Le rendez-vous était fixé en mai, comme à l’accoutumé. C’est finalement sur deux week-ends, les 23-24 octobre et 13-14 novembre que le festival devait se tenir, avant qu’une nouvelle fois, les mesures sanitaires ne bousculent la programmation. Le couvre-feu annoncé à la veille de l’allumage aura donné quelques sueurs froides à Arthur Poutignat, directeur artistique et co-organisateur de l’évènement. Initialement prévue en soirée, c’est finalement au cœur de l’après-midi que le public a découvert, à la Fabrique de Théâtre dans le quartier Laiterie, dans ce lieu foisonnant de créativité, une prometteuse édition intitulée « Déclonisation. »
À cheval entre art contemporain et spectacle vivant
Nombreux sont ceux, qui, à tort, pensent la performance comme un art élitiste. Loin s’en faut puisqu’au contraire, elle est le point de rencontre de pratiques artistiques en tous genres : les arts visuels, le théâtre, les nouvelles technologies et même le bricolage. À l’ouverture du festival vendredi dernier, William Nurdin présentait par exemple RiR1009, une performance sonore. Ce musicien insolite et déjanté fabrique des instruments de musique à partir d’objets désuets, destinés au vide-ordures – un couvercle de casserole cabossé, une paire de claquettes démodées, un flacon de médicament vide. Dans le noir, armé d’une lampe frontale et d’une ceinture dotée d’un émetteur sans fil, ce savant fou explore les bruits quotidiens, les amplifie et les détourne.
C’est ainsi que la programmation de cette nouvelle édition a été pensée : entre hybridité et transdisciplinarité. Sur scène : théâtre, photographie, installations vidéos, nouvelles technologies, sons et concerts se croisent et s’entrecroisent. Samedi 23 octobre, le collectif Anthropie présentait Dio, une très intrigante performance. Avec cette création texte-image à la sonorisation intense, le public a vécu, en direct, une insurrection générale contre le pouvoir aliénant. Une propositions immersive, dans laquelle une jeune spectatrice choisie au hasard a été invitée sur scène, casque de réalité virtuelle sur la tête.
Arthur Poutignat souhaitait « donner la parole à celles et ceux qui ne trouvent pas leurs places en donnant libre court à à des formes expérimentales. » Le défi est réussi. De fait, malgré l’incertitude qui pèse sur le festival, INACT a su conserver ce qui fait son essence : proposer une expérience accessible à toutes et tous, en dehors du cadre classique du spectacle vivant.
Hétéroclisme à profusion
Cependant, à la richesse créative s’oppose une contradiction. De ce week-end, deux grandes absentes, et non des moindres, sont à regretter : les problématiques coloniales et décoloniales. Indissociables l’une de l’autre, c’est sur ces concepts raciaux que les fondations des sociétés contemporaines s’établissent, entre domination et rapport de pouvoir. Une absence perturbante lorsque l’on pense à l’intitulé de cette édition : la « déclonisation. » Sans nul doute, ce terme a pour beaucoup, porté à confusion. « L’idée était de créer un néologisme pour parler de la question des “colonialités”, » déclare Arthur Poutignat. Néologisme ou mot valise, finalement, le spectateur est confus et n’a pas retrouvé dans ce premier week-end, la promesse tenue dans le titre.
Pour Marie, jeune passante curieuse arrivée ici par hasard, ce festival est une « belle découverte où différents univers se rencontrent, malgré une trame générale difficile à suivre ». Chapitrée en quatre thématiques (intimisme, extraversion, genre et race), une par journée, peut-être cette édition en a perdu son véritable propos de fond, son liant entre chaque œuvre. D’un côté, l’artiste Jeune GDB invite, par des ballades cathartiques et mélancoliques, à se reconnecter à soi-même tandis que la folklorique Sarah Vigier, membre du groupe Bazar laqué, propose un concert burlesque au paroxysme de l’extraversion, entre bouffonnerie et cosmogonie. Parfois, à trop vouloir ouvrir les sujets, le fils de l’histoire se découd.
De belles pépites
À noter également quelques propositions détonantes venant contrebalancer le manque de cohérence dont nous parlions. Quel rafraîchissement en ces temps difficiles de découvrir cette Banane et le complot des gens qui pleurent, une performance au cynisme tordant. Née humaine, devenu banane, la talentueuse Magalie Ehlinger réécrie le mythe de Circée – sorcière mythologique –, et porte un regard humoristique sur ces « petits » tracas du quotidien qui font de nous des êtres aliénés : se réactualiser chez Pôle Emploi pour éviter la radiation, être empathique pour ne pas sembler inhumain, etc. Et si, après tout, nous décidions de planter un coupe papier dans la main de notre conseiller ? Les rires ne se font pas attendre dans le public.
Dans une démarche plus intime, Stéphane Clor présente Saturations, un concert acoustique teinté de sonorités électroniques. Son violoncelle en mains, ses boîtes à rythme aux pieds, le musicien joue et rejoue, encore et encore, le même geste. Tantôt rapides et brutales, tantôt lentes et délicates, les sonorités appellent l’exploration de nos tréfonds intérieurs. Une expérience profondément sensible.
À soulever aussi les ateliers proposés au public et ouverts à toutes et tous. En compagnie d’une ou d’un artiste de la programmation, quelques chanceux ont pu fabriquer des instruments de musique à partir de boîte de sardines notamment, ou encore, interroger la capacité narrative de leur gestualité corporelle.
Le second week-end en version numérique
De ces deux jours hors du temps, retenons également un plaisir simple de spectateurs, des rencontres entre des corps, dans un même espace. L’expérience d’un partage collectif avant l’isolement. Il faut relever l’engagement sans faille de l’équipe d’INACT à maintenir, coûte que coûte, le festival. Lui-même artiste, Arthur Poutignat sait la nécessité vitale que cela représente pour les arts vivants. Sauvé in extremis donc, les premières représentations ont pu se dérouler sans encombre, avec cependant une jauge limitée et des règles restrictives.
Quant aux journées des 13 et 14 novembre, le reconfinement aura eu raison d’elles. Une diffusion en direct du Garage Coop et en présence des artistes est prévue en remplacement, sur YouTube et via une billetterie en ligne, à prix libre.
Le vendredi 13 novembre est « À fleur de peau » : micro-univers et petites fictions s’entremêleront pour « changer notre relation au monde. » Dominique Petitgand jouera sur la fragmentation des récits tandis que Janneke van der Putten étudiera les frontières et possibilités de la voix humaine. Pour clôturer cette dixième édition, un samedi 14 fort en émotion, entre « Tentative holistique » et « Spectre et revenant. » Christian Bena Toko questionnera la restriction des libertés. De leur côté, Yoko et Evan Nguyen interrogeront le sens de l’histoire.
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