L’adresse d’un « bon gynéco » est un conseil précieux, transmis entre amies sûres grâce au bouche-à-oreille. Depuis quelques années cependant, ces « bonnes adresses » se transmettent également via internet et les réseaux sociaux : des listes de gynécologues, sages-femmes et de médecins généralistes sont constituées.
Bien référencée, la liste éditée par le « collectif d’usagères » Gyn&co compte plusieurs centaines d’adresses en France, aussi disponibles sous forme de carte. Le site classe les praticiens et praticiennes en plusieurs catégories : « accompagnement parcours trans », « endométriose », « gros et grosses friendly », « personnes racisées friendly », « sans jugement sur les « prises de risque », etc.
Une démarche militante
« Il nous semblait urgent de contrecarrer les mauvaises pratiques et les maltraitances gynécologiques en nous auto-organisant », décrit un texte de présentation du site. Le collectif remonte à 2013. Il trouve ses racines dans l’important nombre de demandes de conseils, notamment auprès de l’association d’universitaires sur le genre et le féminisme EFiGiES.
La liste se constitue au gré des recommandations. Pour y ajouter un ou une soignante, il faut remplir un questionnaire en ligne composé d’une soixantaine de questions. La première série interroge le vécu en tant que patiente. Le formulaire questionne les réactions du soignant recommandé vis-à-vis de l’orientation sexuelle, de l’intersexualité, la transidentité, la séropositivité et la consommation de drogues, mais également sa manière d’organiser le rendez-vous gynécologique.
Les limites de l’auto-déclaration anonyme
Qui remplit ces informations ? Par écrit, un représentant du collectif reconnaît qu’il est « difficile de contrôler la provenance de chaque recommandation car toutes sont anonymes. » Dans le même message, il est indiqué que « les critères d’évaluation ont été renforcés » et que « les recommandations comportant des témoignages et des commentaires détaillés » sont privilégiées. Impossible de savoir s’il faut plusieurs avis pour figurer sur la liste ou si un seul suffit. En théorie, un soignant n’a pas le droit de s’auto-recommander, car il contreviendrait à son « interdiction de publicité. »
Examinés par les membres du collectif, les questionnaires donnent ensuite lieu, ou non, à la publication d’une « fiche. » Y sont mentionnés l’adresse du soignant, son nom, sa profession ou spécialité, son genre, la convention sous laquelle il ou elle exerce (secteur 1, 2 ou absence de convention), et des précisions sur son activité comme la prise en charge de l’endométriose, la pose de stérilet, etc. Les fiches sont mises à jour lorsque le collectif reçoit des retours, par commentaires ou par e-mail.
« Lorsque les commentaires sont négatifs, et lorsque c’est justifié, nous choisissons de retirer les fiches, » explique le collectif qui a seulement accepté de répondre par écrit et anonymement. Un seul retour négatif « étayé » suffit pour retirer une fiche. Le collectif conserve les informations pour ne plus faire apparaître la recommandation à nouveau. Les commentaires négatifs ne sont pas publiés pour éviter tout « problème d’ordre juridique. » Et Gyn&co se veut une liste « positive ».
Une quarantaine de praticiens sont répertoriés en Alsace, dont la moitié à Strasbourg. Sur les forums, ou les groupes d’entraide locaux sur Facebook, la liste est souvent proposée dès qu’une femme demande l’adresse d’un « bon gynécologue. »
« Elle m’a réconciliée avec l’idée d’aller voir un gynécologue »
Manon a 21 ans. Arrivée à Strasbourg en 2016, c’est sur Google qu’elle a trouvé l’adresse d’un gynécologue pour se faire poser un stérilet :
« Ça s’est très mal passé. Il ne m’a expliqué aucun de ses gestes. Il a retiré le stérilet de sa gaine et l’a inséré avec une pince. J’ai hurlé et je me suis débattue tant j’avais mal. J’avais l’impression que l’on me déchirait à l’intérieur. Il m’a maintenue sur la table en me criant dessus : “Arrêtez de bouger, vous allez vous faire mal !” Je me suis évanouie de douleur et réveillée vingt minutes plus tard dans une autre pièce. »
Ce n’est que plusieurs jours après, en chemin pour un examen de contrôle, qu’elle réalise ce qu’il s’est passé :
« Devant le cabinet, j’étais incapable de trouver où je devais sonner. J’ai réalisé que j’avais subi un gros traumatisme. Cette pose, je l’ai vécue comme un viol. J’ai mis des mois à en être consciente. »
S’en suivent deux ans de règles extrêmement douloureuses, accompagnées de la sensation de « sentir quelque chose » dans son ventre. Elle décide de trouver un nouveau médecin pour retirer son dispositif. Des amies lui conseillent Gyn&co. Sa nouvelle gynéco lui a expliqué « chacun de ses gestes avant de les faire et m’a demandé à chaque fois si j’étais d’accord pour qu’elle me touche. » Manon se dit « réconciliée » avec les rendez-vous chez le gynécologue.
« Mon projet d’avoir des enfants n’était pas pris au sérieux »
Michelle (prénom modifié), 27 ans, a elle aussi consulté la liste Gyn&co suite à de mauvaises expériences :
« J’ai eu énormément de remarques et de jugements sur mon poids. Une fois, après avoir constaté que j’avais pris un peu moins d’un kilo, une médecin m’a dit : “Et sinon, c’est votre projet de prendre dix kilos par an ?” Mon projet d’avoir des enfants n’était pas pris au sérieux. Une pilule m’a été prescrite sans me poser de question. »
Une demi douzaine d’utilisatrices strasbourgeoises de cette liste ont accepté de témoigner pour cet article. La plupart font état de mauvaises expériences avant d’avoir eu recours à l’annuaire de Gyn&co. Des expériences qui incluent des formes de violences physiques, des examens douloureux, rapides, non expliqués, des propos déplacés sur le nombre de partenaires voire des injonctions à la maternité. Toutes déplorent un manque d’écoute et de dialogue, particulièrement au niveau de la contraception. Elles jugent les soignants choisis grâce à cette liste plus attentifs à leurs demandes, plus pédagogues et plus respectueux de leur consentement.
Le lent changement des pratiques
Les soignants recommandés par le site Gyn&Co n’en sont pas avertis. Mais s’ils en font la demande, leur fiche peut être retirée. Carole, sage-femme à Strasbourg, a appris que son nom y figurait par des amis et quelques patientes. Plutôt réticente à l’idée de listes, parce que « chacun peut mettre ce qu’il veut », elle a toutefois vu arriver à son cabinet des femmes qui l’avait choisie par ce biais :
« Ce sont des femmes qui cherchent à être entendues. Elles ne veulent pas forcément aller tout de suite vers un examen gynécologiques. Elles attendent surtout plus de pédagogie, d’échange. »
De son point de vue , ces femmes sont souvent « déçues » du modèle classique de consultation gynécologique qui consiste à expliquer l’objet de sa visite, se déshabiller et se faire examiner en un quart d’heure :
« Il y beaucoup de jugement de la part de certains professionnels. Des paroles parfois brutales,et une façon de pratiquer, disons le, encore un peu patriarcale. »
Elle relève que « l’écoute est de plus en plus au centre des formations. » L’évolution vient aussi « des femmes qui parlent de plus en plus » et osent changer de médecin.
Morgane (prénom modifié), gynéco-obstétricienne alsacienne présente sur la liste, pointe également une évolution des pratiques. Elle l’explique par un changement de génération et une « féminisation de la profession ». À l’écoute de certains témoignages, elle a ressenti une « honte » sur « comment certains gynécologues traitent les femmes ». Elle espère qu’avec l’évolution des pratiques, « il n’y aura plus de telles listes dans les années à venir. »
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