Ce lundi 23 avril au matin, il pleut sur les campagnes alsaciennes. Mais le travail n’attend pas pour la famille Herrmann, qui tient d’une main ferme, une exploitation fruitière à Duntzenheim, près de Bouxwiller. Un enfant de 6 ans, en vacances scolaires, parle en alsacien avec son père dans la cour.
Evelyne est docteure en agronomie. Après ses études, c’était une évidence pour elle de reprendre l’exploitation familiale avec son frère Jacques. Celui-ci a réalisé des études d’agronomie à Obernai. Anne, la fille de Jacques, a obtenu un BTS en management, mais elle a finalement décidé de changer radicalement d’orientation et a commencé à travailler à la ferme il y a 3 ans. Chez ces exploitants, un sentiment de fierté se dégage, comme en témoigne la jeune agricultrice :
« C’est inexplicable mais c’est ici que je me sens le mieux, je suis à ma place. Le plus fort c’est à coup sûr le lien avec les consommateurs. Quand ils nous disent que nos tomates ou nos poires sont bonnes, c’est une émotion immense pour nous. On n’a pas l’impression de travailler pour rien, on nourrit des gens, et avec des produits bénéfiques pour leur santé. La cerise sur le gâteau c’est qu’on ne cause pas de tort à la nature ! »
Pas de pesticides mais des prédateurs et des huiles essentielles
Après plusieurs problèmes de santé survenus dans la famille, liés d’après eux aux pesticides, du jour au lendemain et d’un commun accord, la Ferme Herrmann a décidé de cesser l’apport d’intrants chimiques sur ses cultures.
Malgré cela, tous les pommiers sont en fleurs, prêts à être pollinisés. D’après Evelyne, il n’y a pas besoin d’insecticides ou d’herbicides pour les protéger :
« À coté des pommiers, on a installé des haies et on a planté des arbres. Cela attire des insectes prédateurs qui éliminent les ravageurs. Certains pondent leurs œufs sur les pucerons. La larve qui en sort se nourrit du puceron, et élimine donc la menace pour les arbres. Il nous est déjà arrivé une fois d’organiser un lâcher de coccinelles pour qu’elles se nourrissent des insectes nuisibles qui étaient présents en grande quantité. Cela avait très bien fonctionné mais en général ça n’est pas nécessaire.
Au pied des arbres, on laisse les herbes comme les pissenlits et les orties se développer. Elles attirent aussi les prédateurs des ravageurs. De plus, elles ne concurrencent pas les pommiers pour l’approvisionnement en eau car le sol argileux est suffisamment humide. Il a d’excellentes capacités de rétention. Si les herbes grandissent trop, on les fauche en hauteur, et on récupère cela pour en faire du purin à appliquer sur les pommiers. Celui-ci fait fuir les acariens et les pucerons.
En réalité, le but est d’avoir l’écosystème le plus complet et naturel possible. Si j’observe qu’il y a trop d’acariens rouges, des ravageurs qui altèrent les cultures, sur certains arbres, j’arrache la feuille la plus touchée et je la pose sur un autre pommier qui n’en a pas. Ces ravageurs servent alors de nourriture aux typhlodromes, d’autres petits acariens, ou aux araignées. Cela stimule la présence des prédateurs. Si l’équilibre est respecté les plantes ne sont pas menacées, on se rapproche de ce qu’il se passe dans la nature. »
La présence de pollinisateurs est indispensable pour féconder, avec le pollen, les ovules de pommiers situés dans les fleurs. Les petits végétaux entre les arbres jouent donc un rôle important pour attirer les abeilles, guêpes ou autres espèces pollinisatrices. Des guêpes terricoles et solitaires qui creusent des nids dans le sol près des arbres se sont notamment développées. L’utilisation d’herbicides ou d’insecticides n’aurait pas permis ces phénomènes.
À côté des arbres, des odeurs d’huiles essentielles émanent. Évelyne explique dans un éclat de rire qu’elle en applique un cocktail sur les plantes. Cela fait fuir certains parasites d’après elle. C’est George Toutain, ingénieur de l’institut national de la recherche agronomique (INRA), qui défend l’utilisation de ce type de traitements dits « doux » et qui envoie ses huiles essentielles à de nombreux agriculteurs en France.
La ferme Herrmann a récemment commencé la culture de tomates de variétés anciennes, sans pesticide également. Là, ce sont des plantes aromatiques comme de la sauge ou du romarin, semées à côté des tomates, qui font fuir les ravageurs. Des bandes non entretenues de pissenlits et d’autres herbes permettent aussi la présence de prédateurs comme des araignées ou des coccinelles.
Dans la serre, Boukthir et Robin, deux employés de la ferme et spécialistes des tomates, discutent passionnément des techniques de cultures qu’ils peuvent utiliser tout en accrochant les plants à des fils tuteurs :
« Nous sommes heureux de travailler ici. Cultiver de cette manière c’est utiliser pleins de techniques différentes, et être observateur des plantes et de leur environnement. On apprend beaucoup. »
Même pour pallier la sécheresse, la Ferme Herrmann a mis en place un dispositif écologique. Les fraises cultivées sur 9 hectares sont alimentées en eau grâce à deux étangs, alimentés par une rétention des eaux de pluie. Cette eau y est pompée et acheminée jusqu’au champ.
Des produits vendus grâce à des circuits courts
Les rendements, d’après Evelyne, sont excellents. Pour qu’il n’y ait pas trop de pommes sur chaque arbre, il est nécessaire de retirer environ la moitié des fruits quand ils commencent à pousser. Si cela n’est pas fait, l’arbre réquisitionne trop de nutriments et c’est la production de l’année suivante qui est menacée.
Anne explique que le modèle économique est bon notamment grâce à la surface de l’exploitation :
« La Ferme Herrmann représente en tout trois sites de production, à Duntzenheim, Steinbourg et Bouxwiller qui occupent plus de 100 hectares. On a environ 37 000 arbres fruitiers dont plus de 90% de pommiers. Le reste, c’est des cerisiers, des poiriers, des pêchers ou encore des abricotiers. En plus de cela, il faut ajouter près de 50 hectares de céréales et 9 hectares de fraises, qui nécessitent malheureusement encore des herbicides pour le moment. Nous travaillons à mettre un terme à cela. Enfin, nous cultivons des légumes comme des aubergines, des courgettes et des poireaux sur 5 hectares. Toutes ces terres nous viennent de mon grand père. Cela nous permet d’avoir une production importante. C’est un avantage immense par rapport aux agriculteurs qui veulent se lancer dans l’agriculture biologique et les circuits courts mais qui ont peu de terres. »
C’est en contournant le système de la grande distribution, qui impose une compétition des prix aux agriculteurs, que la Ferme Herrmann a atteint un modèle économique stable. Moins la production est industrielle, plus il est difficile de se faire une place sur les étalages de supermarchés. Mais ceci n’est pas du tout la volonté de la famille d’après Anne :
« Nous misons sur la qualité de nos produits, tant d’un point de vu nutritif que gustatif, alors que beaucoup aujourd’hui raisonnent en quantité. Maintenant, la demande en qualité est de plus en plus grande, les gens ont bien compris qu’il était meilleur pour leur santé et pour la nature de manger des fruits et légumes qui viennent de systèmes de production sans pesticides. Mais c’est uniquement en distribuant dans des circuits courts que l’on peut faire ce pari pour le moment. Cela-dit, vendre nos produits localement fait partie de notre démarche globale. C’est beaucoup plus logique que nos fruits soient mangés en Alsace, les consommateurs savent d’où vient leur nourriture. Cela recrée le lien entre le producteur et le consommateur. »
L’exploitation est membre d’une association de maintien de l’agriculture paysanne (AMAP), ce qui lui permet de distribuer des paniers de légumes sur plusieurs sites en Alsace, dont certains à Strasbourg ou aux environs (place Sainte-Aurélie, Bischheim…). Mais des marchés à Illkirch-Graffenstaden, Mundolsheim ou encore Saverne, ainsi qu’un magasin à Bouxwiller permettent de vendre la plus grande partie de leurs produits. Ainsi, Anne et d’autres employés de la ferme consacrent plus de 50% de leur temps de travail à la distribution. Comme cette distribution réduit le nombre d’intermédiaire, la Ferme reçoit plus d’argent sur la vente de ses produits.
Sur une étagère, dans la ferme, de nombreuses bouteilles de jus de fruits sont entreposées. Une partie des fruits est transformée en jus dans un pressoir artisanal situé dans un village non loin de là, à Dossenheim-sur-Zinsel. Ces boissons font partie intégrante de l’identité de la ferme. Ils sont vendus dans le magasin de Bouxwiller mais aussi sur les marchés.
Et quand Évelyne et Anne font goûter leur jus de pommes et de coings, ou leur nectar de cerise, on sent tout l’attachement que ces travailleuses de la terre donnent à ce qu’elles produisent, et tout le plaisir qu’elles ont à connaitre les consommateurs de leurs fruits. Gina, la chienne, à son grand désarroi, n’a pas le droit de goûter le jus.
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