L’œil fixé sur le tableau des départs de la gare de Strasbourg, Sandra Regol semble à bout de souffle. Quelques minutes de sursis avant le départ vers Gare de l’Est. « Je dois absolument être à Paris pour l’examen d’une proposition de loi sur la prévention des incendies… » Pressée par le tempo de l’Assemblée nationale, la députée EE-LV de la première circonscription du Bas-Rhin n’a pas eu le luxe de ressasser son week-end tendu en Turquie.
Partie vendredi dans la matinée pour assister à l’élection présidentielle comme observatrice du scrutin, l’élue a été retenue à son arrivée à l’aéroport d’Istanbul. Rapidement, on lui signifie son interdiction d’entrer sur le territoire et son obligation de repartir avec le premier avion, le lendemain.
« Les policiers eux-mêmes étaient embêtés »
Dans son récit, tout s’enchaîne très vite. « Dès qu’on m’a installé au bureau de la police des frontières, on a demandé à prendre mes empreintes digitales », commence Sandra Regol. Elle poursuit son récit kafkaïen :
« J’ai refusé mais on m’a quand même prise en photo. Quand j’ai demandé sur quoi reposait cette interdiction, puisque je n’ai jamais eu de souci avec les autorités turques, personne n’a été en mesure de me répondre. Les policiers eux-mêmes avaient l’air embêtés. »
Après une courte nuit sur un canapé, dans une pièce vide de la police des frontières, l’élue repartira avec le premier avion en partance vers la France. Quatorze heures à peine sur le sol turc et une mission avortée :
« Le parti d’opposition (Yesil Sol Partisi, gauche écologiste et favorable aux droits des Kurdes NDLR) qui m’avait contacté espère que la présence de députés français pouvait limiter les irrégularités durant le scrutin. »
Lors de l’élection présidentielle de 2018, deux parlementaires allemand et suédois avaient été refoulés de la même manière. Une délégation du Parti communiste français, emmenée par Hülliya Turan, alors conseillère municipale de Strasbourg, s’était rendue dans deux bureaux de votes de l’est du pays, avant d’être arrêtée par la police turque et renvoyée en France. L’adjointe communiste remémore l’épisode :
« Je connais bien le pays, donc je n’avais pas d’illusions. Je savais que ce serait compliqué, mais je ne m’attendais pas du tout à une arrestation. Même ce week-end, j’ai été très surprise d’apprendre qu’une élue de l’Assemblée nationale ne peux pas mener ses observations normalement en Turquie. Ça dit quelque chose de l’opacité qui entoure cette élection… »
Pot-pourri de commentaires orduriers
Sur les réseaux sociaux, la nouvelle semble ravir les soutiens français de Recep Tayyip Erdoğan, le président islamo-conservateur de Turquie, candidat à sa réélection. À peine Sandra Regol avait-elle fini de tweeter sur l’affaire, qu’un tombereau de commentaires insultants s’est déversé contre la députée. Çà et là, quelques emojis « tête de loup » rappellent sans subtilité l’emblème des Loups gris, une organisation paramilitaire turque d’ultradroite, proche du parti turc d’extrême droite MHP, lui-même membre de la coalition au pouvoir.
Ce weekend je devais me rendre en Turquie à l'occasion des élections. Arrivée vendredi en fin d'après-midi à Istanbul, j'ai été notifiée d'une interdiction d'accès au territoire. Gardée la nuit sur place, j'ai été renvoyée par le premier avion ce matin soit 14h plus tard #thread pic.twitter.com/QigGfvsVLi
— Sandra Regol 🌻🇺🇦 (@sandraregol) May 13, 2023
L’élue rapporte avoir reçu également son lot de menaces par messages privés. Comme Hülliya Turan, cinq ans plus tôt :
« À la période où j’avais été arrêtée, j’avais aussi eu droit à une série de menaces. Ça ne me surprend pas que ça se reproduise. L’AKP a des réseaux actifs solides en Europe. Comme la situation est tendue pour le régime, ses soutiens aussi se tendent. »
Chargement des commentaires…