Dans le couloir aux murs blancs, les portes jaunes des chambres en enfilade sont toutes fermées. On entend du rap en passant devant l’une d’entre elles. Une musique de jeux vidéos devant une autre. « Mustapha adore jouer », raconte en souriant Yasmine Khouidmi, travailleuse sociale au Réseau d’accueil solidaire depuis septembre 2020. Elle frappe doucement à la porte. « On peut rentrer ? » La chambre s’ouvre doucement sur un jeune homme au sourire éclatant.
« Il faut savoir parler la langue des signes »
Sous d’épais sourcils noirs, les yeux rieurs de Mustapha brillent. Il a 14 ans et vient d’Afghanistan. Yasmine plaisante : « Il faut savoir parler la langue des signes ! » Arrivé il y a environ quatre mois en France, à Strasbourg, le jeune homme a encore beaucoup de mal à parler français. Mais il comprend l’essentiel. Quelques mots d’anglais, et des signes avec les mains font le reste.
Avec son tee-shirt vert flashy, et un jean déchiré aux genoux, Mustapha ressemble à n’importe quel adolescent. Seules les cicatrices visibles sur son avant-bras gauche font penser à un passé violent. Différent. « Je suis venu seul, en marchant et en voiture », explique le jeune homme, son téléphone dans les mains avec le jeu-vidéo mis sur pause.
« Je veux aller dans une famille pour bien parler français »
Originaire de la province de Nangarhar, à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan, Mustapha a donc traversé son pays, puis l’Iran et la Turquie avant d’arriver en Europe. Impossible d’en savoir plus sur les raisons de son départ sans sa famille, ni sur les conditions exactes de son périple, forcément long, fatiguant, voire dangereux. « Ils ont vécu des traumatismes lourds, il faut leur laisser du temps, et ne pas trop remuer ces choses-là », glisse Yasmine Khouidmi.
Dans son français hésitant, Mustapha réussit à dire quelques phrases : « Je veux aller dans une famille, pour apprendre à bien parler français. » Et il est prêt à partir vite s’il le faut. Ses étagères sont quasiment vides. Mais en attendant, il vit ici au Foyer Notre-Dame, situé en plein cœur de Strasbourg, avec d’autres migrants mineurs comme lui.
Des jeunes reconnaissants et soulagés
Si la chambre de Mustapha frappe par l’absence d’affaires personnelles, certaines ressemblent d’avantage à des chambres d’ados comme on peut les imaginer. Une porte s’entrouvre sur l’une d’entre elles : une couette rose sur un lit défait, des posters au mur, un bureau recouvert de livres et de cahiers. D’ailleurs, Yasmine avait prévenu : « Ne venez pas trop tôt, ce sont des ados et comme c’est les vacances… Ils dorment tard le matin ! »
Il est 11h ce mercredi matin, on entend une douche qui coule dans la salle de bain. On se croirait presque dans un internat classique. Sauf qu’il y a ici des éducateurs de 9h à 21h et des veilleurs de nuit le reste du temps. Jérôme Azévédo, 35 ans, est éducateur spécialisé et travaille au FND depuis novembre 2020. C’est la première fois qu’il accompagne des mineurs isolés non accompagnés (ou MNA), c’est à dire des migrants, mineurs, qui ont quitté leur pays et sont venus en France, sans un parent ni quelqu’un de leur famille exerçant l’autorité parentale.
Un public bien à part selon Jérôme Azévédo :
« Ces mineurs sont très différents des autres jeunes dans la protection de l’enfance. D’abord parce qu’ils sont reconnaissants d’être là. Ils sont soulagés, après un parcours migratoire souvent difficile. Ils savent aussi pourquoi ils sont ici : pour un jour être accueillis dans une famille. Ils ont un projet, un objectif. Ils sont matures. Avant, je bossais avec des jeunes en souffrance, séparés de leurs parents parce qu’ils étaient délinquants par exemple. Ils avaient de la rancœur. Ici, je dis souvent que ce sont des crèmes. Ils n’ont pas de souci avec la figure de l’autorité qu’on représente, ils nous font vraiment confiance. »
Une période d’adaptation avant d’aller en famille
Même si Mustapha et ses sept autres compagnons du moment rêvent tous de trouver rapidement une famille d’accueil, le Réseau prend d’abord le temps de connaître ces jeunes. Il faut aussi du temps pour qu’ils s’adaptent à leur nouvelle vie française : aller à l’école, apprendre une nouvelle langue, connaître quelques codes culturels de base. Et c’est parfois compliqué.
« Pour eux, le changement est parfois énorme. On a une jeune fille qui vient d’arriver et qui n’a jamais été à l’école par exemple. Elle travaillait dans les champs. Elle a vécu des choses très dures. Il va lui falloir du temps avant de pouvoir aller en famille et de rester assise dans une classe sept heures par jour. »
Mustapha, lui, semble prêt. Archi-prêt même. Mais Yasmine Khouidmi glisse que pour lui aussi, il faut encore attendre « un peu ». Cette phase peut durer entre 3 et 6 mois. En attendant donc, la petite équipe de quatre éducateurs anime la vie du foyer. « On leur apprend le vivre-ensemble, explique Jérôme Azévédo, on les accompagne dans leur démarches scolaires, administratives aussi. Et puis on est là pour parler quand ils en ont besoin bien sûr. »
Au bout du couloir où dorment les jeunes, un petit escalier en colimaçon monte au « bureau », sous les toits. C’est ici que travaillent les éducateurs, mais aussi l’art-thérapeute de la structure. Il y a une petite cuisine, une salle avec une grande table, un canapé et des photos de voyage au mur. « Parfois ils viennent juste se poser ici, pour être près de nous. Ils ont besoin d’une présence, sans forcément parler », raconte Yasmine Khouidmi, une tasse de café fumante entre les mains.
Des ateliers sont prévus chaque semaine, comme dans n’importe quel foyer éducatif. Semaine de pré-Halloween oblige, les ados vont creuser et tailler des citrouilles. Une petite fête est également prévue pour le départ d’un des jeunes en famille.
Le Graal du départ en famille : entretiens, visites et parfois le coup de foudre
Le but ultime de ces jeunes et de l’association, c’est justement ce grand départ. Élodie Maillot est la chef de service du Réseau d’accueil solidaire. Dans son bureau situé au rez-de-chaussée du foyer, elle explique le déroulement de cet accueil spécifique en famille :
« Les jeunes que nous accueillons sont tous volontaires pour aller en famille. Ils savent, lorsqu’ils sont orientés vers nous, que c’est notre spécificité. Nous avons 8 places ici au foyer et autant de familles que possible ! Actuellement, dix familles accueillent des jeunes du Réseau. Mais nous aimerions en avoir encore plus ! »
Le réseau existe depuis 2017 et il est financé à 100% par le Conseil départemental, devenu la CEA (Collectivité européenne d’Alsace) au titre de la protection de l’enfance. Les familles qui sont intéressées par l’idée doivent d’abord prendre contact avec l’association, puis il y a plusieurs entretiens et rencontres organisées, avec un psychologue, et avec le service des familles d’accueil de la CEA. Une fois que la CEA valide la candidature, le Réseau s’occupe alors de trouver le ou la jeune qui pourrait correspondre à la famille :
« On réfléchit en fonction du caractère et des envies du jeune et de celles de la famille. Certains jeunes préfèrent rester en ville, d’autres aiment la campagne… Après, on met en contact le jeune et la famille, et il y a une première rencontre. Et parfois il y a un coup de foudre. »
Élodie Maillot raconte en souriant l’exemple de ce père de famille à l’humour un peu particulier :
« Une fois, on avait un papa dans une famille qui nous avait dit qu’il avait un humour au 34e degré et qu’il ne fallait pas un ado sensible ou susceptible. On a trouvé un jeune qui était aussi décalé que lui et lors du premier rendez-vous, il y a eu un coup de foudre entre les deux ! Ils se faisaient des blagues pas possibles, ils étaient morts de rire tous les deux, ça a collé c’était incroyable. »
Une fois que tout le monde est partant : la famille, le jeune, la CEA et le Réseau, signent une convention d’accueil. La famille va assurer le quotidien du jeune (lui fournir un toit, de la nourriture et une sécurité affective et matérielle). Le CEA finance le Réseau et verse une allocation à la famille de 374€ par mois et par enfant, pour couvrir l’hébergement et la nourriture. Le Réseau s’engage à accompagner le jeune et la famille : « On fait des visites régulières, on maintient un lien permanent. »
Peu de candidats et beaucoup d’idées reçues
Mais ces belles histoires sont malheureusement trop rares. Notamment parce que peu de familles candidatent pour devenir familles d’accueil. « Il y a beaucoup d’idées reçues », déplore Élodie Maillot, « d’abord sur qui on doit être pour accueillir ces enfants ». Elle rappelle pourtant : « Il ne s’agit pas d’une adoption, ces jeunes ont déjà des parents. Leur tuteur légal, c’est le Département. »
La chef du Réseau explique donc qu’il n’y a pas de critère discriminant :
« On peut être retraité, on peut être célibataire, on peut être actif ou inactif, on peut être un couple hétérosexuel ou homosexuel… Il n’y a pas de profil type et il y a toujours une famille qui colle à un jeune. Sur les dix familles que nous avons à ce jour, il y a des agriculteurs, des intermittents, des médecins, des employés… Des gens qui vivent à Strasbourg, d’autres en rase campagne. Ils ont entre 35 et 60 ans. Bref, c’est très varié ! Ce qui compte, c’est leur motivation. »
Mais il y a aussi les idées reçues sur les migrants, constate tristement Élodie Maillot : « Ce n’est pas forcément du racisme, mais c’est toujours inquiétant de recevoir chez soi l’autre, l’inconnu, qui n’a pas la même culture, pas la même langue, pas la même religion… »
En 2020, aucune famille n’a candidaté pour accueillir un jeune migrant, « le Covid et le confinement ont tout stoppé » selon la chef de service. « Le rythme reprend doucement en 2021, assure-t-elle. Mais on a toujours besoin de familles, parce que des enfants qui arrivent seuls sur le territoire, il y en a tous les jours ».
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