En ce début d’automne, le musée Unterlinden invite à une balade étonnement méditative. À l’aube d’Halloween et des défilés de squelettes, fantômes et autres créatures macabres, Fabienne Verdier libère des craintes obsédantes de la mort.
Le chant des étoiles est l’aboutissement de trois ans de travail entre la commissaire de l’exposition Frédérique Goerig-Hergott et l’artiste peintre Fabienne Verdier. Destinée à prendre vie dans la salle de l’Ackerhof, avant d’être déployée dans l’entièreté de l’ancien couvent des Dominicaines, cette exposition est l’occasion de découvrir ou redécouvrir les toiles de la peintre française, entremêlées des chefs d’œuvres de l’Histoire de l’art. On ne sort pas indifférent de ce voyage entre terre et ciel.
Déstabiliser les représentations traditionnelles
Le Chant des étoiles est un cheminement spirituel où dialoguent les toiles de la peintre contemporaine avec les collections permanentes du musée Unterlinden, une grande majorité des œuvres datant des XVe et XVIe siècles.
Formée à l’école des Beaux-Arts de Toulouse, puis, durant une dizaine d’années installée en Chine, Fabienne Verdier a retranscrit son apprentissage dans son ouvrage autobiographique, La Passagère du silence. Un récit qui permet de comprendre pleinement son travail. Cette initiation à l’art traditionnel chinois l’a amené à solliciter la force gravitationnelle, en quittant la peinture sur chevalet pour peindre debout, la toile posée au sol. Réalisées à l’horizontale et à l’aide d’incomparables pinceaux, ses œuvres abstraites et bicolores sont, pour la plupart, de tailles conséquentes. Le geste déployé est énergique, vivant, et n’hésite pas à déborder du cadre.
Adieu aux danses macabres et faucheuses
Par ce croisement temporel des représentations et des pratiques, Fabienne Verdier interroge le monde dans sa réalité mouvante et changeante. Un croisement, mais aussi un échange. L’artiste française puise notamment son inspiration dans les productions des grands maîtres du passé. Parmi eux, le Christ de douleur (vers 1480) de Simon Marmion, une peinture qui représente le Christ souffrant de ses blessures. À cela, Fabienne Verdier répond : Petit sang du Christ (2011), un petit tableau marqué d’un coup de pinceau rouge vif sur fond doré. Le supplice laisse place à la vitalité. Le sang qui coule n’est plus une annonce de mort, mais un symbole de vie. Adieu aux danses macabres, faucheuses, et autres représentations obscures qui mènent l’être humain à l’inanimé. On se sent vivant en parcourant Le chant des étoiles, une exposition qui questionne la perception occidentale de la mort.
La mort à travers le spectre lumineux
Très vite, Fabienne Verdier se passionne pour le panneau Transfiguration / Résurrection / Ascension de Grünewald sur le Retable d’Issenheim. Happée par l’auréole solaire déployée autour de la figure centrale, la lumière devient son terrain d’expérimentation pour Rainbows. Mais comment saisir les subtilités, la vérité énergétique de ces ondes colorées ? La réponse à ses interrogations réside dans son « choc du jardin ». Un jour, alors qu’elle arrose ce dernier, l’artiste fait face à un merveilleux spectacle. Le soleil derrière elle embrasse l’eau qui s’échappe du tuyau. De cette rencontre naît un arc-en-ciel. Dès lors, Fabienne Verdier se captive pour la composition de la lumière. Son ambition ? Travailler les pigments cyan, magenta et jaune comme le spectre lumineux en optique.
Dans la nef contemporaine des architectes Herzog & de Meuron siège Rainbows, une œuvre immersive composée de 76 tableaux. Sur chaque toile, une aura circulaire colorée accompagnée de projections énergiques blanches. Produits à partir de couches successives de peinture acrylique et de glacis, les cercles pigmentés engendrent des « accidents colorés », proches des effets de la persistance rétinienne (illusion du mouvement en regardant un enchaînement d’images non animées). La mise en espace de ces œuvres immobiles à l’apparence mobile ne laisse pas de marbre, capable de procurer une secousse émotionnelle. Un sentiment de submersion surgit, les dents se serrent. On se sent minuscule face à l’univers qui se dresse tout autour.
À travers ses Rainbows, Fabienne Verdier aborde la mort de façon universelle, parle au plus grand nombre. Par l’évaporation symbolique de la lumière, les Rainbows représentent visuellement des étoiles mourantes, allégorie de la mort humaine. Tel l’ADN de l’être humain, les iris circulaires de couleur, différentes de toile en toile, rendent chaque tableau unique. En nommant ses peintures stellaires par des prénoms du monde entier et en lien avec le cosmos (Clara, Layla, Celestino, etc.), l’artiste renforce la personnification.
Et, en associant la fin de vie à celle d’une étoile, Fabienne Verdier s’émancipe des représentations religieuses de la mort souvent violentes, s’affranchit des croyances théologiques. Le recours à ce procédé anthropomorphique lui permet de représenter le passage vers l’au-delà sous un regard nouveau, plus sensible et scintillant, moins lugubre. Sans conteste, cette incomparable production est la plus lumineuse que la peintre ait créée.
Du corps mourant au corps mouvant
Fabienne Verdier imagine le passage de la vie à la mort par le biais du mouvement.
À la mort d’une étoile, des débris jaillissent et flottent, avant d’engendrer un nouvel être. Ces particules d’âmes meurent et renaissent dans un mouvement constant renforcé par le Grand Vortex d’Unterlinden, un polyptyque d’où s’élève une impressionnante spirale bleue. Pour produire cette œuvre, Fabienne Verdier défie les lois de la gravité à l’aide d’un système de travelling érigé aux côtés de ses assistants, et permettant de déplacer les toiles au sol.
Debout, son imposant pinceau suspendu entre les mains, l’artiste peintre mobilise l’entièreté de son corps pour former des mouvements circulaires tourbillonnants. Le Grand Vortex d’Unterlinden est un combat gagné contre la force gravitationnelle. Il s’érige, telle la vague finale du tsunami affectif qui vient de vous frapper, avant que l’apaisement ne revienne. Positionnée en écho des Rainbows, cette ultime ascension vertigineuse mène les âmes dans l’obscurité finale, pour les faire renaître. La boucle est bouclée. Le cycle spirituel de la vie et de la mort danse autour de nous. Le Grand Vortex d’Unterlinden matérialise le mouvement circulaire entre la vie et la mort. Le passage à l’au-delà est sublimé. Cette production apaise le cœur, bouleverse l’esprit et le corps.
Avec Le chant des étoiles, Fabienne Verdier fait preuve d’une grande justesse intuitive dans sa sublimation des énergies. Son travail réconcilie les croyances et les a priori angoissants de la mort. Par l’intermédiaire de Frédérique Goerig-Hergott, le musée Unterlinden redynamise la lecture de ses collections. Une nouvelle raison de s’y rendre, pour apprécier ce subtil mélange des époques.
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