Les sites de rencontres, les jeux de rôles en ligne, les Zombies Walk, le Cosplay, les réseaux sociaux, Pokémon Go… De nombreux rendez-vous sociaux ont été maquillés avec des pratiques ludiques, jusque dans le monde du travail avec les Serious Games. On appelle ce mécanisme la « gamification » (ou ludification en bon français).
Mais notre vie est-elle soluble dans le tout ludique ? Jusqu’où peuvent aller ces mécanismes et avec quelles conséquences ? Pour en parler, Rue89 Strasbourg et le Shadok organisent jeudi soir une conférence-rencontre avec Pascal Marquet, professeur à l’Université de Strasbourg en sciences de l’éducation, Benoit Reinier, youtubeur et journaliste spécialisé dans les jeux vidéo et Stéphane Becker, PDG de Method in the madness, entreprise spécialisée dans les serious games.
Rue89 Strasbourg : Pascal Marquet, vous êtes professeur à l’Université de Strasbourg, doyen de la faculté des sciences de l’éducation et vos travaux concernent les environnements numériques de travail (ENT) ainsi que les « environnements informatiques pour l’apprentissage humain » (EIAH). Qu’est-ce que la « gamification » ?
Pascal Marquet : La gamification est l’application des ressorts et moteurs ludiques dans un domaine autre que les jeux vidéos, par exemple en ce qui me concerne, l’apprentissage et la formation. On retrouve ainsi ce qu’on appelle des « serious games » qui sont des jeux ayant vocation à transmettre un savoir ou une série de connaissances.
Est-ce que ça marche ?
Alors oui, ça marche mais ce n’est guère étonnant. D’abord parce que les mécanismes ludiques existent depuis longtemps dans l’apprentissage. Un enseignant, même s’il le fait de manière automatique, va scénariser son cours, il va raconter une histoire avec des personnages et des situations. Il y a une quête. En revanche, il ne faut pas croire qu’utiliser les technologies des jeux vidéos résolvent tous les problèmes liés à la transmission. D’abord parce qu’on n’a toujours pas trouvé comment remplacer un enseignant efficacement, on peut mettre des écrans et des questionnaires mais la relation entre des êtres humains reste la plus efficace.
« L’effet n’est jamais durable »
Ensuite, c’est vrai qu’on note une meilleure implication des apprenants lorsqu’ils sont invités à participer à un processus ludique. Mais cet effet n’est jamais durable. Et c’est même plus compliqué de garder quelqu’un dans la durée : sur le plan cognitif, l’effort de concentration demandé est plus intense.
Au final, on se rend compte que la gamification fonctionne mieux dans la formation des adultes que dans l’apprentissage initial. Les meilleurs résultats sont obtenus dans les simulations, lorsqu’on place l’apprenant dans une situation virtuelle qui ressemblera à son futur métier.
Quelles sont les limites de la gamification ?
J’ai peur que la gamification ne soit une nouvelle mode, bien pratique en termes marketing, mais guère significative au-delà. Il y a trois ans, dans l’apprentissage on ne parlait que des « moocs », ces formations en ligne à bas coûts. Et puis la gamification est très liée à l’essor du numérique, elle dépend des écrans et en sort rarement. Or l’apprentissage peut et doit parfois s’en affranchir. Tout ne peut pas être numérisable.
Par exemple dans le secteur bancaire, on peut « gamifier » une formation sur la relation avec les clients mais on aura du mal à le faire avec sur les conditions d’obtention d’un prêt. D’une manière générale, il faut se méfier de l’effet gadget, que la cosmétique ne vienne pas supplanter l’objectif du processus d’apprentissage.
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