Quand on n’habite pas Hautepierre, un quartier à l’ouest de Strasbourg, on ne sait pas forcément ce qui s’y passe ni comment on y vit. La rédaction de Rue89 Strasbourg s’est bien délocalisée là-bas pendant un mois l’an dernier, mais l’association Horizome y est implantée depuis 10 ans. Composée d’urbanistes, d’artistes et de bonnes volontés en tous genres, le collectif travaille à la transformation du terrain et des mentalités sur place, en gardant toujours comme priorité la participation active des habitants et le brassage des connaissances.
Avec le programme « Fabriquer, Inventer, Partager » (FIP), Horizome s’est emparé des outils du numérique et de ses innombrables applications, avec les « makers » du collectif AV Lab. Résultat : de nombreux ateliers, ludiques, simples, accessibles qui ont donné à tous les participants de nouvelles capacités d’action, parfois insoupçonnées.
Apprendre à programmer, pour quoi faire ?
Comme la philosophie du projet repose en premier lieu sur l’ancrage dans le terrain, les initiateurs du FIP sont allés voir les partenaires sur place : Éducation nationale, organismes d’insertion professionnelle, éducation populaire, structures municipales… La première question a souvent été : « mais à quoi cela va-t-il servir ? » Géraldine Farage, directrice du Shadok, répond :
« Nous leur avons exposé les divers ateliers possibles et au final nous nous sommes retrouvés sur le but commun de l’insertion professionnelle. Cela a été facilité par la récente réforme scolaire, qui a introduit l’encodage informatique, le décryptage des médias ou encore la programmation de puces électroniques Arduino dans les écoles. »
C’est grâce à cette mise en réseau que le programme a pu toucher 1 200 jeunes de 14 à 25 ans, à Hautepierre.
La technologie, un outil à (se) façonner soi-même
Concrètement, qu’est-ce que cela donne ? Des collégiens qui programment des robots, des ados qui créent un jeu vidéo en modélisant leur quartier et en s’y représentant eux-mêmes, une radio locale en construction, un documentaire réalisé par des jeunes sur l’association de cuisine solidaire Table et Culture, un « fablab » mobile qui se prolonge au Shadok avec des ateliers de réalisation d’objets design…
Diane Philippe, animatrice d’AVLab, raconte :
« Au Shadok, les jeunes ne voulaient plus partir du fablab, ils faisaient exprès de traîner et parfois ils allaient même conseiller les autres utilisateurs de l’atelier. C’est aussi cette possibilité de fréquenter un lieu plein de personnes différentes partageant les mêmes intérêts qui est importante dans le projet. »
Quel que soit le domaine abordé, toucher au numérique, c’est s’apercevoir que ses possibilités sont accessibles et que l’on peut y appliquer ses propres envies. Ce n’est pas un univers réservé aux diplômés ou aux techniciens. Lors des ateliers, la créativité et l’esprit critique sont encouragés. Beaucoup d’intervenants sont artistes : le plus spectaculaire d’entre eux fut le performer plasticien catalan Marcel Li Antunez Roca, qui à l’été 2015 avait retourné Hautepierre en impliquant ses habitants dans la réalisation d’une immense légende carnavalesque du quartier.
Entre l’utopie et le terre-à-terre, chacun peut s’approprier un moyen de créer – et de ne pas rester simple consommateur de services ou d’applications. À force de remuer ces idées, des initiatives spontanées se sont aussi formées : c’est ainsi que le rappeur Djaless est allé enregistrer au studio du Shadok – à découvrir en direct vendredi 10 février lors du vernissage.
Une réflexion sur le projet et au-delà
En regard de la présentation de tous les projets menés, l’exposition dévoile aussi la trame de conception de « Fabriquer Inventer Partager ». Le programme a en effet été suivi sur toute sa durée par des sociologues et des étudiants en sciences de l’éducation : c’est un laboratoire empirique, auto-réflexif de l’action sociale et du développement local. On y réfléchit sur les manières de créer, mais aussi sur les manières d’enseigner les outils de la création.
Marine Froeliger, coordinatrice de FIP, commente cette démarche :
« Nous avons constaté qu’il ne faut pas tout écrire dans un projet comme celui-ci, pour rester réactifs. Avec les textes et les modélisations qui ressortent aujourd’hui, on peut transmettre l’expérience, et pourquoi pas, l’appliquer ailleurs. »
Pour les curieux de pédagogie innovante, de sociologie participative et de Do It Yourself, ne ratez pas le livret de l’exposition, qui contient une mine d’informations pour prolonger le sujet.
Chargement des commentaires…