« Mardi, les consignes étaient respectées. Il aurait fallu faire confiance à la responsabilité des clients et des commerçants. Le flux aurait pu être régulé, surtout dans les marchés couverts », déclare, amer, Claudine Asensio, cliente du marché couvert de Neudorf.
Par décret, le gouvernement a interdit mardi 24 mars la tenue des marchés ouverts et couverts, afin qu’ils ne puissent pas être utilisés pour répandre le coronavirus.
Selon la Chambre d’agriculture d’Alsace, 70 producteurs fournissent les marchés de Strasbourg et près de 250 alimentent ceux d’Alsace. Parmi eux, certains exploitants agricoles tirent la majorité de leur chiffre d’affaires à partir des produits vendus sur les étals.
Annulation de commandes et report de la production
Ainsi, la Ferme Schmitt de Bischoffsheim propose ses produits à base de volaille à la grande majorité des marchés strasbourgeois et alentours. « Cela représente 20 sorties par semaine », précise Gilbert Schmitt, gérant de l’exploitation, qui emploie une quarantaine de salariés.
« Le lundi, la moitié de la production est déjà dans le frigo, prête à être vendue sur les marchés de la semaine. En plus de notre élevage de volailles, nous faisons aussi du négoce de poulet de filières locales ; nous avons dû annuler toutes les commandes en raison des difficultés d’approvisionnement. Nous allons perdre environ 60% de chiffre d’affaires cette semaine. »
Déjà amoindrie par l’absence de plusieurs salariés (maladies et droits de retrait), la Ferme Schmitt continue d’écouler ses produits en magasin. Pour la semaine du 30 mars, le programme est déjà allégé. « Nous ne produirons rien lundi et mardi, nous procéderons à l’abattage des volailles mercredi », annonce Gilbert Schmitt.
Pour les petits producteurs, la dépendance est parfois totale. Vincent Sittler gère avec son associée, Marion Weissenburger, la Ferme de la Colline à Pfaffenhoffen, à l’ouest de Haguenau. Ce maraîcher écoule 98 % de sa production en fruits et légumes bio sur les marchés de la place de Zurich et du Neudorf. Cette semaine, il a dû jeter pour environ 500€ de légumes à cause de la suppression de ces marchés.
« Si vous avez un garage, une cour ou quelque chose, faites nous signe ! »
Face à cet arrêt brutal, les exploitants agricoles n’ont pas tardé à développer la confection de paniers à emporter et en livraison pour compenser. « Si vous avez un garage, une cour ou quelque chose à proposer, faites nous signe ! Merci », lançait la Ferme de la Colline sur sa page Facebook le 25 mars. Le lendemain l’épicerie en vrac Day by day du quartier Neudorf a répondu à l’appel des producteurs de Pfaffenhoffen. Vingt paniers ont pu y être distribués samedi matin.
Vincent Sittler a également développé les commandes en ligne sur la plateforme Open Food France, commandes que les clients peuvent retirer à la ferme. Au total, la Ferme de la Colline a vendu 80 paniers cette semaine contre 15 avant la fermeture des marchés. « Nous croulons sous les demandes », s’enthousiasme Vincent Sittler qui regrette toutefois de ne pas pouvoir satisfaire toutes les demandes de ses clients :
« Des clients nous ont demandé des livraisons à domicile. Mais c’est irréalisable pour nous. Pour les plantations du printemps, nous devons passer du temps dans les champs. »
Optimiste malgré la situation, Vincent Sittler voit dans la confection des paniers « un surplus d’activité par la suite ». « Cela demande aujourd’hui beaucoup d’efforts mais l’effet sera persistant après la crise », poursuit-il.
Disposant de plus de salariés, Gilbert Schmitt a organisé une tournée de livraison au Neudorf pour ses clients du marché couvert :
« Les gens ont joué le jeu et nous les remercions. Nous avons livré 40 commandes pour un chiffre d’affaires de 3 000€. Il nous faut d’habitude 150 clients pour atteindre ce chiffre. Même si on ne sauve pas tout, cet accueil nous motive. »
Luc Fitterer, co-gérant d’une ferme bio à Seltz, a « tout de suite réagi ». Il a étendu les horaires d’ouverture de son magasin en semaine. Présente sur 7 marchés, en majorité dans l’Eurométropole de Strasbourg, la Ferme bio Fitterer a également vendu vendredi matin ses fruits et légumes dans la cour de la boulangerie Gérôme à Strasbourg – Neudorf.
De nombreuses personnes se sont indignées que les marchés aient été si brutalement interdits, sans que n’aient été étudiées des solutions permettant de garder les distances nécessaires pendant la crise sanitaire.
Une carte des circuits courts ouverts et disponibles
Possible réouverture mardi des marchés strasbourgeois
Face à ces solutions de secours qui ne permettront pas d’absorber la totalité des pertes de ces exploitants, les municipalités réagissent. La Ville d’Illkirch-Graffenstaden achète aux maraîchers des paniers de fruits et légumes pour les livrer « gratuitement aux personnes les plus vulnérables, à compter d’une livraison par semaine et par foyer. »
À Strasbourg, Robert Herrmann, adjoint au maire en charge des marchés, a déclaré aux Dernières Nouvelles d’Alsace que « les marchés de Strasbourg pourraient rouvrir rapidement, sans doute mardi ». Une réouverture rendue possible par de nouvelles normes sanitaires, élaborées par les organisations d’agriculteurs et à la disposition des préfets. Toujours selon les DNA, le maire Roland Ries prévoit de demander une dérogation à la préfecture pour organiser un marché en plein air dans le quartier de l’Elsau.
La Ville, l’Eurométropole et la Chambre d’agriculture ont annoncé vendredi 27 mars le lancement d’une mise en relation des commerçants et des producteurs locaux. Louable initiative mais le maraîcher en agriculture biologique Luc Fitterer préfère s’en passer :
« Les grandes enseignes sont les responsables de l’appauvrissement de l’agriculture. Je préférerais jeter mes invendus sur les tas de fumier que de les proposer à ces magasins. »
À Colmar et à Haguenau, les marchés restent fermés. Les maires des deux communes se sont vus refuser leur demande de dérogation. La Ville d’Erstein l’a quant à elle obtenue : les marchés du jeudi et du samedi sont maintenus pour les stands alimentaires.
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