La biennale des Giboulées, rebaptisée Corps-Objet-Image à l’arrivée du nouveau directeur, est enrichie en 2016 par les notions affichées de « Marionnette », « Espace », « Figure », « Texte » et « Matière ». Telles un palimpseste, les Giboulées de Renaud Herbin fonctionnent à l’instar de ses saisons au TJP : par accumulation plutôt que par remplacement. Renaud Herbin l’affirme, en ce quarantième anniversaire :
« L’instinct d’André Pomarat, de faire un festival autour de la marionnette, se justifie encore aujourd’hui. »
Il se pose en héritier plutôt qu’en réformateur, avec la volonté d’ouvrir en grand les accès à de nouveaux espaces, – parfois, il faut bien le reconnaître, aussi éloignés de la marionnette que des spectacles pour enfants – . Il propose des Giboulées augmentées, à l’image des « marionnettistes qui sont sortis des castelets pour se mettre eux-mêmes en jeu, et passer du figuratif à la matière. »
La marionnette comme pôle de suggestion et de réflexion, « l’air de rien »
Deux choses essentielles sont à retenir pour rassurer les nostalgiques et les fans de marionnettes (et enthousiasmer les autres) :
- il y a plein de spectacles pour les enfants, et ce dès 1 an. Il y a une vraie place aussi pour des spectacles s’adressant aux adolescents et aux adultes.
- cette biennale gravite sans hésitation autour de la marionnette, même si la définition de celle-ci s’allonge et s’étire pour devenir celle « des Arts de la marionnette », qui inclue la manipulation d’objets et de matières, des interrogations sur l’espace et des créatures protéiformes, à l’image de l’élégante et étrange créature de Benoit Schupp qui orne tous les programmes des Giboulées.
Une fois que l’on a rassuré les anxieux, il faut cependant y ajouter les remarques suivantes : Renaud Herbin revendique le fait de ne pas montrer des spectacles « faciles », mais souhaite présenter des œuvres « ouvertes », dont le sens ne s’impose pas au spectateur, questionnant la relation à l’autre et à l’étranger. Il le formule avec finesse dans son éditorial du programme des Giboulées :
« [Ces œuvres] font confiance à notre capacité d’interpréter et avivent notre désir de ce que l’on ne connaît pas encore. »
Lutter contre les peurs qui nous régissent à l’heure actuelle : le message de Renaud Herbin se pose aussi comme politique. Il oppose à ces peurs des choix de spectacles qui racontent la diversité culturelle, les doubles identités, l’étrangeté, l’initiation et les rites chamaniques. La tête très hautement perchée, les deux pieds solidement plantés dans la matière, tout ça « l’air de rien ». C’est aussi le sujet de la deuxième édition de la revue COI, éditée par le TJP, autour du thème « Alter, l’autre de la matière », qui sera lancée le samedi 12 mars au TJP Petite Scène.
Un fête à vivre ensemble : appel à bénévoles et à participants
Cet anniversaire se pose clairement comme une fête, à laquelle le public est largement appelé à participer, pas seulement en tant que spectateur. Plus de trente compagnies accueillies, dix lieux sur Strasbourg et l’Eurométropole, du Préo d’Oberhausbergen à l’Espace K, dix pays représentés, 75 représentations, dont des spectacles chez les structures partenaires : le Maillon, Pôle Sud, le TNS.
La biennale voit les choses en grand pour cette édition, et l’équipe du TJP est à la recherche de bénévoles curieux et motivés pour accueillir le public, accueillir les artistes et participer activement à la vie du festival. Une première réunion aura lieu le 4 février à 18h30 au TJP Petite Scène, contacter Hélène Grandemange pour en savoir plus.
Renaud Herbin annonce aussi qu’en se signalant rapidement auprès du TJP il est peut-être encore temps de faire partie du gang des Padox (photo de couverture) dirigés par la Compagnie Houdart-Heuclin, qui sillonneront et habiteront Strasbourg pendant la biennale. Voilà une façon unique d’arpenter sa ville en changeant de perspective.
Des spectacles qui parlent d’ailleurs
À point nommés lorsque l’on parle de déchéance de nationalité et d’accueil de réfugiés, les spectacles proposés pendant les Giboulées racontent l’espace immense, complexe, rugueux et fertile des identités multiples. Dix pays sont représentés.
Le Liban est une terre d’asile pour Éric Deniaud, inspiratrice des Paysages de nos larmes, qui évoque le dénuement de Job dans un Beyrouth en mouvement perpétuel de destruction et de reconstruction. C’est la même compagnie Kahraba qu’on retrouvera pour Géologie d’une fable, qui cherche l’origine des fables, en remontant d’un auteur à l’autre jusqu’au Moyen-Orient, explorant un travail minutieux et sculptural à partir d’argile.
Le Cantique des oiseaux d’Aurélie Morin va lui aussi puiser dans les mythes perses pour une traversée initiatique, presque spirituelle, dans un royaume subtil d’ombres découpées et projetées.
Made in China annonce sans détour ce qui le constitue : la double identité, laotienne et chinoise, de Dorothée Saysombat, est mise à l’épreuve du burlesque et d’une multitude d’objets, avec Nicolas Alline : un événement à Strasbourg, selon Renaud Herbin, car la compagnie termine là sa tournée française avant de repartir en Chine.
Le spectacle franco-brésilien Blanc de Vania Vaneau, danseuse d’exception, poursuit cette idée d’accumulation, mais il s’agit cette fois de tout ce qui peut recouvrir le corps humain : vêtements, tissus, peintures, pigments. La transformation est là, par la transe du mouvement dévorant et du contact aux objets et aux matières.
Les collaborations franco-allemandes permettent d’aller creuser encore plus loin du côté des marionnettes : partenaires de jeu, elles parlent et interrogent la réalité de la relation à l’autre, dans Je te regarde de Jarg Pataki et Alexandra Badéa (vidéo ci-dessous, en allemand, le spectacle sera surtitré), mais aussi dans The ventriloquists convention de Gisèle Vienne, du Puppentheater de Halle et de Dennis Cooper (vidéo ci-avant, en anglais, le spectacle sera surtitré).
Maniacs d’Ulrike Quade pousse cette réflexion à l’extrême, en invitant une poupée hollandaise, ou « poupée d’amour », sur la scène et dans le désir d’un homme : la poupée, « c’est l’existence en attente, suractivée par le simulacre et l’illusion ». Zerstörung cherche une autre forme d’extrême en abordant la question de la destruction, de la mise à l’épreuve des objets, dans une nouvelle proposition poétique de Pierre Meunier et Marguerite Bordat avec les étudiants du Figurentheater Stuttgart.
Explorer les paysages
Le thème est cher à Renaud Herbin. Les paysages, les villes et les campagnes, notre espace intime et public, notre environnement familier et mystérieux, en constante évolution, est toujours une occasion de s’interroger et de s’émerveiller. Plusieurs spectacles des Giboulées interrogent ce rapport à l’espace.
C’est évidemment le cas de Villes, collection particulière, de la compagnie québecoise Théâtre de la pire espèce (vidéo au début de l’article), qui répertorie avec humour les villes selon leurs qualités, dressant un inventaire poétique, magique et low-tech à partir d’objets et de matières. C’est aussi le cas de la compagnie strasbourgeoise Médiane, qui relate l’expérience de paysages danois avec le conte musical Horizons.
Nick Steur vient des Pays-Bas pour collecter des cailloux à Strasbourg. Si si. Avec Freeze, il collecte en chaque endroit où il est accueilli des pierres qu’il montera ensuite avec la participation du public, en une sculpture unique. Renaud Herbin parle de lui comme de l’un des « chamanes de cette biennale ». Il y aurait « quelque chose de métaphysique » dans cette expérience, – à vivre donc.
Plan B de la Compagnie 111 tente, carrément, d’échapper aux lois de la physique, en faisant l’éloge du plan incliné. Acrobaties, jonglage et danse soutiennent la performance pleine d’humour et de poésie des quatre interprètes. Encore une heure si courte, de la légendaire Claire Heggen et sa Compagnie Théâtre du Mouvement, est aussi une fable d’acrobaties au milieu d’une matière de plus en plus chaotique.
Le monde du théâtre d’objets est abordé dans les spectacles The Telescope de l’anglais Tim Spooner et dans le Petit Théâtre d’Objet des Philosophes de la Compagnie Houdart-Heuclin. The Telescope explore à la loupe ce qui ne peut être vu à l’oeil nu, tandis que la Compagnie Houdart-Heuclin donne à voir la dimension symbolique de l’objet.
Métamorphoses et illusions
L’utilisation de la marionnette, de la matière transformable, de la distorsion des réalités, chiffonne les idées reçues et permet de libérer l’imaginaire, en faisant fi de l’impossible. C’est la transformation, le rite de passage, le chemin libérateur. Renaud Herbin nous invite, à travers ces spectacles, à abandonner les certitudes au profit d’expériences nouvelles : les Giboulées seraient la drogue du chamane pour passer vers un monde nouveau ?
Je brasse de l’air de Magali Rousseau est une performance mécanisée : infiniment fragile et délicate, ces articulations apprennent à voler. Les Corbeaux de Josef Nadj et Akosh Szelevényl est aussi une tentative de se décoller du sol, qui passe par la métamorphose animale et la peinture, ritualisant la transformation du corps humain. L’animal est carrément monstrueux (et amoureux) lorsque l’on parle de Squid de David Girondin Moab, « marionnette céphalopodique à l’intelligence supérieure ».
Opus 2-Chroma de la Compagnie D’à Côté, invite tous les publics, même les plus petits à partir de 1 an, à venir faire l’expérience de la couleur. Variation autour de la lumière, de l’espace et du son, Opus 2-Chroma consacre l’abstraction. Comme le précise Renaud Herbin : « l’abstraction est tout sauf un problème pour un tout-petit. »
Here lies Shakespeare l’affirme : Shakespeare est un imposteur, pour peu qu’il ait jamais existé. C’est le postulat de base de contes baroques et surréalistes, ayant comme personnages principaux Shakespeare (on fête cette année les 400 ans de sa mort), une pomme de terre et un brontosaure. Prometteur!
Anywhere cherche du côté de la mythologie, en s’inspirant librement de Oedipe sur la route d’Henry Bauchau. Une marionnette de glace s’altère et se détériore au fur et à mesure de l’histoire : magique et sombre.
Lombric et Reflector forment l’ensemble Tout est parfait, de la Compagnie L’Empreinte de le Vouivre, bien connue des habitués de la Semencerie à Strasbourg. Formes courtes et sans paroles, elles font dialoguer les mécanismes subtils et complexes de Joseph Kieffer avec la danseuse Marie-Pan Nappey. Elles sont mises en musique par Jean-Charles Mougel. Extatique, quel que soit l’âge!
Deux spectacles de Renaud Herbin
Les Giboulées commencent avec une création de Renaud Herbin, Milieu, pour l’occasion, et parce que « c’est important d’être en création pendant un festival dédié à la création ». Aux prises avec une marionnette à fils enfermée dans un espace clos, Milieu est une réflexion humoristique autour de la notion de castelet, et de la lutte pour s’en échapper.
Le festival est aussi l’occasion de remontrer Actéon, pièce créée en 2013, qui raconte une initiation mythologique à l’art de la chasse, qui ne se passe pas comme prévu. Mêlant marionnettes figuratives et confrontation à la matière, Actéon est en quelque sorte à l’image de la réflexion que Renaud Herbin porte autour des Arts de la marionnette.
Des jeunes créateurs, des parcours dans la ville
En plus de workshops, de rencontres et d’expositions (tout le programme est ici), le TJP accueille des parcours artistiques in situ, comme c’est le cas sur le Campus de l’Esplanade, à l’Atrium, en partenariat avec le SUAC, pour Troublantes apparences. En allant à la rencontre des petites formes dans des vitrines, symboles d’un temps qui passe inéluctablement, on pourra y voir Angélique Friant, Alice Laloy et Arnaud Louski-Pane.
Le festival sera aussi l’occasion d’accueillir le Collectif 23H50, issu de l’École Nationale Supérieure des Arts de la Marionnette de Charleville-Mézières en 2013, pour trois formes courtes et éclectiques : Existe, L’Os (vidéo ci-dessus) et Grasse Carcasse, ce dernier étant inspiré de la bande-dessinée Blast de Manu Larcenet.
Enfin, dans le cadre de la biennale Hors les Murs, et légèrement en amont du début du festival, la Compagnie Degadezo présente la création de Contactfull, conférence en corps et en mots, au Repère à Schirmeck les 26 et 27 février.
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