Camille et Aurélia Marceau, les deux filles du mime Marcel Marceau, ont hérité d’un nom mondialement connu mais aussi d’un lourd fardeau judiciaire. Né à Strasbourg en 1923, celui qui a popularisé l’art du mime des États-Unis au Japon s’est éteint alors qu’il était criblé de dettes, en septembre 2007.
Son patrimoine artistique et ses biens ont été vendus aux enchères en 2008 et 2009. Une partie a été préemptée par l’État, d’autres biens ont été acquis par l’association « un musée pour le mime, » et constituent l’essentiel du fonds exposé à l’Aubette à Strasbourg jusqu’au 26 mars.
Les biens de Marcel Marceau vendus aux enchères
Le long combat des héritiers
Pour Camille et Aurélia Marceau, cette vente aux enchères a constitué le point d’orgue d’une guerre infinie entre les héritiers directs de l’artiste, ses créanciers et une partie de son entourage. À la fin de sa vie, Marcel Marceau était sous administration judiciaire, il aura fallu des années aux deux soeurs pour que la justice finisse par leur reconnaître la propriété intellectuelle de l’héritage du mime.
C’est donc peu dire qu’elles ont mal vécu d’apprendre, en décembre 2016, qu’une exposition sur Marcel Marceau devait avoir lieu à Strasbourg sans qu’elles aient été consultées. Aujourd’hui installée à Toulouse, Camille Marceau, artiste plasticienne, se souvient :
« On a soulevé des montagnes pour sauver ce qui peut l’être parmi ce qu’a laissé mon père, parfois au péril de nous-mêmes. Les tribunaux, les avocats, ça n’en finissait pas et nous ne sommes pas les héritiers Picasso ! On se bat sans moyens. Alors quand on a appris, assez fortuitement d’ailleurs, qu’une exposition devait se tenir dans la ville qui l’a vu naître, nous avons été surprises. Et lorsqu’on a demandé à être associées à la création, ça c’est très mal passé. »
Pas de partage de la création de l’exposition
Commissaire de l’exposition, Valérie Bochenek n’a pas souhaité partager la direction artistique, ni inclure les deux soeurs dans l’équipe organisatrice. Toutes les trois se connaissent, Valérie Bochenek a travaillé avec Marcel Marceau sur ses deux derniers spectacles mais elles étaient en froid à la suite d’un conflit de droits d’auteurs. Quoi qu’il en soit, les vieilles querelles n’ont pas pu être dépassées, ce que regrette Camille Marceau :
« Nos grands-parents étaient des réfugiés russes et polonais. Notre père est parti de rien, il est resté un saltimbanque, il a dédié sa vie à son art. Nous souhaitons que les valeurs que portaient notre père soient partagées par ceux qui invoquent son nom. Quand je vois qu’un “Marceau Day” a été créé alors qu’il choyait la discrétion, qu’une flash mob est organisée en son nom, nous sommes effarées. On a aussi appris que la Ville devait poser une plaque en son honneur, dans la rue où il a vécu son enfance et nous n’étions même pas invitées ! C’est une véritable appropriation de sa mémoire, c’est très violent. Pour autant, on n’a pas voulu faire interdire l’exposition mais on a demandé à la Ville de nous associer à l’hommage qu’elle souhaite lui rendre. »
Une plaque dans sa rue d’enfance… attendra un peu
Une plaque devait effectivement être apposée petite rue des Magasins, près de la gare, mercredi. La Ville a préféré surseoir à l’opération, en attendant de trouver une date et un hommage qui conviennent à tout le monde. En revanche, la Ville n’a pas retiré son soutien à l’exposition en cours, un tiers des 300 000€ qu’elle a coûté, comme l’explique Alain Fontanel, adjoint au maire de Strasbourg en charge de la culture :
« C’est une exposition de qualité, avec une scénographie bien pensée, inventive. Elle nous a été présentée dès le départ comme une exposition sur le mime, et non sur Marcel Marceau car les organisateurs n’avaient pas les droits. L’objectif est que cette exposition puisse circuler maintenant dans d’autres villes, et contribue à faire connaître le mime, Marcel Marceau et Strasbourg comme sa ville natale. »
Marcel Marceau soigneusement excentré de l’exposition
La commissaire de l’exposition, Valérie Bochenek, réfute toute « appropriation » de Marcel Marceau :
« Nous sommes une association, nous avons pu rassembler une partie de ses affaires après la vente aux enchères mais l’exposition n’est pas sur Marcel Marceau. Elle est consacrée à l’art du mime, c’est pour ça qu’elle s’appelle « Le pouvoir du geste ». Toutes ces histoires ne sont pas très intéressantes. Ce qui est important, c’est que l’exposition circule, qu’on parle du mime et de Marcel Marceau et que les jeunes générations découvrent quel artiste il a été. »
Et effectivement, alors que toute la presse parle d’une exposition sur Marcel Marceau à Strasbourg, les présentations officielles de l’exposition se concentrent plutôt sur l’art du mime, évoquant seulement un « hommage à Marcel Marceau ». Même le nom de l’association a changé, auparavant appelée « un musée pour Bip », le personnage de Marcel Marceau, elle s’appelle désormais « un musée pour le mime. »
Pour autant, selon Camille Marceau, Strasbourg ne doit pas manquer son rendez-vous mémoriel avec Marcel Marceau :
« Quand il a dû quitter Strasbourg après la guerre pour être évacué à Limoges, il en a été profondément marqué. On a retrouvé des écrits de lui où il parle de Strasbourg, quasiment des poèmes d’amour à la cathédrale qu’il chérissait. Il a profondément aimé cette ville. Marcel Marceau était un homme avec peu d’attaches mais très fortes et Strasbourg était l’une d’elles. »
La famille Marceau n’en a pas encore fini avec les tribunaux. Les deux soeurs sont parties-civiles dans le procès contre des agents de l’Hôtel Drouot, après qu’une partie des invendus des ventes aux enchères des affaires de Marcel Marceau ait mystérieusement disparue. Après des condamnations pour association de malfaiteurs et vols en bande organisée en avril 2016, une audience en appel doit être programmée dans l’année.
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