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Stationnement en voirie : la galère de la contestation

Depuis janvier 2018, le contrôle du stationnement à Strasbourg est confié à une société privée, Streeteo, filiale d’Indigo. Cela ne change a priori rien pour les automobilistes, sauf qu’il s’avère compliqué de contester une amende, ou plutôt un “FPS”. Des Strasbourgeois nous racontent leurs difficultés face à l’informatisation d’une procédure rendue compliquée, et à l’opacité volontaire de la société.

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Stationnement en voirie : la galère de la contestation

Il est aux alentours de 17h ce vendredi de janvier. Magnus, la cinquantaine, résident de Schiltigheim, découvre un “Forfait de Post Stationnement” (FPS) d’un montant de 35€ sur le pare-brise de sa voiture garée dans une rue du quartier de l’Esplanade à Strasbourg. En effet, l’amende pénale a disparu en 2018 au profit de ce “FPS”, qui est une « redevance d’occupation du domaine public ». L’argent des FPS est désormais reversé à l’Eurométropole.

Pourtant, Magnus avait bien payé sa place à 1€. Il n’était pas resté garé plus d’une heure… Mais en relisant son reçu, il découvre une faute de frappe sur le numéro de sa plaque d’immatriculation dans l’horodateur. Le numéro 1 précède les lettres de sa plaque, ce qui rend le ticket erroné… Tout de suite, il décide de contester ce “FPS”, en pensant qu’il suffirait de s’expliquer : « Je pensais que c’était un malentendu qui pouvait être résolu très vite. »

Exit les ASVP, bonjour les FPS, Streeteo et les RAPO

L’avis de paiement le renvoie sur le site de la société Streeteo (une filiale du groupe Indigo, ici délégataire de service public). Cette société gère maintenant le contrôle de stationnement en voirie à Strasbourg, à la place des Agents de Surveillance de la Voie Publique (ASVP) de la Ville.

Sur le site de Streeteo, le requérant doit remplir un RAPO (Recours Administratif Préalable Obligatoire), c’est-à-dire un formulaire où il faut cocher le motif de contestation. Rien ne correspond à la situation de Magnus, alors il décide de l’exposer dans une case libre, et joint des pièces justificatives. Une première étape déjà pénible, explique-t-il :

« Il faut scanner la carte grise, l’avis de FPS, le ticket comme preuve de paiement… Je ne maîtrise pas bien tout ça, ça me prend énormément de temps, et je n’ai pas de scanner alors j’ai dû prendre tout ça en photo avec la webcam… »

De plus, Magnus est allemand et même s’il vit depuis 30 ans en Alsace, il travaille à Kehl et n’a pas l’habitude de s’exprimer en français à l’écrit.

Streeteo rejette la procédure

Quelques jours après, Streeteo lui répond par mail que son recours est rejeté car les éléments justificatifs fournis ne permettent pas d’établir le droit à stationner du véhicule le jour de l’apposition du FPS ».

Magnus croit rêver. Il a pu consulter à travers Streeteo les photos de son véhicule prises par l’agent, sur lesquelles son ticket de stationnement est visible. La preuve d’une mauvaise foi, selon lui :

« Il y a quand même quelqu’un en chair et en os qui prend les photos, et qui n’est pas stupide ! C’est complètement exagéré. Soit c’est illégal de faire ça, soit c’est de la mauvaise volonté. Le pire, c’est de ne pas avoir d’interlocuteur. »

« Le pire : ne pas avoir d’interlocuteur »

Streeteo n’est pas dans l’illégalité, mais Magnus estime qu’en ayant un interlocuteur, il pourrait bénéficier de clémence pour son erreur. Or, sur le site de Streeteo, aucun numéro de téléphone. Sur Internet non plus, la société est injoignable. Gênant pour une entreprise délégataire de service public…

Depuis 2018, les contrôles des véhicules en stationnement sont confiés à Streeteo, filiale de l’entreprise Indigo. C’est sur leur site qu’il faut faire les recours.

Le paiement du stationnement en voirie a été dématérialisé. A Strasbourg, on peut payer à l’horodateur avec pièces, carte bancaire ou paiement sans contact avec le smartphone, mais aussi avec des applications mobiles (OPnGO, Whoosh! et Easypark). Dans tous les cas, cela se fait en entrant le numéro de plaque. La preuve du paiement du stationnement est enregistrée numériquement, le ticket n’est qu’une information visuelle destinée à l’usager.

Contester : une mission impossible

Le mail de Streeteo précise qu’il peut à nouveau contester cette décision, auprès de la “Commission du Contentieux du Stationnement Payant”, sur internet ou par courrier. Las de ce fonctionnement (« C’était trop compliqué, trop stressant, il fallait encore des justificatifs », dit-il), il se rend à la mairie, expliquant qu’il veut s’adresser à un responsable du service stationnement.

Mais ce service n’existe pas, si ce n’est pour les stationnements de résidents. On le renvoie à la police municipale, rue du 22-Novembre. Magnus renonce en réalisant qu’il devrait encore se garer en ville et dépenser de l’argent en stationnement… pour contester son amende de stationnement.

Il finit par payer son FPS de 35€ (il aurait pu payer seulement 17€ s’il avait payé dans les 72 heures, délai qu’il a dépassé en essayant de faire son recours), non sans amertume :

“Je ne comprends pas, car j’ai payé 1€ de stationnement et 35€ d’amende ! On ne m’a pas remboursé cet euro, alors que j’avais mis la preuve de paiement sur mon pare-brise. C’est du racket. »

Verbalisée en possession d’un abonnement mensuel

« Racket », c’est aussi le mot qui vient spontanément à la bouche de Valérie, la cinquantaine, résidente de l’Esplanade. À ce titre, elle s’acquitte d’un abonnement mensuel de 15€, dont elle appose le justificatif sur son tableau de bord. Quelle ne fut pas sa surprise quand, à l’été 2018, elle se voit verbalisée. 

Selon Pernelle Richardot, les tarifs du stationnement en voirie n'ont pas augmenté. Mais beaucoup d'usagers ont le sentiment inverse... (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)
Les usagers qui témoignent qualifient le système de verbalisation de « racket » (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

Son premier réflexe est de contacter la Ville de Strasbourg, le service dédié aux questions de stationnement des résidents… qui la renvoie vers Indigo, la société mère de Streeteo. Indigo concède son erreur et s’excuse par mail auprès de Valérie : il s’agirait d’un problème dans leur base de données. Mais Indigo explique aussi ne pas pouvoir annuler l’amende : il faut faire un RAPO.

Valérie s’y met, non sans « s’être énervée ». Elle trouve la démarche « compliquée », et, comme Magnus, sa situation n’apparaît pas dans les cas proposés. Elle explique sa lassitude :

« Quand j’ai vu ça, j’ai répondu à Indigo que c’était à eux de réparer leur erreur. Un ou deux mois plus tard, j’ai reçu une lettre d’huissier ».

La lettre lui enjoint de payer 96€. Elle cherche à l’appeler pour s’expliquer, documents à l’appui. L’assistante de l’huissier lui explique qu’ils ne peuvent rien faire.

Un RAPO, la Ville, la Trésorerie et 85€ à payer

Elle se réessaye au RAPO, en cochant une situation au hasard et en s’expliquant dans la case libre. Elle joint la preuve de paiement de son abonnement. Alors qu’elle a peu d’espoir de se voir remboursée, elle rappelle le standard de la Ville de Strasbourg, qui lui passe la police municipale… qui lui dit que ce n’est pas la première fois que ce genre de cas se présente et qu’il faut appeler… Indigo. Valérie décide d’interpeller l’élu de son quartier, Nicolas Matt (LREM), qui tente de la renvoyer vers d’autres interlocuteurs, sans succès.

Valérie se tourne à nouveau vers le service chargé du stationnement à la Ville. En raison de l’avis d’huissier reçu, elle doit se rendre à la Trésorerie de Strasbourg, au Neudorf. Là, son interlocutrice décrit aussi une situation habituelle… Valérie doit payer les 85€ (le montant de l’amende majorée en raison des délais, dont sont soustraits les frais d’huissier) et envoyer un dossier avec les pièces justificatives pour se faire rembourser. Valérie paye… et ne fait pas le dossier, parce que cela lui « pesait ». Pour dénoncer le procédé, elle décide de retourner à la mairie.

« Alerter pour que ça n’arrive plus »

On la dirige vers le secrétariat des élus, et vers l’assistante de Pernelle Richardot, adjointe (PS) en charge de la gestion du stationnement. Un collaborateur de l’élue la rappelle, lui demande de re-raconter son histoire, et lui dit de constituer un dossier avec des pièces justificatives adressée à l’adjointe. Mais c’est une démarche de trop pour Valérie :

« Je leur ai dit que ça ne m’intéressait pas de refaire un dossier. Mon intention était surtout de les alerter, pour que ça n’arrive plus. »

Un mois s’est ainsi écoulé depuis son RAPO, elle reçoit une réponse négative à sa demande, sans explication supplémentaire.

Streeteo, ou l’art de se faire discret

Malgré quatre relances, nous ne sommes pas parvenus à joindre Pernelle Richardot. L’élue avait précisé dans nos colonnes en mars 2018 que la Ville avait avec Indigo « une relation franche et directe », et qu’ils faisaient « tous les mois un point pour vérifier que le travail des agents correspond bien au cadre de la délégation de service public ». Elle rappelle que « contrairement à Paris”, la Ville de Strasbourg « n’a pas fixé de prime d’objectifs à Streeteo. »

Valérie et Magnus regrettent que les motifs de contestation soient limités (capture document site Streeteo)

Malgré plusieurs tentatives, il s’est révélé également impossible d’obtenir une réaction du côté de Streeteo. Après avoir sollicité plusieurs entrées, le service des relations presse d’Indigo à Paris a fini par concéder que Streeteo ne souhaitait pas réagir.

Cette opacité et les confusions entre Indigo et Streeteo perturbent les usagers, comme Solène. Cette Strasbourgeoise de 26 ans n’a pas de problème avec l’informatique et voulait prouver sa bonne foi.

Indigo pour râler, Streeteo pour payer

Alors qu’elle avait garé sa voiture sans payer, de son propre aveu, une heure avant la fin des horaires payants dans une rue du centre-ville, elle prend sa voiture le lendemain pour aller travailler, et voit un papier s’envoler de son pare-brise. Elle décide de contacter au plus vite la société responsable pour vérifier si un FPS lui avait été adressée et pour payer dans les 72 heures, afin de se délester de 17€ au lieu de 35€.

Sur Internet, elle ne trouve que le formulaire de contact de Streeteo. Sa demande reste sans réponse pendant plusieurs jours. Solène cherche un autre moyen et voit sur le site de la Ville que c’est Indigo qui chapeaute Streeteo. Trouvant un numéro de téléphone, elle explique sa situation. Indigo lui confirme qu’elle a été verbalisée, et qu’elle doit payer sur Streeteo. Mais 72 heures ont passé, et l’occasion de payer moins cher aussi. Elle trouve qu’un peu plus de clarté ne ferait pas de mal :

« Comment peut-on savoir qui gère le stationnement quand on a perdu le ticket ? Il n’y a pas d’interface claire… J’étais en tort, bien sûr, mais je voulais payer. Et encore, j’ai 26 ans et j’ai dû chercher une heure pour comprendre vers qui me tourner. Qu’est-ce que ça doit être pour les plus âgés… »

Il fallait effectivement comprendre que Streeteo se charge de l’application du FPS et de récolter les paiements, mais que c’est Indigo qui s’occupe de la gestion des amendes et des questions.

« Rien n’est fait pour faciliter la vie »

Au-delà du problème de transparence, Magnus songe à toutes les personnes qui peuvent avoir des difficultés avec l’horodateur :

« Le potentiel d’erreur est énorme avec l’écran “tactile” (il s’agit en fait de touches légèrement en relief, ndlr). Je pense à des gens comme ma mère malade, aux personnes handicapées, dyslexiques, aux personnes illettrées, car ça existe… Rien n’est fait pour leur faciliter la vie. »

Valérie ne décolère pas face à ce qu’elle considère comme « une arnaque », et rappelle le scandale qui a secoué Streeteo à Paris : il avait été établi que des agents de la société avaient déclaré des milliers de contrôles fictifs. Plus de 4 000 FPS avaient également été envoyés par erreur à des habitants de la commune de Rueil-Malmaison. Pour elle, rien que la procédure de recours permet de « renflouer les caisses », puisque les « victimes » n’auront pas le courage de demander le remboursement :

« Quand les gens voient une lettre d’huissier, ils paniquent, et payent. Que la procédure soit si difficile alors qu’on est dans notre bon droit, ce n’est pas normal. »


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