent le pouvoir. (Les Gilets jaunes, ndlr) c’est le premier mouvement qui vient de la base depuis des années. On peut diriger nous-mêmes. »
Jusque 21h30, les participants continuent de débattre. Chacun attend son tour de parole. Un modérateur surveille le chronomètre sur son portable pour permettre à un maximum de personnes de s’exprimer. Il y a presque autant de femmes que d’hommes pour donner son avis. Et lorsqu’un homme propose une action plus radicale, nécessitant « une grosse paire de couilles », Isabelle lui rétorque : « Et nos ovaires alors ? »
Une mobilisation tardive en ville
Une vaste majorité des Gilets jaunes présents viennent de l’agglomération de Strasbourg. Abel Ouali, de Hoenheim, explique la mobilisation plus tardive en ville : « Les fermetures d’hôpitaux et des services publics, les problèmes de transport sont moins présents ici. » Ainsi certaines questions débattues à La Perestroïka ont déjà obtenu une réponse depuis longtemps sur le rond-point d’Erstein. Dès décembre, les camarades de Nicolas Gangloff ont ainsi décidé de minimiser les blocages pouvant heurter la population et éloigner de potentiels soutiens. Mercredi soir, le débat était toujours animé au sein du groupe Gilets jaunes Strasbourg République : faut-il bloquer des supermarchés ou des centres d’impôts ? La question n’a pas été tranchée.
Des revendications à gauche
Les Gilets jaunes strasbourgeois mettent en avant six revendications sociales (lire ci-dessous) Sur un tract imprimé à plusieurs milliers d’exemplaires, la demande de référendum d’initiative citoyenne (RIC) vient en dernier. « Le RIC ne suscite pas tellement d’intérêt ici, affirme Christian Comtesse, ce qui motive c’est surtout le départ de Macron et la hausse du pouvoir d’achat. » Ce mineur à la retraite, habitant d’Ingwiller, a suivi le mouvement dès le premier acte. Il s’est rendu sur plusieurs ronds-points et se dit « plutôt de droite ». Pour lui, les réunions strasbourgeoises ont un côté « un peu bisounours » :
« On ne parle pas d’immigration parce qu’on dit “les pauvres gens”. On ne veut pas faire d’action dans les supermarchés parce qu’on dit “les pauvres caissières.” »
« Je veux juste renverser l’ordre planétaire »
Le point le plus débattu jeudi soir : l’attitude à adopter face au grand débat national lancé par le gouvernement. « Ils veulent juste faire traîner les choses pour mettre fin au mouvement », affirme l’un. Une aide-soignante pressent un piège : « Moi, mon boulot, c’est pas de monopoliser la parole. C’est le boulot des politiques. On sait comment ils vont se servir du débat pour nous décrédibiliser. » La concertation gouvernementale obtient une opposition quasi-unanime.
Jean-Jacques Pion, 79 ans, incite aussi à « ne pas participer à cette mascarade ». Cet habitant de Bischwiller se dit « de tous les combats depuis mai 68. J’ai même fait la grève de la faim une semaine contre le GCO. » Interrogé sur son objectif, l’ancien technicien-dessinateur répond, un sourire un coin :
« Je n’ai pas d’ambition. Je veux juste renverser l’ordre planétaire. J’ai toujours su que cela viendrait de la France mais je suis seulement étonné que cela n’arrive que maintenant. »
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