Arrêté, menotté, placé en garde à vue… pour un index levé. Mercredi 27 novembre, une patrouille de CRS interpelle Aboubakar et son ami. En visite à Strasbourg, le sportif d’origine tchétchène a vu son séjour virer au cauchemar. Convaincus que ce geste du doigt signifie une allégeance à l’Etat islamique, les forces de l’ordre embarquent les deux jeunes pour « apologie du terrorisme. » Le jeune homme ne comprend pas ce qui se passe : « Ce geste, je le fais souvent quand je gagne une compétition. Certains lèvent le pouce, d’autres lèvent l’index… », explique le champion d’Europe de jujitsu.
« C’était de la provocation »
Il n’y a pas eu de violence physique de la part des policiers, assure Aboubakar, mais le jeune homme est mis sous pression dès son interpellation :
« Dans la voiture, un policier disait « Inchallah, on vous a attrapés. » Comme si on avait été pris en flagrant délit… Dans la cellule, certains policiers venaient devant et me disait : “Vas-y montre ton doigt.” J’ai rien dit, je savais que c’était de la provocation. »
Aboubakar a passé ses 24 premières heures de garde à vue sans avocat. Selon cet habitant de Troyes, les policiers l’auraient dissuadé de recourir à un représentant légal : « Ils m’ont dit que je n’allais rester que trente minutes, que ce n’était la peine de demander un avocat… »
Index levé, « hyper grave » pour les policiers
Une fois les 24 premières heures écoulées, le jeune homme doit à nouveau signer un document. Cette fois, il demande un avocat. « Je pense que la première journée de garde à vue ne s’est pas bien passée, analyse Aboubakar, quand j’ai dit que l’index levé veut dire « Dieu est seul », le policier a réagi comme si c’était hyper grave… »
Pendant ce temps, la famille d’Aboubakar finit par s’inquiéter pour leur fils, qui ne donne plus de nouvelles. Son grand frère, Dikiy (le prénom a été modifié), appelle plusieurs fois l’hôtel de police… « mais les policiers nous ont répondu qu’il n’était pas là. Pourquoi ont-ils fait ça ? Pourquoi ils n’ont pas laissé mon frère nous appeler au début de la garde à vue ? C’est son droit ! »
« Maintenant il a peur »
Le deuxième Tchétchène emmené par les policiers au même moment et gardé à vue n’a pas souhaité nous répondre. Son ami Aboubakar explique sa décision en décrivant la situation du jeune : « Il est choqué de fou. Il n’a pas de papier, ne parle pas français et ne connaissait pas ses droits. Maintenant il a peur. »
Interrogé sur les conditions de la garde à vue et les premiers résultats des investigations, le parquet de Strasbourg n’a pas souhaité communiquer arguant d’une « enquête toujours en cours. » Les téléphones portables des deux jeunes hommes sont toujours en la possession des enquêteurs. « Ils peuvent rechercher dedans autant qu’ils le souhaitent, mais ils ne trouveront pas ce qui n’existe pas », écrivait Aboubakar sur son compte Instagram, début décembre.
« Dur de s’adapter quand on est jugé comme ça »
Dikiy dénonce l’arrestation de son frère alors que celui-ci ne demande qu’à recevoir la nationalité française pour représenter l’Hexagone lors des compétition de jujitsu : « On veut s’intégrer à la société française, mais c’est dur de s’adapter quand on est jugé comme ça. »
Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) a apporté son soutien à Aboubakar en lui proposant un avocat. Les deux frères attendent les résultats de l’enquête : « S’ils disent qu’il n’y a rien, on va demander à notre avocat de s’assurer qu’Aboubakar n’est pas inscrit au fichier S, explique le grand frère Dikiy. Tout ce qu’on veut c’est la justice. »
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