Sous une même tente, vit une famille tchétchène de dix personnes avec huit enfants entre 4 et 17 ans, juste devant le centre administratif de la Ville de Strasbourg. Autour, les tentes se multiplient et le campement de l’Étoile s’agrandit de jour en jour, jusqu’à l’arrêt Étoile Polygone. Les occupants n’ont jamais été aussi nombreux depuis l’arrivée des premières personnes en mai. Mercredi 17 août, au moins 80 personnes y vivent, dont 40 enfants.
Floriane Varieras, adjointe à la maire de Strasbourg en charge des solidarités, constate également cette recrudescence de sans-abris :
« Le 12 août, nous avons recensé la présence 86 personnes sur la place de l’Étoile. Ce n’est pas étonnant, suite aux annonces de l’État de suppression de nuitées hôtelières. Les services de la Ville passent souvent sur le campement, on va voir au fur et à mesure ce qu’il est possible de faire. »
Une quinzaine de personnes de retour de Bouxwiller
Évacué le mardi 12 juillet juste avant le feu d’artifice pour la fête nationale, le camp a repris forme depuis le mercredi 20 juillet. À cette date, c’était onze Macédoniens qui étaient de retour après avoir été hébergés dans le « centre d’aide pour le retour » à Bouxwiller. Aujourd’hui, ils sont entre 15 et 20 du campement initial à être revenus au même endroit. Une mère de famille, originaire de Macédoine, raconte :
« J’appelle encore le 115 deux fois par jour, soit il n’y a pas de réponse, soit ils nous répondent qu’il n’y a plus de places. En attendant, on reste là. »
Des nouveaux arrivants, en fin de procédure administrative
De nouvelles familles, souvent déboutées de leur demande d’asile, les ont rejoint. C’est le cas de cette famille de dix Tchétchènes, qui s’est installée le 26 juillet au milieu des autres tentes. Après quatre ans dans un hébergement Adoma à Haguenau, ils ont reçu une notification de fin d’hébergement début juillet.
L’aînée de 17 ans, Raiana, qui maîtrise le français, raconte :
« On a reçu la lettre de refus de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), on nous a expliqué qu’on ne pouvait plus nous prendre en charge au sein de l’Adoma, sans nous proposer d’autre solution. On a nulle part où aller, et on nous a dit que des tentes étaient installées ici, alors on est venu. On vit à dix sous la même tente. Le jour, il fait très chaud, ça brûle vraiment la tête et la nuit il fait très froid. En plus, on s’est tous fait piquer par des moustiques, des guêpes. Il y a même des rats qui sont entrés dans notre tente. »
Le camp compte également de nombreuses personnes malades, plus ou moins gravement. Tumeurs, blessures, asthme… les pathologies sont multiples. Un Géorgien en chaise roulante dort place de l’Étoile.
Les toilettes publiques de la gare routière ferment à 20 heures, et n’ouvrent qu’à partir de 10 heures le matin. La nuit, il ne reste qu’une cabine de toilettes automatique. Mais « c’est vraiment dégueulasse », constate Raiana. Plusieurs associations ont mené une campagne pour qu’un accès à l’eau courante soit accordé aux habitants, D’ailleurs nous sommes d’ici a placardé des affiches autour du campement : « Strasbourg, capitale de la honte. » Début août, la Ville de Strasbourg a installé des robinets accessibles près du campement.
L’enjeu de la rentrée scolaire
Pour tous les enfants, la principale préoccupation, c’est la rentrée scolaire le 1er septembre. En France, peu importe leur situation administrative, les enfants en dessous de 16 ans doivent être scolarisés sans exception.
Une famille albanaise avec deux enfants raconte avoir été un temps installée près de la gare. Ersa, une jeune albanaise de 14 ans, qui maîtrise le français, témoigne :
« Je ne me sentais pas en sécurité là-bas, surtout le soir. Je me sens plus rassurée ici, entourée de personnes dans la même situation que nous. Ce que j’espère surtout, c’est pouvoir me rendre à l’école en septembre. »
Sabine Carriou, fondatrice de l’association les Petites Roues, qui vient en aide aux personnes sans-abri, souligne :
« La scolarisation des enfants se passe plutôt bien. À Strasbourg cette année, avec le collectif “Pas d’enfants à la rue”, on a réussi à négocier avec la Ville la gratuité de la cantine pour les enfants concernés. »
Sous les tentes, il semble compliqué d’avoir un espace pour travailler ou faire ses devoirs. Membre de la famille de dix Tchétchènes, Raiana, 17 ans, reste scolarisée à Haguenau :
« Je ferai les aller-retours, je préfère rester près de ma famille. Je rentre en Première STL (sciences en technologies de laboratoire). C’est très fatiguant de dormir dehors. Je suis très stressée pour la rentrée, je ne sais pas comment je vais faire pour charger mon portable ou mon ordi, et je n’ai pas de wifi pour faire mes devoirs si on reste sous cette tente. »
L’impasse institutionnelle pour les personnes déboutées
Une fois déboutées de leurs demandes d’asile, les familles doivent théoriquement retourner dans leur pays d’origine, ce qu’elles refusent évidemment, quand bien même en auraient-elles les moyens. À ce moment, l’offre d’hébergement de l’État s’arrête comme l’explique Sabine Carriou :
« Pour les personnes déboutées de leur demande d’asile, il n’y a plus aucune réponse institutionnelle. Ça fait déjà pas mal de temps, à peu près six mois que le 115 ne donne plus de place, à moins qu’il y ait une pathologie grave. Les associations sont inquiètes, encore plus de familles risquent de se retrouver à la rue. »
La place de l’Étoile, face visible d’un problème grandissant
Ce problème d’hébergement dépasse largement la place de l’Étoile. Noureddine Alouane, responsable du collectif citoyen « Agissons 67 » alerte :
« Il y a une explosion de personnes qui se retrouvent à la rue. Des tentes fleurissent dans plusieurs endroits de la ville, au Heyritz, à la Meinau, à la gare… L’hiver nous inquiète beaucoup. Il y aura plus de monde à loger que l’année dernière à la même période. La fin de l’état d’urgence sanitaire a mis fin à la mise à l’abri d’un grand nombre de familles. »
Tout au long de l’année, le contexte international a aggravé la situation. Noureddine Alouane poursuit :
« 113 afghans et 2 000 ukrainiens ont été accueillis par la préfecture Bas-Rhin et la Ville de Strasbourg. Tous les mois, entre 20 et 50 nouvelles personnes se retrouvent à la rue, qu’ils soient victimes d’expulsions ou demandeurs d’asile. »
L’hébergement inconditionnel des personnes sans domicile est une obligation de l’État.
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