À l’approche de la conférence mondiale sur le climat, les restaurateurs veulent aussi montrer qu’ils se sentent concernés par l’écologie. Leur syndicat professionnel (UMIH) vient d’éditer un guide pour lutter contre le gaspillage dans les restaurants. De comment récupérer l’eau de pluie à produire ses propres plantes aromatiques, ce guide a été « élaboré par 400 chefs » assure l’UMIH. Nous l’avons testé auprès de trois établissements strasbourgeois.
Pour réduire sa quantité de déchets alimentaires dans un restaurant, d’après le guide, il faut les identifier via trois catégories : ceux produits pendant la préparation des repas, les produits non consommés en cuisine et les déchets des clients. Le guide rappelle que trier les déchets organiques est une obligation pour les restaurants qui dépassent le seuil de 20 tonnes de déchets par an. Selon l’UMIH, la restauration française produit un million et demi de tonnes de déchets par an.
Le patron de la brasserie Le Michel, avenue de la Marseillaise, Dominique Vonesch, estime qu’il est impossible de les trier, dans sa brasserie fréquentée par quelque 200 personnes tous les midis. Alors au lieu d’être valorisés en compostage, les déchets organiques se retrouvent dans les sacs-poubelles mélangés aux ordures ménagères :
« C’est beaucoup trop contraignant, il n’y a pas assez de place dans la cuisine pour plusieurs poubelles de tri. De plus, les cuisiniers n’ont pas le temps de s’occuper de ça. Nous balançons tout dans le même sac, les emballages sales, les retours des clients, les serviettes… Tout va dans les bacs à poubelles classiques ».
Le snack Michel récupère néanmoins ses cartons et ses cagettes, il paie un abonnement annuel pour cette récupération, auprès du Marché Gare.
Pour la patronne de Chez Yvonne, rue du Sanglier, Marjolaine De Valmigère, le tri des déchets est difficile à mettre en place, mais elle pense y arriver un jour, « quand ce sera obligatoire ». Pour le moment, le restaurant trie ses verres et ses cartons. Des sociétés, Sita et Schroll, s’occupent de la collecte, moyennant un abonnement mensuel. Ses bouchons en liège et en plastique sont donnés à des associations.
« J’imagine que dans un petit restaurant, le tri de déchets peut être envisageable. Dans un établissement comme le mien, de 20/30 employés, de 130 couverts sur 3 niveaux, ce n’est pas possible de demander aux serveurs, en plein service de jeter la serviette en papier dans une poubelle, les restes de viandes dans une autre, les végétaux dans une troisième… »
Trop peu de bacs de tri au centre-ville
Le restaurant In Vino Veritas, place de la Cathédrale, serait prêt à trouver de la place dans sa cuisine. Plus petit, cet établissement de quelques couverts pourrait prendre le temps de trier ses déchets. Mais le problème se situe au niveau des bacs de tri, comme l’explique Thomas, son cuisinier :
« Près de la cathédrale, il n’existe pas de poubelles de tri. Ni bacs bleus, ni bacs jaunes pour les cartons, il n’y a pas de conteneurs à verre et encore moins de bacs pour les déchets organiques. Pour le trier le verre, je devrais aller jusqu’à la place du Marché Gayot ou au parking Gutenberg. Même si nous privilégions les bouteilles consignées, beaucoup de bouteilles de vin ne le sont pas. Tous les restaurants sont dans la même impasse que moi, personne ne trie. Franchement, ça m’écœure ».
Françoise Bey, vice-présidente de l’Eurométropole, en charge de la propreté se dit consciente du problème. Elle aimerait réexaminer la possibilité d’installer de de nouveaux conteneurs à verre au centre-ville, mais le bruit qu’ils produisent pose problème.
Le doggy-bag en plein service encore mal perçu
Un tiers de la production mondiale de nourriture serait gaspillée. Les principales causes viendraient des difficultés à évaluer le nombre de repas, des stocks et des quantités inadaptées à l’appétit du client. Le doggy-bag, qui consiste à demander au restaurateur d’emballer les restes pour les emporter, serait un geste anti-gaspillage. Mais au Snack Michel, demander un doggy-bag en plein rush du service est mal perçu :
« En plus d’utiliser un emballage pour un bout de part de tarte, c’est du temps perdu pour le serveur. Il serait préférable que les gens n’aient pas les yeux plus gros que le ventre ».
Marjolaine De Valmigère avoue ne pas être équipée en emballages pour mettre en pratique « cette méthode américaine ».
L’idée de valoriser les déchets alimentaires en faisant des dons aux associations locales ou aux établissements animaliers est aussi proposée dans le guide de l’UMIH. Les trois restaurateurs avouent ne pas s’être penchés sur la question. Marjolaine De Valmigère n’imagine pas donner des restes aux associations : « si l’on donne de la nourriture, ce sont des plats qui n’ont pas été touchés ».
Au Snack Michel, le marc de café est offert aux clients, pour être utilisé comme engrais pour les plantes ou comme répulsif contre les limaces par exemple, comme le conseille le guide. Mais chez In Vino Veritas, les capsules de café en plastique de Segafredo sont irrécupérables et sont jetées dans la poubelle commune.
15 000 litres d’eau pour 1 kg de viande
Le guide de l’UMIH aimerait sensibiliser les restaurateurs aux achats responsables. L’idéal serait de réduire sa consommation de viande et proposer plus de plats végétariens, ou de poissons dont les effectifs ne sont pas menacés et des produits issus de l’agriculture biologique.
En France, nous consommerions trop de protéines animales, plus de 3/4 de notre alimentation. Or l’élevage du bétail consomme beaucoup de ressources : 15 000 litres d’eau sont nécessaires pour produire 1 kg de viande de bœuf, 5 000 l pour 1 kg de fromage et 4 800 l pour la viande de porc contre 700 l pour 1 kg de pommes.
Mais à la brasserie Le Michel, faire attention aux origines des produits n’est pas la priorité de la maison, affirme Dominique Vonesh :
« Mon rôle n’est pas d’éduquer mes clients à manger plus sainement. Les gens viennent chez moi pendant leur pause déjeuner, ils veulent manger vite et pas cher et avoir le choix sur la carte. Ici, tout est fait maison, mais les produits de base viennent de Metro, Chrono et Cash, sinon les plats seraient hors de prix. On s’adapte à la demande, je réponds à mes clients. Ici, je ne peux pas me passer de viande, de saumon, de volaille ou de steaks hachés ».
Et les clients risquent de s’agacer si les frites maisons étaient remplacées par des pois secs.
Chez In Vino Veritas, le restaurant attire une clientèle plus touristique. Sa carte est réduite, l’enseigne peut se passer de saumon par exemple, qu’il ne souhaite pas proposer à cause des conditions d’élevage. Le restaurant peut se permettre de changer sa carte en fonction des saisons et des produits et Thomas est prêt à proposer plus de légumineux, comme le propose le guide.
Chez Yvonne proposant une cuisine alsacienne, il serait difficile de trouver un compromis végétal à la choucroute ou au jambon braisé.
Pas assez d’approvisionnements bio
Le snack Michel s’approvisionne en fruits et légumes au Marché Gare, quasi quotidiennement, pour que ses clients profitent de produits frais. In Vino Veritas fait ses achats chez Pomona, grossiste pour les professionnels, où il privilégie les rayons de produits bio et régionaux quand il le peut. Mais Thomas se plaint qu’à Strasbourg, il soit difficile de trouver suffisamment de produits bio pour un restaurant, contrairement aux marchés allemands.
Pour espacer les commandes et livraisons, comme le conseille le guide, il faudrait que les restaurants aient suffisamment de place pour stocker les produits. Ce qui n’est que rarement le cas pour les restaurants du centre-ville. Marjolaine De Valmigère estime que ces mesures ne valent pas pour des restaurants comme le sien :
« Des marchandises sont livrées quotidiennement dans le centre de Strasbourg. Réduire les déplacements, pour quoi faire, si ce n’est pas moi que l’on livre, c’est le restaurant d’à côté. Je suis approvisionnée en produits frais tous les jours, les produits secs c’est une fois par semaine ».
En ce qui concerne les achats des produits d’entretien et de nettoyage, Marjolaine De Valmigère avoue avoir pensé à choisir des produits plus éco-responsables, mais le prix, 2 à 3 fois plus élevé, l’a rebuté.
Dans le rush des services, l’écologie passe après
Le guide préconise d’optimiser sa consommation d’eau. In Vino Veritas, la brasserie Michel sont d’accord, d’autant que le gaspillage de l’eau peut coûter cher. Dans ces deux établissements, les douchettes sont utilisées en dernier recours et les lave-verres et vaisselles ne sont lancés lorsque les paniers sont pleins. Mais chez Yvonne, victime de son succès, le nombre important de clients ne permet pas aux plongeurs de laisser tremper les plats.
Dominique Vonesh a sensibilisé le personnel du Snack Michel au gaspillage en général, mais estime que le rôle du patron est de répéter tous les jours la même chose :
« J’ai installé un système de régulateur d’eau sur le robinet d’eau froide qui sert pour les sirops et à remplir les carafes. Sinon dans le rush, les serveurs laissent le robinet en marche. Ici, c’est une cantine, entre 12 et 13h le restaurant est plein, les serveurs courent dans tous les sens et ne font pas attention à ça ».
L’eau de pluie pour les toilettes
Des idées originales sont également proposées dans le guide comme récupérer l’eau de pluie pour les toilettes. Seul bémol, il faut disposer d’un accès au toit, ce qui est rarement le cas des restaurants. L’eau des carafes pourrait être utilisée pour laver les légumes, ou les sols, mais là encore, les restaurants n’ont pas prévu de place pour stocker l’eau dans des réservoirs.
Il faudrait également diminuer la consommation de glaçons, dont la production et la conservation sont énergivores. Au Snack Michel, les glaçons ne sont plus servis systématiquement avec les boissons, mais les clients restent demandeurs. Pour Thomas d’In Vino Verita, c’est impossible de cuisiner sans glaçons, il préférerait travailler avec une cellule de refroidissement, mais d’après lui cette machine est encore moins écologique et de toutes façons, il n’a pas de place dans sa cuisine.
La patronne de chez Yvonne, estime que son restaurant doit avant tout faire plaisir aux clients :
« Si un client me demande des glaçons, car son vin est trop chaud, je ne vais pas lui dire que je suis éco-responsable et que je préférerais qu’il s’adapte à la température du vin. C’est pareil en cuisine, le chef doit parfois stopper la cuisson des légumes pour qu’ils gardent leur couleur et que les plats soient jolies, ou les aliments bien cuits ».
Les appareils électriques en question
Le guide de l’UMIH propose d’établir un état des lieux de la consommation d’énergie. Thomas d’In Vino Veritas et Dominique Vonesh du Snack Michel assurent être vigilants à ne pas surconsommer l’électricité. Ils entretiennent les appareils et ne les laissent pas tourner à plein régime. Chez In Vino veritas, les appareils électriques ne sont même pas laissés en veille, ils sont débranchés, ce qui est impossible au Snack Michel, qui propose de la restauration non-stop. En revanche, la température de la friteuse est réduite après le service de midi.
Chez Yvonne, en plein cœur historique, le bâtiment est mal isolé et plutôt sombre. Les chauffages et les lumières, spécialement en période de Noël, ne peuvent pas être arrêtés.
D’après le guide, les principales sources de consommation sont la cuisson et la production de froid. En moyenne, chaque repas consommerait 4 kilowattheure (une télévision allumée pendant trois heures consomme 1 kWh).
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