Au menu de la section « Jeux Vidéo et Réalité Virtuelle » du Festival européen du film fantastique de Strasbourg (FEFFS), des conférences, une exposition interactive, du rétrogaming ou encore un concert. Le cœur de cette section du FEFFS reste l’Indie Game Contest, une compétition internationale lors de laquelle sont présentés 16 jeux vidéo indépendants, que les joueurs peuvent tester jusqu’au 23 septembre.
Le jeu vidéo indépendant s’est peu à peu développé, montrant qu’à côté des « blockbusters », de petites équipes avec de petits budgets pouvaient aussi créer des jeux d’une grande qualité. Certains jeux comme Minecraft ou Everything obtiennent un succès comparable à celui de jeux dits « AAA. » C’est ce qu’explore Bounthavy Suvilay dans son livre Indie Games (2018), premier ouvrage dédié au jeu indépendant. Elle sera présente à la Fnac jeudi 20 septembre à 17h30.
Selon Thiebault, développeur à Iumtec, c’est l’innovation qui attire les joueurs vers les jeux indés :
« On remarque que les jeux AAA sont de moins en moins innovants. Cela est dû à des budgets de production colossaux dont il est difficile de se relever en cas d’échec. Ce qui fait la force des indépendants, parce qu’ils ont besoin de moins de capitaux, ils prennent moins de risques financiers et peuvent donc prendre plus de risques dans leurs concepts ou leurs mécanismes. »
Le prix Octopix est décerné par un jury composé cette année de Doc Géraud (youtubeur, ancien game designer pour Ubisoft), Matthieu « Boulapoire » Hurel (ancien journaliste GameKult), Sophie « Force Rose » Krupa (journaliste JV le Mag) et Bounthavy Suvilay (auteure du livre Indie Games).
« On oscille entre des idées de jeux très fortes et des productions impeccables »
Qu’en est-il de la sélection ? Selon Alexandre, un des organisateurs, « on oscille entre des idées de jeux très fortes et des productions impeccables. » En tout, neuf nationalités sont représentées et de nombreux styles : du puzzle game avec Harmonie et It’s Paper Guy !, du jeu d’enquête avec Rainswept, du survival horror futuriste avec Signalis, du jeu de plateforme avec MainFrames ou Unruly Heroes, de l’action-aventure avec Olija, de l’action-stratégie avec Sea Salt, du rogue futuriste avec Black Future ’88 et Crying Sun, du FPS (first person shooter) avec Protocore.
Parmi la sélection, citons également le jeu de plateforme rétro inspiré des classiques des années 90 : Kaze and the Wild Masks où joueurs et joueuses évoluent dans un univers coloré aux commandes d’une lapine. Cendres, jeu de survie réalisé par 7 étudiants en troisième année de Game Design à l’ETPA Toulouse a lieu dans un monde ravagé par une catastrophe volcanique. Autre ambiance dans le jeu argentin Nine Witches : nazis et paranormal forment un cocktail détonnant où vous aurez la possibilité de combattre une division de SS. Enfin shoot’em’up rime avec récitations de psaumes dans The Textorcist où l’on suivra les démêlés de l’exorciste Ray Bibbia.
« Il ne faut pas rester dans une bulle d’auteurs »
La création strasbourgeoise sera représentée par le studio Iumtec qui présentera son jeu Protocore, un des rares jeux indé en First Person Shooter (FPS). Ce genre, qui a peu évolué ces dix dernières années, s’ouvre depuis peu aux indépendants grâce à la venue sur le marché de technologies abordables. Ses développeurs seront présents au Shadok les week-ends pour rencontrer les joueurs :
« Il faut ouvrir le jeu indépendant au public et ne pas s’installer dans une bulle d’auteurs. Le jeu vidéo, c’est quelque chose de communautaire ; ceux qui se sont le mieux vendus sont ceux qui ont de la communauté. La génération qui s’intéresse au jeu vidéo actuellement vient principalement d’internet, c’est une génération qui communique beaucoup et dont la communauté est plus soudée que dans le cinéma par exemple. »
Outre cette compétition, c’est l’intérêt pour les cultures numérique et la volonté de considérer le jeu vidéo comme un secteur culturel complet qui ont présidé dès le départ. Selon Alexandre :
« Le FEFFS considère le jeu vidéo comme un objet culturel, comme une expression artistique et non pas comme un simple bien de consommation. Depuis le début de cette section, c’est important pour le festival de donner la parole à ceux qui font vivre cette culture en invitant des artistes, des universitaires, des développeurs ou des journalistes. »
Un certain nombre d’activités proposées vont dans ce sens : les conférences, mais aussi l’exposition Yann Minh, intitulée Cyberpunk’s not dead qui revient sur son parcours et sa proposition artistique entre jeu vidéo et réalité virtuelle. Le rétrogaming ajoute quant à lui une dimension historique à la section :
« Le sujet de la rétrospective suit celle de la rétrospective cinéma – cette année les femmes dans le fantastique – et les conférences essaient de suivre les grandes tendances du jeu vidéo avec un angle critique. Cette année, une conférence qui porte sur les mondes virtuels vont réunir notre artiste invité Yann Minh et l’anthropologue strasbourgeois Patrick Schmoll pour réfléchir à la manière dont les nouvelles technologies changent nos relations, notre manière de vivre dans le cyberespace, nos identités en ligne, etc. »
L’immersion au service de l’horreur
Perçus comme satellitaires vis-à-vis du reste du FEFFS, les évènements qui se tiendront au Shadok tendent cette année à s’en rapprocher. Ainsi, parmi les expériences en réalité virtuelle proposées figurent Night Night et Campfire Creepers, deux courts métrages du studio Dark Corner, pionnier dans le domaine de l’horreur immersive. Campfire Creepers est d’ailleurs une création d’Alexandre Aja, connu dans le cinéma d’horreur pour La Colline a des yeux (2006).
Une « Survival Horror Night » transformera le Shadok en univers horrifique le temps d’une soirée. Celle-ci correspond à l’Arcade night de l’an passé, avec en plus une dimension immersive d’horreur à laquelle participent des spécialistes de l’évènementiel. Le challenge est d’installer le public dans un espace cauchemardesque et de réussir à le poser sur le temps long, nécessaire au jeu d’horreur.
Pour Alexandre, au-delà de ces évènements, les liens entre les thématiques des deux sections se rejoignent :
« Le cinéma fantastique et le jeu vidéo indépendant partagent plusieurs points communs. Le jeu vidéo a mis longtemps à devenir légitime aux yeux du grand public et le jeu vidéo indépendant est encore réservé à un public assez confidentiel et averti, tout comme le cinéma fantastique, avec ses codes, ses outrances, sa générosité. Ce qui les relie, c’est la passion qu’ont tout un tas d’artisans et d’artistes pour leur domaine de prédilection : avec peu de choses, on peut créer une œuvre artistique et radicale. Les deux sont issus du do-it-yourself, du bricolage, de la collaboration de petites mains. »
Une section qui gagne en reconnaissance
Après six ans d’existence, la section Jeux Vidéo et Réalité Virtuelle a désormais une reconnaissance nationale, notamment de la presse spécialisée, comme l’explique Alexandre :
« Cette année, Jeuxvideo.com, Gameblog, Indiemag ou Gamekult ont dédié des articles à notre section, donc du site spécialisé jeu indépendant jusqu’aux gros sites d’actualités. Des développeurs du monde entier ont soumis spontanément leur jeu à notre Indie Game Contest, du Brésil au Japon en passant par l’Inde. Des écoles françaises nous ont également soumis les projets de fins d’études de leurs étudiants. »
Outre le temps du festival, le partenariat entre l’association Les Films du Spectre (FEFFS) et le Shadok a donné naissance en juin aux Indie Game Nights, rendez-vous régulier (tous les deux mois) qui vise à faire se rencontrer des professionnels du jeu indépendant. Cette extension permet de faire vivre la section toute l’année, et cette visibilité est primordiale selon Thiébault :
« En donnant de la visibilité, ça octroie du poids politique au jeu vidéo dans le sens où les élus vont commencer à être plus sensibilisés. Cet espace de création est un terreau qui doit être dynamisé pour légitimer le jeu vidéo: on parle du premier divertissement mondial alors qu’il y a encore très peu de lieux où on peut le réfléchir comme il y en a pour la musique ou le théâtre par exemple. Ce type d’évènements est nécessaire même si selon moi ils se sont développés tard à Strasbourg si on compare à d’autres villes comme Toulouse, Angoulême ou Metz. »
Pour le développeur strasbourgeois un des prochains pas à franchir est de mixer les publics et de s’ouvrir vers ceux qui jouent chez eux mais ne s’intéressent pas (encore ?) au jeu indépendant.
Chargement des commentaires…