À Ribeauvillé, petite ville sur la route des Vins d’Alsace, on adore faire la fête. Après près de deux ans d’interruption, la fête nationale, célébrée ici le 13 juillet, est l’occasion de renouer avec l’art du spectacle, de la camaraderie et de bien-vivre de la ville.
« La Fête nationale prend tout son sens ici »
Dans un petit cabanon à la peinture blanche écaillée dédié à la vente de vin, Louis finit d’empiler des bouteilles dans un frigo. Le t-shirt rouge qu’il porte est celui du club de foot de la ville, l’AS Ribeauvillé. À 44 ans, il y joue en tant que vétéran. Il est venu filer un coup de main ce soir pour permettre au club de récolter des fonds :
« Ça me tient à cœur de m’investir pour mon club et pour mon village. J’ai déménagé à Ribeauvillé pour des raisons professionnelles, il y a quelques années et depuis, j’adore cet endroit. La Fête nationale prend tout son sens ici, car on célèbre le village, l’entraide et notre savoir-faire. »
Il ponctue ses paroles en montrant une bouteille de vin blanc d’Alsace avec un regard convenu à son collègue, qui vient tout juste de finir de servir un verre à un premier client. Crâne rasé et également vêtu de rouge, Alessandro a « toujours habité à Ribeau » et ne compte plus le nombre d’années depuis lequel il s’occupe du stand de vin.
Médailles pour un programme « républicain » en entrée
Alors que les fours à tartes flambées commencent à être mis en route, d’anciens membres du conseil municipal sont décorés à la mairie de la médaille d’honneur de Ribeauvillé. Puis, l’Harmonie Vogesia accueille l’arrivée d’une trentaine de pompiers et de leurs camions. En uniforme, ils s’alignent face à l’hôtel de police, au garde-à-vous, pour eux aussi recevoir une volée de médailles. Pour l’ambiance « République », on est servi !
Nathalie, 52 ans, est venue féliciter son fils de 22 ans, Geoffroy. Deux de ses trois enfants sont pompiers, ce qui fait sa fierté raconte-t-elle :
« À Ribeauvillé, il y a une grande richesse associative, les gens s’engagent beaucoup et se rencontrent par ce biais. Ce soir, c’est l’occasion de leur montrer notre reconnaissance et notre fierté… et bien sûr, on va en profiter pour faire la fête. Ça aussi, on sait bien le faire ici ! »
Après le passage du dernier pompier, les notes de l’Harmonie Vogésia s’élèvent à nouveau. Flûtes traversières, clarinette, trombone, trompettes… Une quinzaine de musiciens battent ensemble la mesure. Parmi eux, Laure, 26 ans, et Nathan, 21 ans. Ils se sont rencontrés dans l’orchestre et sont tous deux très heureux de pouvoir participer à la fête. « C’est super important pour nous d’être là ce soir, il y a une énergie particulière ».
Il faut savoir que Ribeauvillé a toujours été une ville de musique. Jusqu’à la révolution de 1789, elle a été le foyer de la confrérie des ménestrels d’Alsace. Par la suite, « la Musique de la Garde nationale de Ribeauvillé » a été fondée en septembre 1830, avant de changer de nom pour devenir l’Harmonie municipale Vogesia. Comme beaucoup de ses musiciens, Laure est passée par l’école de musique, l’Ensemble des jeunes, puis a intégré l’Harmonie. « Ça vaut vraiment le coup de venir faire la Fête nationale chez nous. Il y a de la bonne musique, une marche au flambeau, un grand feu d’artifice… C’est l’ambiance fête de village, mais en grand ! », résume Laure en brandissant sa clarinette.
La magie d’une marche aux flambeaux sous un coucher de soleil
À 21h, les participants s’agitent avant le début de la marche aux flambeaux. Les grands s’emparent de torches ressemblant à de longues épées noires, les petits ont droit à des lampions bleu-blanc-rouge. Pompiers en tête, la foule marche en direction de la ville haute. Face aux marcheurs, le château Saint-Ulrich se détache à l’horizon dans un ciel aux nuages teintés d’or et oranges par le soleil couchant.
Brandissant son flambeau, Julie chemine aux côtés de Noé. Ils ont tous les deux la vingtaine et se sont rencontrés pendant leurs études d’ingénieur, à Metz. Originaire de Ribeauvillé, la jeune fille a insisté pour que son ami vienne assister à l’événement. « Au début, je traînais un peu des pieds pour venir » avoue Noé, « mais en fait, la ville est magnifique et ça rajoute de la magie de la traverser avec des flambeaux. C’est vraiment très sympa, et on n’a même pas encore vu les feux d’artifice ! »
Si Julie a tenu à ramener Noé ce soir, c’est parce que, pour elle, il n’y a pas de meilleur endroit pour célébrer la Fête nationale :
« Je participe d’aussi loin que je me souvienne. D’abord c’était en famille, avec mes parents, puis entre amis. On voit aussi beaucoup de personnes âgées…Il y en a vraiment pour tout le monde. »
Une opinion partagée par Sébastien, 40 ans, et Sophie, 42 ans, venus de Saint-Étienne avec leurs deux jeunes enfants. Cela fait dix ans qu’ils font la route pour venir passer une semaine de vacances à Ribeauvillé, au moment du 14 juillet et profiter de la beauté de la région. « Moi, ce que j’attends, c’est le feu d’artifice », prévient Louane, leur fille de 11 ans, pendant que son frère Arthur joue avec son lampion. Mais avant que les premières explosions retentissent dans le ciel, place au bal.
Une fête de village XXL
L’Harmonie exécute un dernier morceau avant de laisser la place au DJ, qui attaque avec Le madison, Cette soirée-là, Africa, À cause des garçons… – toutes les générations se pressent sur la piste. À quelques mètres de là, celles et ceux qui font la queue devant les deux fours à tartes flambées se déhanchent déjà en regardant la scène avec envie. D’autres passent de table en table, en apercevant une connaissance qu’il n’avait pas croisée depuis longtemps.
Une demi-heure avant les feux d’artifices, prévus à 23h30, la place ne désemplit plus. Certains se sont même réfugiés dans les ruelles pour trouver un peu de calme et parfois un peu d’intimité. La buvette est prise d’assaut. « On ne s’attendait pas à autant de monde », murmure un serveur. « Pour les bouteilles d’eau, on attend le ravitaillement, pour les bières, on doit rincer des verres, patientez un peu. » Les habitués se sont reportés dans le bar Saint-Ulrich, de l’autre côté de la place. Là aussi, il y a la queue, mais au moins, ils servent des pintes.
Quand la première fusée éclaire le ciel, le brouhaha diminue. Au milieu d’une foule composée de près de 2 000 personnes, une petite fille interroge son père : « C’est déjà la nouvelle année papa ? » Amusé, celui-ci lui répond « Non, c’est la Fête nationale, la fête du pays ». Après une hésitation, la petite n’a pas l’air convaincue : « Je comprends pas à quoi ça sert de faire des feux d’artifice si c’est pas la nouvelle année… »
Or, bleu, rouge, les feux montent de plus en plus haut… avant de s’interrompre sans vraiment de final, après une poignée de minutes. La foule reste un peu silencieuse avant que ne s’exclament des voix : « C’est déjà fini ? », « Je comprends pas pourquoi ils ne les ont pas fait faire partir du même endroit que l’année dernière, on voyait mieux… », « t’as vu un final, toi ? », puis « tu vois pas de la fumée monter de là-bas ? » Les participants n’étaient, en effet, pas au bout de leurs surprises….
Après les médailles, les pompiers à l’assaut des feux sans artifice
Une fumée est en train de monter depuis les hauteurs d’où sont partis les feux d’artifice, au milieu des vignes. Deux pompiers ont rejoints les spectateurs sur un promontoire pour suivre de loin l’évolution des opérations. Benjamin, son téléphone à la main, fait le lien entre ses collègues en train d’éteindre les différents foyers et les organisateurs :
« Ils veulent savoir si le spectacle a des chances de reprendre. Les collègues éteignent tout dans un premier temps. S’ils estiment que la situation est sous contrôle, on pourra relancer. Le feu est parti à cause des retombées des feux d’artifice. Avec les fortes chaleurs qu’on a en ce moment, tout est très sec et peut s’enflammer en un rien de temps. »
Benjamin avoue qu’un mauvais pressentiment ne le quittait pas depuis le matin, quand les artificiers sont arrivés en retard. Conscient du risque d’incendie, le lieu de lancement a été changé pour permettre aux pompiers d’intervenir rapidement…
Après une petite demi-heure d’interruption, le spectacle peut reprendre. Certains spectateurs haussent quand même un sourcil : « ça ne va pas relancer des incendies ? » Pour toute réponse, de nouvelles détonations retentissent, suivies du crépitement spécifique des feux d’artifice.
Place aux jeunes
Après six minutes de flashs lumineux, un magnifique final et quelques reprises de foyers, le silence se fait sur Ribeauvillé. Pour les familles et les plus âgés, il est temps de remballer mais les jeunes sont bien décidés à profiter encore de la soirée. Zoé, 16 ans, passe la soirée avec ses amis du lycée, délaissant pour une fois sa famille :
« Le 13 juillet de Ribeau, c’est vraiment génial. Il y a de la musique, les potes, les feux, de l’alcool… On retrouve nos potes et on fait des rencontres… On peut dire que c’est un bon endroit pour draguer ! Là, on va continuer la soirée, en espérant que les parents ne soient pas trop sur notre dos. »
L’occasion aussi de revoir les anciens amis qui ont déménagé. Baptiste a 18 ans, il fait aujourd’hui ses études à Anger, mais est revenu en Alsace passer ses vacances. Pour rien au monde, il manquerait la fête, explique-t-il :
« Mon vrai chez moi, c’est ici. Les gens sont très proches et très accessibles. On s’en fout de qui vient d’où. On va juste se poser et discuter ensemble et c’est très agréable. »
De retour sur la place, les tables se sont en partie vidées et la moyenne d’âge a affectivement chuté. Pendant que certains participants s’éloignent, titubant, dans les ruelles, la piste de danse est prise d’assaut par les plus jeunes. De son côté, le bar du Saint-Ulrich ne désemplit pas. Adossé à la barrière de la terrasse, un homme aux cheveux blancs couve la scène du regard :
« Ça fait plaisir de voir que les jeunes prennent la relève. Après ces deux années, ils méritent bien de s’amuser ! On remet ça à la Fête du vin, et surtout, au Pfif ! »
Pendant toute la soirée, les Ribeauvillois n’ont cessé de faire référence au Pfifferdaj, la célèbre Fête des ménétriers qui a lieu le premier week-end de septembre. Du vin, des chars, des saltimbanques et un nouveau bal. Encore mieux que ce soir, disent-ils. Le rendez-vous est pris.
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