Comment vous est venue l’idée de passer plus de deux ans à filmer une décharge à ciel ouvert ?
Martin Esposito : « Mon idée, après avoir vu le film d’Al Gore sur le réchauffement climatique, « Une vérité qui dérange » (2006), c’était de faire le tour du monde des décharges à ciel ouvert. Je suis allé à Hawaï, au Kosovo ou à Naples, mais je suis très rapidement redescendu sur terre. La réalité s’est imposée : il n’y avait qu’un seul endroit où je pouvais tenir sur la longueur et montrer que quelque chose ne fonctionne pas avec nos déchets, chez nous, en France, c’était à côté de chez mes grands-parents, là où je suis né et j’ai grandi, sur la Côte d’Azur, à Villeneuve-Loubet.
Ma seconde prise de conscience a été sur la durée du tournage. Je pensais rester 10 jours dans la décharge, puis faire quelques interviews à l’extérieur. J’y suis finalement resté deux ans et demi, jusqu’à sa fermeture le 17 juillet 2009. J’ai été victime du syndrome de Stockholm, je me suis attaché à l’endroit. Le challenge énorme a ensuite été de faire le tri parmi les 300 heures de rush que j’avais. Ce travail m’a pris à nouveau plus de deux ans de post-production. Il en reste 1h15 de film, le citron a été pressé jusqu’au bout. Ce qu’il y a dans le film est le plus fort de ce que j’ai découvert dans cet endroit. »
Les moments forts du film ? Ce qui vous a le plus marqué ?
ME : « Ce qui m’a le plus choqué, je n’ai pas été capable de l’analyser avant un mois de tournage. C’était le fait de voir se déverser là aussi bien des hydrocarbures que les tapis du festival de Cannes, juste 5 mètres plus loin. La décharge, c’est un choc, parce qu’on y découvre la face cachée de notre société, des photos de famille, des cercueils en fin de concessions, où l’on trouve des vêtements, des cheveux, des ossements, des montagnes de gâchis alimentaire, de la viande juste sortie des chambres froides, des bêtes qu’on élève et qu’on tue pour qu’elles se retrouvent au milieu des immondices, des résidus de fosses septiques, des déchets hospitaliers. J’ai vu aussi arriver à la décharge des camions de papier-carton ou de verre, triés par les particuliers et balancés là. Tout cela, c’est le symbole de notre société décadente… »
Avec ce film, quel message espérez-vous faire passer ?
ME : « Je fais une promo très active du film, qui sort en salles le 9 octobre. Cette semaine, j’étais à Blois, à Orléans, et enfin à Strasbourg. L’espoir, c’est que le film relance le débat sur la question des déchets et que les politiques reprennent le flambeau, que les journalistes en parlent… Il faut que les gens prennent conscience qu’on leur impose un type de consommation [ndlr, le tout-jetable] dont les acteurs du retraitement ne maîtrisent pas les retombées. Ils sont incapables de suivre l’arrivée massive des déchets. On est à l’âge de pierre du recyclage, avec seulement 5% des produits valorisés. Le reste est jeté à la décharge ou incinéré ! La « revalorisation », c’est un slogan commercial, il faut rapidement que les choses changent, sinon, on va droit dans le mur. »
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