Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Financement des cultes : de nouvelles règles pour « éviter l’instrumentalisation », l’opposition veut les amender

La municipalité modernise ses règles de financement des lieux de culte à Strasbourg – une spécificité liée au droit local d’Alsace-Moselle. Après la vive polémique en mars 2021 au sujet d’une subvention pour la nouvelle mosquée Eyyub Sultan, le débat actuel pourrait tourner sur l’avancement des projets pour lesquels la Ville peut accorder ses fonds publics.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Financement des cultes : de nouvelles règles pour « éviter l’instrumentalisation », l’opposition veut les amender

Ce n’est pas une délibération sur la mosquée Eyyub Sultan, mais l’ombre de l’édifice gigantesque de la plaine des Bouchers plane sur la délibération qu’a concoctée la municipalité écologiste. D’ailleurs, la maire Jeanne Barseghian (EELV) espère que ce « cadre transparent et partagé » permettra désormais d’éviter « l’instrumentalisation politique et la stigmatisation d’une communauté ». Autant dire : ne plus rééditer la crise majeure de mars 2021 lorsque le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin avait frontalement attaqué le co-financement de la construction de cette mosquée de la Meinau. Une demande depuis abandonnée par l’association Milli Görüs, qui porte cette mosquée.

Dix-huit mois plus tard, le nouveau texte reprend des règles antérieures et les explicite (voir notre article). Jean Werlen (EE-LV), conseiller municipal délégué en charge des Cultes, convient d’ailleurs que pour les travaux de rénovation, « la grille a modestement bougé à la hausse », notamment pour les rénovations énergétiques. Autrement dit, la Ville pourra financer davantage des rénovations de lieux de culte. Jean Werlen ajoute que ces règles ne sont « en aucun cas une remise en question des autres acquis ».

Les 10% maintenus, un plafond ajouté

Mais c’est davantage sur les nouveaux édifices, comme la mosquée Eyyub Sultan, que se concentre l’attention. Sur le plan financier, la municipalité réitère la part de 10% du montant provenant de subvention publique, une manière strasbourgeoise d’étendre le droit local des trois cultes concordataires aux autres cultes, selon le principe « égalité des droits, égalité des devoirs », instauré dans les années 1990.

Une nuance, et de taille, s’est ajoutée avec la mise en place d’un plafond à un million d’euros de subvention maximum tous les 10 ans, justifié par le nouveau contexte budgétaire. Exit donc les demandes à 2,56 millions d’euros comme pour Eyyub Sultan. Jeanne Barseghian précise qu’il est clairement indiqué que le pourcentage de 10% est un « maximum », mais qui n’est « pas automatique » et en aucun cas « un droit à être financé ».

La préfecture impliquée dans le processus

Sur le plan politique, la délibération invoque la récente loi dite contre le séparatisme, promue par Gérald Darmanin, encore lui. Ainsi, la Ville saisira désormais la préfecture du Bas-Rhin qui sera chargée de vérifier la provenance des fonds d’un projet de construction et de déterminer si l’association demandeuse représente une « menace ». « Si l’État fait alerte, le processus est stoppé », appuie Jean Werlen. Un cas de figure qui aurait empêché les critiques sur le dossier Eyyub Sultan.

Jeanne Barseghian complète :

« (Pour le reste de la France, NDLR) la loi fixe déjà certaines situations, lorsque des baux emphytéotiques ou des garanties d’emprunt sont accordés pour des lieux de culte. Nous proposons donc d’aller plus loin, avec une délibération qui permet d’organiser et de systématiser les saisines de l’État pour ce qui relève de sa responsabilité. »

Avec le soutien des communistes…

Membre de la majorité, le groupe des élus communistes compte voter la délibération. Ses élus disent avoir pu faire remonter leurs idées pour l’élaboration du texte. En mars 2021, ils avaient voté contre le financement de la mosquée Eyyub Sultan. Le vice-président, Joris Castiglione, rappelle que son parti n’est pas favorable « sur le principe » au financement des cultes, préférant défendre la laïcité.

Pour autant, « dans le contexte du Concordat qui impose ces financements », la délibération « fixe un cadre, garantit le principe d’égalité et permet d’ouvrir le débat, ce qui n’a pas été le cas jusqu’ici ». En revanche, à l’avenir, « il est hors de question de financer des intégristes ou un mouvement d’extrême-droite comme Milli Görüs ». Si une telle délibération devait revenir, les Communistes comptent s’y opposer à nouveau.

… et les interrogations de l’opposition

Une bienveillance que ne partage pas complètement l’opposition. Cette dernière regrette de ne pas avoir été associée au travail de rédaction du texte. Jeanne Barseghian et Jean Werlen ont certes consulté des représentants strasbourgeois des cultes, comme ils s’y étaient engagés, mais pas les forces d’opposition politique. Le signe peut-être que sur ce sujet sensible, la majorité n’a pas totalement confiance dans ses concurrents.

À défaut d’avoir une délibération transpartisane, le débat devrait porter sur un aspect de forme important, à savoir : jusqu’à quand un projet neuf peut bénéficier d’un soutien public. Président du groupe « Renaissance » (ex-LREM) et ses alliés, Alain Fontanel voit une modification des règles antérieures :

« C’est l’abandon de la clause du coup parti, qui jusque-là empêchait de financer un projet en cours de route. Pour Eyyub Sultan, il y avait un engagement clair de la municipalité précédente, à savoir une mise en conformité du plan d’urbanisme, mais pas de subvention après coup. Le contribuable n’est pas là pour combler les trous d’un projet trop ambitieux et surdimensionné. »

Pour l’ancien premier adjoint, il serait dommage que « ce non-dit » efface par ailleurs « un travail dense et de qualité ». D’ici la séance du 26 septembre, il compte déposer un amendement pour s’assurer qu’il ne soit pas possible de financer un projet amorcé.

Débat à venir sur l’interprétation des anciennes règles

Mais voilà, la municipalité conteste cette interprétation. « Cette règle n’a jamais existé », estime Jeanne Barseghian, prenant l’exemple de la Grande mosquée au Heyritz : une pose de la première pierre en 2004 et un versement des fonds en 2006. « C’est la preuve que les règles étaient insuffisamment claires et créaient de la confusion », ajoute t-elle. Dans ce débat qui devrait convoquer l’histoire politique contemporaine strasbourgeoise, les oppositions pourront rétorquer que des négociations et engagements de principe autour de ces 10% pour la Grande mosquée avaient alors été pris dès le tout début des années 2000, soit bien avant le lancement du chantier.

Trouver le bon ton et positionnement est aussi un exercice périlleux pour les oppositions. La rédaction du nouveau texte a fait l’objet d’un travail de plus d’un an avec une douzaine de représentants des cultes et des associations laïques. Aller contre ce travail, approuvé par les cultes strasbourgeois, pourrait envoyer un message défavorable à leurs communautés de fidèles.

Qui doit contrôler les associations subventionnées ?

Pierre Jakubowicz (Horizons) salue d’ailleurs une délibération « qui va dans le bon sens » :

« C’est à se demander pourquoi il a fallu passer par tant de pertes et de fracas alors qu’elle correspond à ce que nous demandions avant le vote pour la mosquée, à savoir un dialogue interreligieux. Il est regrettable qu’il ait fallu passer par la délibération de mars 2021 (pour la subvention en faveur de la mosquée Eyyub Sultan, NDLR), qui a fait du mal à notre ville. »

Néanmoins, le conseiller municipal s’interroge. En effet avec la loi sur le séparatisme, n’importe quelle association française doit désormais signer un « contrat d’engagement républicain » qui énonce quelques banalités (respect des règles de la République, reconnaissance du caractère laïc de la France, etc.). « Comment la Ville s’assure que l’engagement du contrat républicain est vraiment respecté par un signataire ? », questionne-t-il. Une interrogation que partage… Jeanne Barseghian :

« La loi rappelle des choses qui relèvent de l’évidence, mais il y a des angles morts car elle repose sur le déclaratif. Comment l’État s’assure de la provenance des financements et contrôle le respect des engagements républicains ? La loi ne le dit pas. »

Depuis ce que la municipalité appelle « la polémique » de mars 2021, les dons ont afflué pour la mosquée Eyyub Sultan dont le chantier a avancé avec la construction de la grande coupole et de minarets. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

L’opposant demandera pour sa part un retrait de la délibération de 2021 par un vote symbolique. « L’impression générale est que la subvention de 2021 est annulée, mais seule l’association a retiré sa demande, tandis que la délibération reste toujours valable en droit », redoute-t-il. De ce retrait, et de l’amendement d’Alain Fontanel sur les projets déjà amorcés, devrait donc dépendre le vote du premier groupe d’opposition. Dix-huit mois plus tôt, les Marcheurs n’avaient pas participé au vote concernant la mosquée (ce qui revient à une abstention).

Le groupe « Les Républicains », avait pour sa part voté contre le projet de financement d’Eyyub Sultan en mars 2021. Comme la préfète du Bas-Rhin Josiane Chevalier, Jean-Philippe Vetter et ses troupes avaient même déposé un recours devant le tribunal administratif, fait rarissime. Une requête qui n’a pas encore de date d’audience. Sollicité, l’opposant et ancien candidat n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet, disant réserver sa première intervention pour la séance du conseil municipal. Idem pour Catherine Trautmann, l’ancienne maire et cheffe de file des Socialistes, dont l’entourage indique qu’elle mène « des consultations » avec les représentants des cultes. Mais le débat sur les réseaux sociaux et par voie de presse interposée pourrait débuter avant le 26 septembre.


#mosquée Eyyub Sultan

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Partager
Plus d'options