Pour le nouveau directeur de Musica, Stéphane Roth, cette édition s’inscrit dans une continuité de l’histoire du festival, tout en le modernisant. En témoigne ce désir de faire découvrir au public alsacien des œuvres peu connues, comme celles de la compositrice Julia Wolfe. Depuis la fin des années 80, celle-ci explore et réinvente les musiques populaires. Musica présentera pour la première fois en France riSE and fLY, son concerto pour percussions composée de percussions urbaines new-yorkaises, body clapping et instruments pauvres.
Une des thématiques fortes du festival est la musique anglo-américaine du XXe siècle, peu connue en France. L’Orchestre National de Metz jouera Robert Browning Overture, une œuvre de Charles Ives. Écrite entre 1912 et 1914 cette composition ne fut encore jamais jouée en France, c’est dire s’il nous manque tout un pan de la culture musicale anglo-américaine. Musica se propose de raccrocher les wagons, avec des propositions de concerts inédits.
Décloisonner les arts, et écouter la musique avec les os
Cette mission de découverte que se donne Musica ne se limite pas à la mise en lumière de pièces musicales tombées dans l’oubli. C’est aussi la présentation de créations atypiques et des résultats d’expérimentations diverses. Le maître-mot de la création contemporaine présentée au festival semble être la pluridisciplinarité : la musique ce n’est pas qu’un musicien et son instrument. Il faut ajouter un travail plastique, des recherches de sons inédits, des dispositifs scéniques…
On retrouve dans le programme des créations aussi improbables que l’adaptation musicale de 4.48 Psychosis de Sarah Kane, une pièce de théâtre culte pour sa violence, par l’Orchestre Philarmonique de Strasbourg (OPS). Un autre spectacle notable, Les Automates de Descartes, cherche à questionner la place des automates dans notre société et leur rapport à l’humanité. La musique permet d’explorer des questionnements technologiques et philosophiques.
De la noise au programme
Le Sonic Temple vol. 1 célébrera la noise, une musique jouant sur des masses sonores des champs fréquentiels et une écoute vibratoire. La musique se capte avec tout le corps. Plusieurs des concerts programmés visent à prouver que la musique ne touche pas que la dimension sonore. Art physique, pratique, visuel, vibratoire, elle engage tout l’organisme. La fatigue ressentie à la fin d’un concert témoigne du fait que notre corps est engagé, actif dans l’écoute. Une écoute corporelle, solidienne, osseuse, une autre manière d’écouter la musique donc. Musica s’apparente à un temple sonore où les spectateurs se livrent à de multiples découvertes.
De nombreux événements programmés mélangent les arts. Qu’il s’agisse d’inspirations littéraires, de dispositifs utilisant la vidéo ou la lumière, de marionnette, de danse, les œuvres de Musica ont ceci en commun qu’elles ne se restreignent en termes de disciplines. Ce foisonnement rend la programmation très hétéroclite et dans le même temps très intriguante. L’expérimentation est omniprésente, notamment car le festival présente beaucoup de créations. Le public strasbourgeois découvrira en exclusivité les résultats de ces recherches artistiques.
Les spectateurs conviés à s’engager dans le festival
Pour le président de Musica Laurent Bayle et le directeur Stéphane Roth, le spectateur est indispensable à la musique. C’est bien parce qu’il y a une écoute que la musique existe. Et cette écoute se doit d’être pensée et comprise. C’est pour cela que Musica inaugure son « Académie des spectateurs », qui débutera avec un laboratoire de l’écoute. Ces séances individuelles d’écoute prendront une forme à mi-chemin entre le test clinique et l’installation artistique. Pour y participer les spectateurs volontaires devront s’inscrire. Les données récoltées seront utilisées ultérieurement, pour enrichir le festival.
L’ambition de Stéphane Roth est de pouvoir donner, à terme, le pouvoir aux spectateurs sur la programmation. Il manifeste le désir de casser une tradition de programmation personnifiée dans la personne du directeur. Il veut mobiliser les publics pour les rendre actifs au sein du festival. Cela rejoint l’idée que l’écoute de la musique ne peut être passive. Un premier essai a été fait avec une série de concert programmés par des étudiants. Grâce au Service Universitaire de l’Action Culturelle (SUAC), 12 étudiants de toutes disciplines ainsi que des étudiants de la Haute École des Arts du Rhin (HEAR) ont réfléchi à la façon de programmer de la musique à l’Université. Ils ont ainsi pu proposer trois concerts sur le campus de l’Esplanade et dans les jardins du Palais Universitaire.
Des ateliers d’éveil musical à destination des plus jeunes sont également prévus, pour sensibiliser les spectateurs dès l’enfance. Des ateliers tous publics permettrons aux volontaires d’expérimenter la pratique de la voix et du rythme corporel. Un deuxième laboratoire de l’écoute s’adressera plus spécifiquement aux publics atteints de surdité ou de malentendance, sans leur être exclusif. L’idée est là aussi de montrer en quoi la musique a un effet sur le corps au-delà de la dimension sonore.
Cette édition 2019 s’annonce comme un tournant dans l’histoire de Musica, avec de nombreuses innovations. Confronté à la question du renouvellement d’un public vieillissant et à un budget de plus en plus restreint par l’inflation, le festival évolue pour poursuivre ses objectifs : décloisonner les arts, affirmer la musique comme art total et permettre une accessibilité maximale aux concerts.
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